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Des bibliothèques dans la ville

Cent ans. C’est l’âge qu’auront bientôt les bibliothèques vénissianes. Histoire d’une conquête, qui s’étira sur plusieurs siècles.

Le catalogue de la bibliothèque de Vénissieux, en 1950, atteste de la censure pétainiste qui a sévi quelques années plus tôt : les livres évoquant l’URSS ou les idées de gauche en sont pratiquement absents.

16 octobre 1709. Le notaire de Vénissieux, Jean-Baptiste Yvert, se rend au domicile de feu Mathieu Sagniol, de son vivant maître d’école, afin d’inventorier ses biens. Dans la grande pièce du rez-de-chaussée de sa maison, il tombe sur une immense table en noyer, entourée de bancs démesurés. C’est là que le maître faisait asseoir ses écoliers. Puis le notaire poursuit son inventaire en ouvrant armoires et coffres, et lit scrupuleusement tous les papiers de la maisonnée. Surpris, il demande : « Maître Sagniol n’avait donc point de livres ? ». « Si », répond sa veuve, qui lui tend aussitôt « un livre de raison tenu par ledit Sagniol commencé en 1692 contenant 144 pages dans lequel il y a mis compte de ses pensionnaires ». Autrement dit, son seul livre servait à inscrire les sommes versées par les écoliers, pour prix de leur apprentissage !

En lisant moult inventaires semblables à celui-ci, le constat est le même : les Vénissians du 18e siècle ne détiennent pas de livres. Et pour cause, c’est à peine s’ils savent écrire. Prenez leurs actes de mariage. Entre 1700 et 1709, sur 224 épouses et époux, seuls 19 surent signer leur nom, soit 8,5 %. Et sur ces 19 personnes alphabétisées, 17 étaient des hommes, et seulement 2 des femmes : Sébastienne Yvert, fille du notaire, et Claudine Chadier, veuve de Mathieu Sagniol, notre maître d’école. Au siècle des Lumières, Vénissieux n’était donc pas à la page. Du vivant de Rousseau, de Voltaire ou de Diderot, il se trouvait bien quelques détenteurs de livres, mais tous appartenaient à l’élite sociale. Comme Catherine-Claudine de Chaponay (1746-1826), dernier seigneur de Vénissieux, qui n’en possédait pas moins de 2778. Mais dans son hôtel particulier de Montmartre, à Paris, et non dans notre commune.

Entre 1940 et 1944 : la censure pétainiste

Tout changea avec le XIXe siècle, qui vit en 1882 l’école devenir gratuite, laïque et obligatoire, et la pratique de la lecture s’envoler. Le livre, dès lors, s’invita de plus en plus à Vénissieux. Chez les particuliers, mais aussi à l’école, où les premières bibliothèques scolaires furent fondées, au Bourg et au Moulin-à-Vent, dans les années 1880. Mais de bibliothèque municipale, il n’en était toujours pas question. Il fallut attendre 1926, il y a donc un siècle, pour que notre ville se décide à franchir ce pas décisif. L’initiative en revint au premier adjoint au maire, M. Mauguin, qui en soumit l’idée. Tonnerre d’applaudissements chez les élus du conseil municipal qui, « considérant que la création d’une bibliothèque populaire à Vénissieux, qui compte aujourd’hui 10.000 habitants environ, est d’une utilité incontestable par suite de l’heureuse influence [qu’elle] aura sur la population au point de vue de la propagation des connaissances scientifiques, historiques et littéraires », vota sans hésitation l’instauration de ce noble équipement.

La bibliothèque fut d’abord installée derrière la mairie de l’époque, place Léon-Sublet, puis migra dans les années 1930 dans la Maison du Peuple. Le succès fut tel qu’une annexe fut même ouverte au Moulin-à-Vent, en 1928. Un catalogue daté de 1950, livre la liste des volumes que les Vénissians pouvaient emprunter dans ces temples de la lecture. Elle contient de grands classiques populaires, comme Les Lettres de mon moulin, d’Alphonse Daudet, 15 livres de Victor Hugo, tels Les Misérables ou Notre-Dame de Paris, et 19 livres d’Emile Zola, dont La Bête Humaine ou Germinal, dans lesquels plus d’un ouvrier vénissian dût se reconnaître. Les auteurs très contemporains figurent aussi au catalogue, notamment Georges Duhamel (1884-1966), fort de 17 titres, ou encore le Martiniquais Aimé Césaire (1913-2008), avec son Cahier d’un retour au pays natal.

Curieusement, dans une ville acquise au Parti communiste depuis 1935, les livres évoquant l’URSS ou les idées de gauche sont pratiquement absents. La Seconde Guerre mondiale est en effet passée par là, qui a vu entre 1940 et 1944 les bibliothèques vénissianes subir une purge des titres contraires aux idées pétainistes. Sont ainsi passés à la trappe, les livres du communiste Henri Barbusse (1873-1935), les 13 volumes de la Bibliothèque Lénine, et Le Capital, de Karl Marx, mais aussi l’ouvrage d’une autrice juive et jusqu’à des livres à l’eau de rose, comme L’Ingénue libertine, de Colette, ou L’Amant de lady Chatterley, qui devaient déplaire aux suppôts de Pétain…

La médiathèque du XXIe siècle

Arrivent les années 1960-70, qui voient un nouveau pas de géant être franchi. La construction du quartier des Minguettes, et le vigoureux accroissement démographique de la ville, supposent l’aménagement de nouveaux équipements, plus vastes et mieux situés. Dès 1968, l’on crée ainsi une nouvelle bibliothèque avenue Marcel-Cachin, aux Minguettes, dans un appartement mis à disposition par la Caisse des dépôts, moyennant un loyer symbolique de 1 franc par an. Puis en 1975, c’est au tour de la nouvelle mairie, avenue Marcel-Houel, d’accueillir sur 760 m2 une bibliothèque ultra-moderne, aménagée par l’architecte René Bornarel et pour un coût d’un peu plus d’un million de francs. Cette bibliothèque de l’hôtel de ville s’avère pourtant éphémère puisque, dès 1997, le député-maire André Gerin propose au conseil municipal la construction de l’actuelle médiathèque Lucie-Aubrac. Avec un budget de 60 millions de francs, une surface de 5230 m2, un architecte très célèbre – Dominique Perrault, auteur de la Bibliothèque Nationale de France -, ce grand vaisseau se tourne résolument vers l’avenir, puisqu’il intègre désormais non seulement les livres, mais aussi tous les nouveaux médias, tels les CD et les vidéos. Comme pour marquer l’histoire, l’inauguration de ce bâtiment magnifique intervient lors de la première année du 21e siècle, le 21 septembre 2001. Être à la page, toujours.

Sources : Archives du Rhône, 3 E 11448. Archives de Vénissieux, GG1, 2 R 1, et délibérations municipales, 1838-2001.

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