En France, chaque année, près de 7 000 femmes et couples sont confrontés à l’inimaginable : le décès d’un bébé. L’organisation mondiale de la santé (OMS) parle de deuil périnatal lorsque des parents perdent un enfant entre 22 semaines d’aménorrhée et le 7e jour après sa naissance.
Vanessa et Aurélien ont perdu Alexandre il y a trois ans. Alors que le parcours pour devenir parents est plus long et escarpé que prévu, une grossesse s’annonce en mars 2020 et donnait une couleur joyeuse à ce début de confinement : « Dans ma tête, c’était la fête ! Tout se passait bien ! », se souvient-elle.
Les rendez-vous gynécologiques de routine laissent présager une grossesse sans problème. Le cap du premier trimestre est franchi. « Pour nous il n’y avait plus aucun risque », pensaient-ils. C’est donc sans appréhension qu’ils se rendent à l’échographie morphologique, une étape importante dans le suivi de grossesse et qui permet de détecter d’éventuelles malformations fœtales.
« Le 31 juillet, la vie s’est arrêtée »
« Dans notre tête, c’était une formalité, j’étais détendue, raconte Vanessa. Puis je vois la gynécologue faire une drôle de tête. » On leur annonce alors qu’il y a possiblement une insuffisance vasculaire du placenta qui ne parvient pas à fournir un approvisionnement adéquat en oxygène et en nutriments au fœtus. Les voyants sont au rouge par rapport à la courbe de croissance attendue pour un bébé à ce stade de grossesse, il y a un retard de croissance intra-utérin sévère.
Après des examens complémentaires, le diagnostic se confirme. On leur présente trois possibilités : le bébé sera grand prématuré mais pourra être pris en charge ; la grossesse s’arrêtera naturellement ; ou les médecins proposeront un arrêt médical de grossesse.
Pour le couple, c’est un choc : « Ce 31 juillet, la vie s’est arrêtée. C’est comme si le monde s’était écroulé, explique Vanessa. Sur le coup, on ne comprend pas. Quelque chose en nous est mort à ce moment-là. »
« On a espéré jusqu’au bout »
Une sage-femme vient alors deux jours par semaine pour écouter le cœur du bébé et les rendez-vous à l’hôpital s’enchaînent. Mais malgré la surveillance intensive, Alexandre va de moins en moins bien. « Les examens montrent une cassure dans les flux qui causent une raréfaction du liquide amniotique indispensable à la poursuite de la grossesse, et j’avais un risque de pré-éclampsie, c’était catastrophique », développe Vanessa.
L’équipe médicale explique aux parents qu’ils vont devoir procéder à une interruption médicale de la grossesse (IMG), faute de pouvoir prendre en charge médicalement cette naissance. « On était complètement assommés. On a commencé à nous parler des obsèques et je me disais : ‘ce n’est pas possible, je suis enceinte et on me parle des obsèques de mon bébé’. J’ai eu tellement mal, j’avais l’impression qu’on me rouait de coups, je n’entendais même plus ce qu’on me disait. »
L’IMG est programmée le 26 août 2020 : « On a espéré jusqu’au bout. On pensait qu’ils allaient nous dire qu’ils s’étaient trompés et qu’Alexandre était en bonne santé ». Mais pendant la journée, lors d’un examen de contrôle, le médecin annonce aux parents que le cœur d’Alexandre s’est arrêté. « Il nous a fait ce cadeau de partir naturellement », confie la maman.
Après l’accouchement, Alexandre est amené par les équipes médicales pour être préparé avant que ses parents ne le rencontrent. « On nous a expliqué précisément à quoi nous attendre, la couleur de sa peau, son état de fragilité, car cela allait être difficile. Au bout de 45 minutes, j’ai eu le courage de le voir et là, c’était une évidence, c’était mon bébé », dit tendrement Vanessa.
« Je suis papa »
Dès le lendemain, Vanessa et Aurélien sortent de l’hôpital. « Une sortie de maternité, ce n’est pas fait pour ne rien annoncer, dit Aurélien. On a donc annoncé à nos proches le décès d’Alexandre et c’était très paradoxal, j’avais un mélange de grande tristesse et de fierté à me dire ‘je suis papa’. »
Ensemble, ils ont décidé de se faire accompagner dans cette période tragique. Ils ont vu une psychologue et participé à des groupes de parole. « Pour nous, c’était important de passer par là, d’échanger avec des personnes qui pouvaient nous comprendre. » Pour Vanessa, les premiers mois après l’accouchement ont été extrêmement durs. Un long chemin a été nécessaire : « Je n’ai eu le droit à aucune rééducation, aucun suivi physique. J’avais le corps d’une femme enceinte, mais je n’avais pas d’enfant, c’était difficile à accepter. Je me suis longtemps cachée. »
Le retour au travail et les maladresses des collègues ont été de nouvelles épreuves pour Aurélien. «On me disait ‘il faut penser à autre chose ‘, ‘il faut être fort pour ta femme’, comme si je n’avais pas le droit d’être accablé. » « Il m’arrivait de m’effondrer, explique de son côté Vanessa. Mes collègues veillaient sur moi et m’ont aidé. »
Aujourd’hui, avec ce témoignage, le couple souhaite lever les tabous autour du deuil périnatal, inciter les proches des personnes concernées à en parler. « Il n’y a rien de pire que d’essayer d’éviter le sujet. »
Depuis, une petite Simone a vu le jour et fait le bonheur de ses parents, mais Alexandre occupe quotidiennement les pensées d’Aurélien et de Vanessa. « Simone est là et nous nous imaginons comment Alexandre aurait grandi. Alexandre nous a fait nous positionner. Ça nous a tellement abîmés qu’on a besoin de penser à nous et de prendre soin de nous. Il nous oblige à témoigner et à vivre différemment. »
Suivi psychologique : « Il est fondamental d’en parler »
La perte d’un enfant est traumatisante pour les parents. Quand la mort survient avant même la naissance, ou quelques jours après, le deuil est extrêmement difficile. « Les femmes arrivent enceintes, le ventre arrondi – selon le terme de la grossesse – elles accouchent, et quittent l’hôpital sans leur bébé. Aux yeux du monde, les couples ne se sentent parfois pas reconnus comme parents, explique Isabelle Conti, psychologue clinicienne à l’Hôpital Femme Mère Enfant (HFME) et spécialisée dans la périnatalité. C’est un enfant attendu, rêvé, imaginé, que les parents n’ont pas eu le temps – ou qu’à peine- de rencontrer. C’est un sentiment d’échec, de culpabilité, de honte pour les mères qui peuvent avoir le sentiment d’avoir failli à leur mission de donner la vie. »
Entre le père et la mère, les vécus peuvent être différents, ce qui entraîne un sentiment de solitude et d’incompréhension. Isabelle Conti insiste : « Il est fondamental de ne pas rester seul, de trouver à qui parler, d’accompagner ce deuil si singulier« . Elle conseille aux couples, lorsque cela leur est possible, à la fois un suivi psychologique et la participation à un groupe de parole à destination des parents endeuillés. « Dans ces moment-là, il est important de pouvoir trouver des espaces où la détresse peut être reconnue, accueillie, transformée. »
Des dispositifs proposent à Lyon des groupes de parole sur le deuil périnatal. Il y a le Laps (Lien accueil parentalité et soin), le Groupe de parole et d’entraide pour les parents qui ont perdu leur bébé, piloté par la Métropole de Lyon, ainsi qu’Agapa, une association spécialisée dans l’écoute et l’accueil des personnes qui ont été confrontées au deuil périnatal. « Nous avons trois missions, détaille Marie Papin déléguée générale de l’association. Accompagner les personnes confrontées à la perte d’un enfant, former les écoutants et faire de la sensibilisation sur le sujet. » L’association propose des accompagnements en groupe et individuel ainsi que des café-rencontres ouverts aux parents ainsi qu’à leurs proches. Il est aussi possible de solliciter les équipes de psychiatres, de pédopsychiatres, les psychologues qui travaillent en maternité.
À Lyon, plusieurs rendez-vous sont proposés par Agapa pour en savoir plus, rendez-vous sur le site de l’association (www.association-agapa.fr) ou par téléphone au 01 40 45 06 36. Pour le groupe de parole de la Métropole, contactez le 04 26 83 84 10. Pour le LAPS, appelez le 04 78 26 95 24.
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