Diffusées sur internet puis à la télévision, les premières images de « La Conquête », actuellement à l’affiche au cinéma Gérard-Philipe, étaient bluffantes ! Dans ce film de Xavier Durringer sur l’ascension de Nicolas Sarkozy, les acteurs semblaient métamorphosés : Denis Podalydès parlait comme notre président, Bernard Lecoq ressemblait à s’y méprendre à Chirac et Florence Pernel campait une Cecilia confondante de vérité. De quoi allait réellement parler ce film, écrit par Patrick Rotman ? Allait-il être critique envers la politique sarkozyenne ? En faire l’apologie ? Il se disait que l’Élysée ne faisait rien pour gêner le tournage mais que le président refusait de le voir.
Sélectionné à Cannes hors compétition, « La Conquête » était très attendu, au moins par le public français. À l’issue de la projection dans le grand auditorium Lumière, les étrangers sortaient en se disant sûrement : quel type, ce Sarkozy ! Les Français, eux, étant en droit de douter. « La Conquête » nous montre un Sarkozy expert en politique, capable de tenir tête aux « barons », Chirac et Villepin en tête. Il devient le symbole d’une nouvelle droite, peu encline aux magouilles politicardes du chiraquisme mourant. Notre homme sait ce qu’il veut et il l’obtient. Rotman et Durringer, que – j’avoue- j’assimilais à des hommes d’une sensibilité de gauche, décrivent le battant en cachant mal leur admiration : ils montrent ainsi comment le petit Nicolas devient ministre de l’Intérieur, des Finances, patron de l’UMP et président de la République. Tout cela avec un petit cœur aussi gros que le porte-monnaie de Bolloré, qui ne bat que pour sa Cecilia, dont les allées et venues dans le domicile conjugal auraient pu mettre en péril la grande ambition de son mari : l’accession au pouvoir suprême.
Oui, le scénario nous décrit Sarkozy comme un ambitieux mais les Français n’ont jamais considéré cela comme un défaut. Quelques phrases se veulent assassines, n’expliquant que ce que l’on savait déjà : on parle du ratissage de Sarkozy de toute la droite, y compris la plus dure, on note ses amitiés avec les grand patrons de presse et, surtout, on insiste bien sur la guerre que se livrent les deux factions, celle de Chirac contre celle de Sarkozy. Si l’on fait mention à Clearstream, c’est pour mieux sortir le héros de ce guêpier. Mais quid du financement de la campagne électorale de Balladur, à laquelle Sarkozy était mêlé (l’affaire de l’attentat de Karachi) ? Et quid de celle de Sarkozy lui-même, sans un seul remerciement pour Madame Bettencourt (et ça, c’est pas gentil) ?
« La Conquête » s’arrête avec la prise du pouvoir, sans que Sarkozy ne soit jamais l’Arturo Ui brechtien de cette résistible ascension. Les deux auteurs n’ont, me semble-t-il, jamais voulu prendre de l’altitude par rapport à leur sujet. Enfin, nous n’en sommes plus aux roucoulades de Mireille Mathieu, déjà risibles en soi, le soir de l’élection. On sait aujourd’hui ce qu’a coûté à la France ce quinquennat, l’augmentation de salaire incroyable du nouveau président, les postes perdus dans l’Éducation nationale, les retraites, l’ISF, la politique d’exclusion, les amitiés particulières des ministres, la réception en grandes pompes d’un dictateur à qui l’on fait désormais la guerre, etc.
Pendant le festival, les critiques des grands quotidiens et magazines de cinéma attribuent des croix aux films de la sélection. Curieusement Le Figaro semblait avoir moins goûté « La Conquête » que L’Humanité. Il faudra que l’on m’explique.
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