On dit que les arbres souffrent en silence. Seulement, depuis quatre ans, leur souffrance est de plus en plus flagrante. À Vénissieux, des centaines de feuillus et de résineux dépérissent chaque année à la belle saison. Les deux gros représentants du patrimoine arboré de la ville, le parc métropolitain de Parilly et le parc municipal des Minguettes, paient un lourd tribut.
En particulier celui de Parilly, où 2 000 arbres ont dû être abattus en quatre ans, soit plus de 10 % de son patrimoine. Le renouvellement est assuré : 3 000 végétaux y sont plantés chaque année. Au parc des Minguettes, entre 2019 et 2020, les services ont abattu 145 arbres morts, principalement des érables et des bouleaux, pour replanter 280 jeunes arbres.
Selon les élus et les gestionnaires du Grand Lyon et de la Ville, ce cycle infernal s’explique par une multitude de facteurs. Bien sûr, le réchauffement climatique est spontanément pointé du doigt. Il serait le coupable numéro un. Mais la raison de cette surmortalité semble plus complexe.
En effet, les spécialistes estiment que plusieurs éléments entrent en ligne de compte. Ils s’accordent à identifier quatre « plaies » : en premier lieu, le manque de pluie et les coups de chaud en été. Mais aussi une mauvaise qualité de sol et le développement de parasites.
Sécheresse, canicule, sols drainants et parasites
« Les années de sécheresse ont bien affecté les arbres, résume Pierre Athanaze, vice-président de la Métropole de Lyon et forestier de métier, auteur de nombreux ouvrages. On manque d’eau sur des sols très drainants. Derrière, on subit des canicules. C’est la double peine. »
Vénissieux, bâtie sur un ancien site glaciaire, n’est sans doute pas l’endroit le plus propice au développement de « géants verts ». L’été, ses sols s’assèchent rapidement. C’est ce qu’explique Mathieu Lamure, responsable des espaces verts, parcs et jardins du Grand Lyon : « On retrouve des moraines avec peu d’épaisseur de sol, composé de limon sur du sable. L’Est lyonnais est régulièrement en alerte sécheresse avant les autres. »
Un arbre qui « baisse les branches » est à la merci d’hôtes indésirables, comme les insectes ravageurs ou les champignons lignivores. « L’épicéa, qui résiste mal à la sécheresse et à la canicule, est attaqué par le scolyte qui l’achève de l’intérieur, illustre Philippe Laurent, directeur du service espaces verts de la Ville. Un conifère comme le pin fait face aux chenilles processionnaires. »
Ces changements climatiques révèlent une chose. La façon dont on plantait hier n’est plus adaptée. Le manque de diversification est aujourd’hui décrié. « Par le passé, on a commis l’erreur d’être dans un système avec peu d’espèces, analyse Pascal Goubier, directeur adjoint du patrimoine végétal de la Métropole. Platane, micocoulier, érable : à l’époque, c’était le trio gagnant. Il y avait même 75 % de platanes. Aujourd’hui, il n’y en a plus que 18 %. Les espèces ont été multipliées sous forme de clones. Comme elles partagent le même patrimoine génétique, lorsqu’un individu est touché, la probabilité que les autres résistent est égale à zéro. »
Adieu, platanes et épicéas
Face à ce constat alarmant, les pouvoirs publics modèlent leur stratégie de plantation. Sans aller jusqu’à établir une « liste noire » des arbres, certaines espèces sont aujourd’hui soigneusement évitées. Parmi les essences à proscrire, Philippe Laurent cite « l’épicéa, le hêtre, le bouleau et certains érables, qui ont subi énormément de pertes en 2019 et 2020 au parc des Minguettes. »
Philippe Baron, responsable du service nature et fleuves au Grand Lyon, gère les arbres d’alignement, le long des voiries. Pour cet expert, les iconiques allées de platanes appartiendront bientôt au passé : « Le platane, c’est fini à cause de la maladie du chancre coloré. L’érable, c’est compliqué à cause de la suie, un champignon. » Le tilleul et le frêne tendent eux aussi à disparaître de la palette végétale de la collectivité.
« On n’a pas trouvé l’arbre magique »
Alors que planter ? Et surtout, comment ? Ces deux simples questions remuent les méninges des professionnels. Des réponses affluent. La diversification est le maître-mot. Désormais, plus de 400 espèces peuplent le sol. « On n’a pas pas trouvé l’arbre magique, ironise Philippe Baron. Le leitmotiv, c’est de choisir un grand nombre d’essences différentes. » Pascal Goubier abonde : « On veut mélanger pour développer la biodiversité et apporter de la fraîcheur. Il y aura moins d’arbres bien alignés. L’esthétique sera différente mais tout aussi belle. »
Côté Ville, Philippe Laurent a coché quelques noms d’espèces viables : « Le micocoulier, le Sophora et le Melia résistent un peu mieux. L’important, c’est de planter des arbres plus jeunes. Leur système racinaire, moins développé, subit moins de traumatismes. »
Au parc de Parilly, Mathieu Lamure l’assure : malgré des projections climatiques inquiétantes, aucun palmier ne fera son apparition prochainement : « Ce n’est pas parce qu’on aura de plus en plus de coups de chaud qu’on aura un climat méditerranéen. On aura aussi des gelées en avril. Aujourd’hui, on replante du chêne vert, du chêne pubescent et du frêne à fleurs. On s’autorise de l’exotisme avec des espèces du Moyen-Orient. »
Repères
La Ville de Vénissieux gère environ 7 000 arbres sur la voie publique, dans des squares, ronds-points, écoles et autres équipements municipaux. La Métropole est responsable de 7 300 arbres d’alignement, notamment le long des rues et des voies de tramway. Le parc métropolitain de Parilly compte environ 18 000 arbres. Soit environ 32 000 individus à Vénissieux, sans compter le plateau agricole des Grandes Terres et les espaces privés.
Parc de Parilly : 120 tilleuls argentés abattus
L’emblématique allée charretière du parc de Parilly a vécu. Le 4 juillet dernier, la Métropole a commencé les travaux d’abattage des tilleuls argentés qui la bordaient. Les engins forestiers les ont coupés, débités et broyés. Ces arbres, originaires des rives de la Mer Noire et du Caucase, étaient condamnés à une mort certaine : un champignon les grignotait par en dessous et fragilisait leur assise. Entre 118 et 126 arbres ont été marqués. Au moins 36 d’entre eux étaient déjà parasités et présentaient un réel danger pour les promeneurs. Huit chutes d’arbres ou de ruptures de branches avaient été déplorées en quatre ans.
« Malheureusement, c’étaient des clones, multipliés par des greffes ou des boutures, constate Pierre Athanaze. Ils n’étaient pas issus de semis. Ils étaient génétiquement identiques. C’était une mode. Il fallait avoir des arbres bien alignés et homogènes. »
Ce champignon était passé sous les radars lors des expertises. Jusqu’à ce que la Métropole mandate un bureau d’études toulousain pour effectuer des recherches approfondies en juin 2021. C’est Pierre Aversenq, un expert en arboriculture ornementale, qui a résolu l’énigme du champignon tueur de tilleuls sexagénaires.
« On a détecté la présence de ce champignon suite à une rupture, précise le directeur de Chlorophyl’Assistance. Un arbre avait basculé et présentait un système racinaire dégradé dans sa partie centrale. »
Un champignon encore indétecté
Si ce champignon est minuscule, la découverte fut de taille. « Il s’agit d’un genre de coniophora qui attaque des bois enfouis dans des conditions de faible oxygénation, précise Pierre Aversenq. Il n’avait pas encore été détecté sur des racines d’arbres. L’analyse PCR n’avait encore jamais identifié ça. »
La Métropole a un plan pour faire revivre l’allée charretière sous une autre forme. L’alignement haussmannien des deux rangées de tilleuls n’est plus d’actualité. Mais le décor, plus fouillis avec 250 arbres et 2 100 arbustes, aura son charme.
« Dès novembre, on replante une quinzaine d’espèces, précise Mathieu Lamure. Des hauts jets, avec des Féviers d’Amérique et des micocouliers, et des arbres de taille moyenne comme des amandiers, des aubépines, des Érables de Montpellier ou des Arbres de Judée. »
La palette est validée par l’association naturaliste Arthropologia. « On essaye de recomplexifier un milieu qui a été trop simplifié, expose Hugues Mouret, son directeur scientifique. L’idée, c’est de recopier ce qui marche dans la nature, où les végétaux sont collés les uns aux autres et s’entraident. »
Echangeur Joliot-Curie/Bonnevay : des milliers d’arbres mort-nés
L’échangeur routier de la porte de Parilly, dont l’enroulement des bretelles forme un trèfle à quatre feuilles, est identifié comme un îlot de chaleur. C’est ici, sur environ deux hectares de pelouses coincés entre le périphérique Sud et du boulevard Joliot-Curie, que la Métropole de Lyon avait décidé de faire pousser une forêt urbaine de 4 500 arbres.
La quasi-totalité des plançons – branches servant de boutures – a grillé. Les plantations avaient été réalisées fin février début mars, au beau milieu d’une longue période de sécheresse. Il a fallu attendre plusieurs semaines avant que des gouttes de pluie n’atteignent les racines des plants forestiers.
75 % de pertes
« On pense qu’il y a 75 % de pertes, évalue Philippe Baron. Le bilan sera réalisé en septembre. On avait planté dense : environ 1 800 par hectare, en sachant qu’il y a toujours de la perte. Malheureusement, l’hiver et le printemps ont été secs et il a fait chaud très rapidement. »
Les érables, cèdres, frênes, chênes et les divers arbustes de lisière qui devaient s’enraciner dans le trèfle seront replantés dans les prochains mois. La collectivité aurait fait valoir la reprise de garantie auprès de son prestataire. « On a perdu un an, c’est dommage, soupire Pierre Athanaze. On avait planté tardivement pour des raisons de plannings de chantiers. »
Selon Pascal Goubier, de nouvelles précautions sont à prendre dès la saison prochaine, sous peine de connaître de nouvelles déconvenues : « Il faudrait planter au plus tard en janvier et en godet plutôt qu’en racines nues. »
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