Aux origines de l’école Jean-Wiener et des fêtes vénissianes de la musique se trouve… un groupe d’adolescents. C’était il y a plus de 150 ans.
Samedi 15 août 1891. Un jour férié, comme il l’est encore à notre époque. À Saint-Étienne, tous les trains arrivent bondés en gare de Châteaucreux. Leur longueur a pourtant été doublée, triplée même, mais c’est tout juste s’ils ont suffi à accueillir la foule qui, maintenant, s’écoule en une interminable queue. Tout ce monde converge vers l’hôtel de ville, paré de drapeaux tricolores, tandis que l’on a dressé des arcs de triomphe en travers des rues. « Sous ces portiques passe une multitude de gens qui soufflent et de gens qui écoutent », racontent les journalistes envoyés sur place. Le but de la journée est en effet musical. Saint-Étienne accueille, en ce 15 août, un concours de fanfares. « Il y en a 120, représentant exactement 4265 exécutants ». De quoi faire un fameux tintamarre ! Les voici à présent qui défilent, chacune derrière la bannière de leur société. Apparaissent la Fanfare des Anciens élèves de Blanzy, en Saône-et-Loire ; la Lyre roannaise ; l’Orphéon d’Annonay ; la Rumillienne de Rumilly, en Haute-Savoie ; l’Harmonie lyonnaise ; les Enfants de Nîmes, et tant d’autres encore. Et dans le lot, voici les musiciens de chez nous : la Fanfare de Vénissieux.
Ce n’est pas la première fois que l’orchestre vénissian quitte le Dauphiné pour faire résonner ses tambours et ses trompettes. Déjà en août 1882, il avait franchi les frontières françaises pour se produire au concours musical de Genève, se mêlant à « ces uniformes bariolés, ces milliers de grosses caisses bourdonnant, ces milliers de pistons aux voix claires, et ces millions [!] de trombones aux accents guerriers ». Pourtant, notre fanfare était encore bien jeune pour se frotter à une compétition internationale. Elle avait vu le jour moins de vingt ans auparavant, au printemps 1863, sous le règne de l’empereur Napoléon III. Cette année-ci, une quinzaine de « jeunes gens de la commune de Vénissieux », avait commencé à se réunir chaque semaine « pour s’exercer à la musique instrumentale ». Ils étaient pour la plupart adolescents, comme Eugène Chavant, un menuisier de 15 ans, les frères Peron, de 17 et 19 ans, l’aîné du groupe étant le cafetier Pierre Drivon, du haut de ses 25 ans. Pour eux, la magie de la musique avait rapidement opéré. Six mois plus tard, ils écrivirent au préfet car « le zèle et l’empressement de chacun leur a fait obtenir des progrès rapides, et tous maintenant désirent continuer ces petites réunions, qui font éprouver les bienfaits d’une distraction utile autant qu’agréable, en chassant de leur esprit les vains amusements qui trop souvent font les malheurs de la jeunesse ».
Enquête de police
Devant de si beaux arguments, le préfet se rallia à leur cause et envisagea que leurs « petites réunions » se muent en une association officielle. Un commissaire de police fut désigné, afin d’enquêter sur le groupe. Y aurait-il des agitateurs parmi eux ? De mauvais sujets de l’empereur ou pire, de dangereux républicains ? Le commissaire rassura le préfet : « La conduite de ces jeunes a été bonne jusqu’à ce jour, ils sont généralement bien considérés et appartiennent à des familles aisées du pays. Quant à leurs opinions politiques, il n’a pas été possible de les connaître par les motifs qu’aucun d’eux n’a encore eu l’occasion de les manifester ». L’on autorisa donc la fanfare de Vénissieux. Celle-ci se munit aussitôt d’un règlement en bonne et due forme. Sous la baguette du directeur, les musiciens se réunirent pour répéter tous les mardis et vendredis, dans le plus grand sérieux : « Pendant toute la durée des exécutions, l’on doit écouter avec attention les explications, (…) se parler avec toute la déférence et la politesse qu’exige une bonne société », tandis que « sont formellement interdits tous les morceaux ou questions politiques et religieuses ».
Puis, comme toutes les fanfares de village, la formation vénissiane multiplia les opportunités de jouer. Elle fut partout : « Aux solennités religieuses, aux concerts de bienfaisance, aux concours et concerts publics d’encouragement, enfin à toutes les manifestations autorisées ». Le 14 juillet ? La voici en première place. Un Comice agricole, cette fête des fermes du canton ? On la sollicita dare-dare. L’inauguration du monument aux morts ? Elle lui donna toute la pompe nécessaire. La voici encore dans les établissements scolaires, comme le 3 juin 1883, lorsqu’elle participa à la fête de l’école du Grand-Trou, près du Moulin-à-Vent, durant laquelle « la fanfare du Grand-Trou et celle de Vénissieux ont rivalisé de zèle, d’entrain et de bonne exécution ». Elle ne se fit pas prier pour jouer aussi à l’extérieur, comme en juin 1894 lors de l’Exposition universelle de Lyon, ou bien le 7 octobre 1894, pour les fêtes de l’inauguration du tramway électrique de Saint-Genis-Laval. Sous la direction de M. Chambon, notre fanfare exécuta ce jour-là deux morceaux : « La Tête d’Or », fantaisie de Félix Boisson, et « Le Pardon de Ploërmel », un opéra-comique de Giacomo Meyerbeer ; puis, à « 4 heures précises », elle partit dans un défilé à travers les rues saint-genoises et se joignit aux autres fanfares présentes – soit 250 exécutants –, pour entonner la Marseillaise. Seule la guerre menée contre la Prusse en 1870 interrompit ses représentations et provoqua même la dissolution du groupe. Mais la fanfare revit le jour en 1875 et, tout en démocratisant son recrutement et en s’ouvrant aux ouvriers, continua d’égrener ses partitions jusque dans la deuxième moitié du 20e siècle. Quant aux concours de Saint-Étienne et de Genève, elle n’en ramena aucun prix, pas même un lot de consolation. Bah ! Le plaisir est ailleurs. En avant la musique !
Sources : Archives du Rhône, 4 M 584, 4 Msup 15. http://collections.bm-lyon.fr/ journaux La Bavarde (17/8/1882), Tribune Lyonnaise (2 et 9/6/1883), Echo de Lyon (16/8/1891), Lyon-Exposition (27/5/1894), Nouveau Lyon (7/10/1894).
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