Le Vénissian Patrick Llored publie chez Médiaspaul « Une éthique animale pour le XXIe siècle ». Et livre une relecture politique et passionnante des écrits de François d’Assise.
– D’où vient cet intérêt pour les animaux et l’éthique animale ?
Il est lié à une expérience purement personnelle. Je n’avais aucune attirance pour les animaux et je me suis retrouvé à devoir vivre pendant plusieurs mois avec un chat, dans un espace réduit. Je suis passé d’une répulsion irrationnelle à une passion tout aussi irrationnelle. L’échange était possible et fascinant.
– Vous écrivez pourtant, dans votre livre, l’éloge de la dédomestication.
Nous imposons à nos animaux notre rythme, notre désir de les toucher. Nous les fragilisons, les rendons vulnérables et dépendants de nous. Un système dans lequel on créerait des droits politiques pour les animaux n’est pas utopique. Aux dernières élections, le parti animaliste a recueilli un score de 2,16%, presque autant que le PCF (2,49%).
– L’Assemblée vient de reconnaître la notion de souffrance animale…
Cette souffrance est un fait vérifiable que, pendant longtemps, on a refusé d’admettre. Il suffit d’avoir un système nerveux développé. Derrida disait que les animaux étaient là avant l’homme et qu’ils seraient là après sa disparition. Rien que cela, c’est respectable. Mais l’homme a pris le pouvoir sur le monde animal et il est important de se décentrer. C’est d’ailleurs l’un des buts de la littérature que sortir de l’illusion du propre de l’homme : dans La Métamorphose, Kafka transforme son personnage en insecte et, dans un roman de Pascal Quignard, le narrateur est un chat. Dès l’Antiquité, Plutarque se met dans l’esprit des cochons quand il reprend le récit d’Ulysse. Cyrano de Bergerac est le premier penseur de l’éthique animale, au XVIIe siècle. Dans L’Autre Monde, il inverse l’anthropocentrisme. Nous avons 500 ans de retard par rapport à lui. Descartes a tout chamboulé et notre vision de l’animal est devenue cartésienne. Cette lutte entre partisans et opposants des animaux a toujours existé. Aujourd’hui, la lutte s’inverse et les défenseurs prennent le dessus, y compris dans la culture populaire.
– Vous vous interrogez sur les religions, avec les animaux sacrifiés, expliquant que, « malgré la sécularisation et la laïcité, les idées religieuses sont encore le fondement de nos représentations du monde ». Et vous parlez longuement de l’expérience de François d’Assise.
Toutes les religions sans exception sont confrontées à la question animale. Ma vision du monde est surpolitisée et j’ai voulu faire une lecture politique des textes de François. La grande question qui se pose est celle-ci : parle-t-il vraiment des animaux ou est-ce symbolique ? Le loup de Gubbio est-il un animal ou le symbole du seigneur féodal ? Dans ce cas, François livre-t-il une lecture politique de la société de son époque ? Certains pensent que oui, pour ma part je ne crois pas. Je suis convaincu qu’il parle vraiment des animaux. J’adopte la position la plus compliquée. On a retrouvé un manuscrit inédit de Thomas de Celano, disciple de François. Des passages disent clairement que le religieux s’adressait aux oiseaux comme s’ils disposaient de la raison. Il n’est donc pas allégorique. Et même, à mon avis, plutôt marxiste et c’est pourquoi je le sors du folklore catho. Il est le premier à avoir déclaré qu’il ne fallait rien posséder. Pour lui, tous les êtres vivants sont à l’image du Christ et donc respectables. Il a une relation éthique avec les autres, humains ou animaux. Ce qui est moderne. C’est étonnant qu’on ait toujours considéré ses écrits comme symboliques, allégoriques. Il faut dire que tout a été censuré une trentaine d’années après la mort de François par le pape Bonaventure. Pour ma part, je préfère lui rendre cette force explosive qui nous apprend énormément sur notre violence par rapport à la nature, aux animaux et aux autres humains. Comprendre François, c’est comprendre sa folie et y entrer. Cette mystique matérialiste, j’aimerais continuer à l’étudier. J’ai ainsi plusieurs projets de livres sur la théologie franciscaine, sur une lecture psychanalytique de François d’Assise et sur la critique de la propriété.
– Une dernière question sur votre lectorat ?
L’enjeu est de faire se rencontrer des publics qui ne se rencontrent jamais, des athées aux mystiques, du grand public aux experts de la question animale.
« Une éthique animale pour le XXIe siècle » de Patrick Llored, éditions Médiaspaul, 17 euros
La question animale, de saint François à Derrida et Patrick Llored
Professeur de philosophie et chercheur en éthique animale à l’Institut de recherches philosophiques de l’université Jean-Moulin Lyon III, Patrick Llored se réfère souvent à Jacques Derrida, auteur de L’Animal que donc je suis (2006). Il en est proche mais est aussi, comme l’indique Hicham-Stéphane Afeissa dans sa remarquable critique d’Une éthique animale pour le XXIe siècle sur le site Non Fiction (nonfiction.fr), « certainement le meilleur connaisseur en France de la philosophie derridienne de l’animalité – philosophie qu’il a non seulement comprise en profondeur comme personne, mais qu’il semble avoir si bien assimilée qu’il parvient désormais à en prolonger les vues de manière créative ».
La partie la plus étonnante du livre de Patrick Llored est la lecture très personnelle qu’il donne des textes de saint François. Le sage d’Assise, précise-t-il, « n’a jamais prévu d’être au contact des animaux. Tout repose sur l’expérience imprévue qu’il en fait et est orienté par elle ».
Tout aussi imprévisible et convaincante est donc cette sorte de « sacralisation » de François d’Assise comme défenseur de la cause animale et déconstructeur de l’anthropocentrisme chrétien. Que diraient les animaux si on leur posait les bonnes questions, se demandait Vinciane Desprets dans un livre. Pour la paraphraser, ne pourrait-on dire que Patrick Llored pose les bonnes questions au saint médiéval et que ses réponses sont étonnantes ?
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