Invité par l’équipe du collège Aragon, l’écrivain et sociologue Azouz Begag, ministre délégué à la Promotion de l’égalité des chances dans le gouvernement Villepin, est venu discuter avec des classes de 3e, ce 21 février. Au centre des discussions, l’autobiographie (les élèves ont lu “Le gone du Chaâba” et “Béni ou Le paradis privé”) et la littérature, “une question centrale” selon l’écrivain.D’emblée, il parle de sa satisfaction de revenir à Vénissieux. “Dans les années quatre-vingt, rappelle-t-il, je venais pour jouer au foot contre l’équipe des Beaux zizis, dans laquelle était Luis Fernandez. On voulait tous faire du football… sauf moi. Je voulais poursuivre mes études. Mon père était venu de Sétif en 1947, Sétif où il y a eu un massacre le 8 mai 1945. Il disait que le seul moyen de se construire des ailes, d’échapper à la misère et à la boue, c’était d’écouter ce que les profs avaient à dire en classe. Il fallait apprendre le français mieux que le Francis. Lui-même le parlait mal et disait Francis à la place de Français. Il y avait un gars, dans ma classe, qui s’appelait Francis. Cest devenu mon obsession : être devant Francis !”
Il a beau avoir été ministre, Azouz Begag n’a pas changé. Il manie l’humour, sait parler aux jeunes et leur donne, l’air de rien, de belles leçons de vie. Azouz s’appuie sur sa propre expérience et montre qu’on peut être né de parents immigrés, analphabètes et formidables, avoir été élevé dans un bidonville et devenir lettré, auteur de 45 livres, ministre.
“Rien n’est impossible, clame-t-il. Aujourd’hui, quand on s’appelle Mohamed, Rachid, Fatima ou Fatoumata, c’est plus difficile que quand on porte un prénom chrétien. Et alors ? Soit vous pleurez et restez chez vous à regarder la télé, soit vous vous battez pour que ça change. Je suis allé depuis 20 ans dans toutes les prisons de France, invité par les bibliothécaires. Les détenus regrettent tous de ne pas avoir travaillé à l’école, ils disent tous qu’elle était une planche de salut.”
Il parle de ses déconvenues au sein du gouvernement auquel il a appartenu entre 2005 et 2007, des insultes proférées par le ministre de l’Intérieur et par celui des Collectivités territoriales, tous deux appelés à de plus hautes fonctions depuis (Nicolas Sarkozy et Brice Hortefeux). Devant la colère des élèves qui s’insurgent (“Faut pas se laisser faire, m’sieur”), il sourit : “La maîtrise de la langue est une arme de défense absolue. Je vous la conseille. Il faut combattre la discrimination par la connaissance, la culture. Pas avec les poings. Le coup de boule de Zidane a fait perdre son équipe. Ne succombez pas à la tentation de la violence mais utilisez le calme, la connaissance, la politesse. Ça désarme !”
Quand les collégiens lui demandent quelle carrière il préfère, la politique ou la littéraire, Azouz Begag répond : “Les deux. Il n’y a aucune raison de laisser la politique aux autres. Parmi les 577 députés à l’Assemblée nationale, aucun n’est Arabe. Pour lutter contre les tendances racistes, il faut voter, faire de la politique.”
“La société a-t-elle changé ?” questionnent encore les jeunes. “Tous les jours. Le nombre de filles voilées que je vois à Vénissieux m’impressionne. Les religions se sont invitées au centre de la société alors qu’elles sont de l’ordre du privé. Je suis contre les musulmans qui, à Paris, prient dans la rue. Mon père le faisait chez lui quand il ne trouvait pas de place à la mosquée.”
Et puisqu’il est là aussi pour parler littérature, l’écrivain avoue son attachement à “L’Odyssée” et à Homère, “un type de Saint-Priest”. Il explique l’étymologie du mot “nostalgie”, “la douleur d’avoir quitté le nid” et résume : “Ulysse, c’est l’histoire d’un gars qui veut retourner au bled.” Azouz teste même les élèves, qui lui renvoient la balle : “Ulysse est face au Cyclope. Vous le connaissez ? C’est le fils de qui ?” “Poséidon”, répondent plusieurs. À son sourire, on sent l’homme de lettres heureux.
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