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Portraits

Entre deux rives

En lançant sa propre marque de vêtements, Feyrouz Zaghdoud, jeune Vénissiane de 27 ans, entend casser les clichés sur les jeunes de banlieue et afficher sa réussite envers et contre tout. Sans renier ses origines.

Feyrouz Zaghdoud. En lançant sa propre marque de vêtements, cette jeune Vénissiane de 27 ans entend casser les clichés sur les jeunes de banlieue et afficher sa réussite envers et contre tout. Sans renier ses origines.

Fey était déjà une marque déposée, elle a donc choisi Feǝy. Deux symboles mathématiques qui s’opposent. Le “je suis, j’appartiens à” suivi du “je ne suis pas, je n’appartiens pas à”. À son image. “Je suis tiraillée entre deux mondes, entre deux cultures, confie Feyrouz Zaghdoud, c’est très difficile. J’ai grandi aux Minguettes, sans modèle d’identification. Nous, les jeunes de banlieue, c’est comme si notre destin était déjà tracé : on naît là, on reste là. Et ceux qui réussissent s’en vont, personne ne nous montre l’exemple. Moi j’ai décidé de m’en sortir en faisant quelque chose qui me plaît vraiment. Je vais tout faire pour que ça marche tout en assumant d’où je viens et sans jamais renier mes origines.”
Louis-Pergaud, Paul-Éluard, Marcel-Sembat, Jacques-Brel, Feyrouz, 27 ans aujourd’hui, a fait toute sa scolarité à Vénissieux. Et en garde un souvenir amer. “On m’a toujours dit que j’étais nulle. Quand j’ai eu mon bac en 2011 avec mention assez bien, une prof m’a dit sur un ton plein d’ironie : « Feyrouz, vous avez fait des étincelles. » En tant qu’élève de banlieue, on est conditionné, on nous force à rentrer dans une case. C’est soit bac pro vente, soit STG (sciences et technologie de la gestion, ndlr). Il n’y a rien de mal à devenir vendeur mais en restreignant nos choix, on met de côté notre potentiel. Tous les jeunes qui « retiennent les murs » en bas des tours, je suis sûre qu’ils ont du potentiel mais le système scolaire n’a pas réussi à le faire ressortir…
En 2018, la jeune femme obtient sa licence LEA (langues étrangères appliquées) — “La libération de toutes ces années de galère !” Un bac + 3 obtenu après un parcours sinueux, long de sept années compliquées. “Quand on se force à rentrer dans une case dans laquelle on n’est pas censé rentrer, ça prend du temps.” La fac d’abord, une première année de LLCE (langues, littératures et civilisations étrangères) à Lyon II, puis deux années de BTS commerce international à La Martinière Duchère, puis retour à la fac en LLCE avant une réorientation en LEA. “La fac, ça n’a pas été facile. Il y a plus de mixité qu’aux Minguettes et j’ai ressenti un décalage avec les autres étudiants. On avait peu de sujets de discussion en commun, on n’était pas du même milieu. Eux allaient en soirée, moi je rentrais chez moi.” Ses études malgré tout lui permettent de trouver des stages à l’étranger, Munich, Amsterdam.
Et ses étés, elle les passe en Algérie. “C’est là que, enfant, j’ai découvert la couture, auprès de mes tantes et de ma grand-mère. Depuis, je suis passionnée par l’univers des merceries et des marchands de tissus. C’est mon Disneyland à moi ! Et je trouve ça fascinant de transformer trois bouts de tissus en une jolie pièce.

Street wear et modest wear
En septembre 2018, c’est le déclic : Feyrouz décide de lancer sa marque. Pas assez de moyens pour faire une école de mode ? Qu’à cela ne tienne ! Elle va frapper à la porte de Positive Planet, avenue Jean-Cagne, qui accompagne les porteurs de projet, et finit par bénéficier d’un accompagnement de deux ans par l’Ouvre-boîte, accélérateur de talents basé à Caluire et porté par les Apprentis d’Auteuil. À partir de là, tout s’accélère pour la jeune créatrice : elle élabore sa première collection entre février et juin 2019 — “J’imagine un modèle, je travaille sur le patron, je découpe, j’assemble. Je fais tout ça chez moi, dans ma petite chambre, sur ma machine à coudre” —, se forme à l’entreprenariat et bénéficie d’un local pour faire connaître sa marque et vendre ses modèles, “deux mois cet été dans une boutique éphémère à Confluence et deux semaines à Oullins en septembre”. “Feǝy, c’est un mélange de street wear et de modest wear qui prend ses racines dans la religion musulmane. Il s’agit par exemple de porter un pantalon près du corps avec un vêtement ample comme un kimono. Les femmes se sont réapproprié cette mode pour en casser les codes. J’ai ajouté le street à mes créations pour casser la monotonie du modest wear et leur apporter un aspect urbain, atypique et versatile.
Les tissus avec lesquels Feyrouz travaille ses modèles, c’est sa mère qui les lui achète au marché des Minguettes. “J’ai reçu une éducation traditionnelle : faire des études, se marier, faire des enfants. Pourtant, ma mère m’a toujours poussée à aller plus loin. « Sois un homme ma fille », c’est ce qu’elle m’a appris. Ne pas montrer ses faiblesses, sa vulnérabilité. Quand on est une femme, arabe, musulmane et de banlieue, on doit se battre tous les jours et on a l’obligation d’être « armée » pour affronter le monde.
Aujourd’hui, la jeune femme espère un jour réaliser son rêve : “ouvrir un concept-store avec deux ou trois univers, vente de vêtements et accessoires, espace d’exposition pour mettre en lumière des artistes peu connus, et un coffee shop !
Sur le court terme, Feyrouz souhaite développer sa marque en trouvant un petit local pour créer ses modèles et des sous-traitants pour les produire en petites séries, et en s’investissant dans d’autres boutiques éphémères. Pour son premier défilé, organisé aux Halles du faubourg (Lyon 7e) début septembre, Feyrouz a su s’entourer : Halima, sa petite sœur, a fait les photos, Inès a qui l’on doit le logo de la marque a réalisé les vidéos, Rimel a choisi la musique et joué les mannequins d’un jour avec Khadija. “Mon but, c’est de stimuler les talents de mon entourage. Et pouvoir, un jour peut-être, les embaucher. On a toutes tellement de compétences à exploiter !

Compte Instagram : @feeyfeyvorite

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