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Culture

Littérature : ces Vénissians qui écrivent

Qui n’a pas été tenté un jour de se saisir d’un crayon ou d’un clavier avec l’envie secrète de publier ? À Vénissieux – les colonnes d’Expressions en témoignent fréquemment – ils sont nombreux à avoir franchi le pas. Souvent pour se raconter. Témoignages.

Qui n’a pas été tenté un jour de se saisir d’un crayon ou d’un clavier avec l’envie secrète de publier ? À Vénissieux – les colonnes d’Expressions en témoignent fréquemment – ils sont nombreux à avoir franchi le pas. Souvent pour se raconter. Témoignages.

Quelques auteurs vénissians
Agnès, Zine Bakhouche, Anne-Lise Blanchard, Sébastien Bonnet, Roger Bourdeleau, Eddie Breuil, Maurice Corbel, Guy Créquie, Sylviane Crouzet, Alain Deppe, Sylvie Doizelet, Muriel Ferrari, Gilles Florenson, André Gerin, Claude Gobet, Françoise Guérin, Albert Guignard, Andrea Iacovella, Josette Lacotte, Patrick Llored, Lise London, Hubert Marrel, Brahim Mazari, Ali Mebtouche, Alexandre Mouromtsev, Mahamoud M’Saidie, Caroline Nataieff, Marcel Notargiacomo, Novel, Michel Parra, Marc Porcu, Francis Pornon, Prak-Vah, André Reale, Thierry Renard, Nicolas Sérédiuk, Carlos Soto, Sonia Viel, Patrick Vighetti, Enzo Vito…

La rentrée littéraire 2018 comptait 567 ouvrages dont 94 étaient des premières œuvres. Aucun Vénissian parmi les auteurs. Ils sont pourtant nombreux, dans notre commune, à avoir publié chez des éditeurs nationalement reconnus, dans de petites maisons ou à compte d’auteur. Chaque cas est particulier. Il n’existe aucune marche à suivre qui mène sûrement de la page écrite au manuscrit publié.

Remontons le temps. Curieusement, alors que Vénissieux existe depuis l’époque romaine, on ne trouve traces d’écrivains qu’à partir de la fin du XXe siècle. Laissons de côté Lise Ricol qui, devenue Lise London, n’a publié le premier tome de ses mémoires qu’en 1995.

Le premier ne serait-il pas finalement Thierry Renard, aujourd’hui poète, éditeur et toujours Vénissian ? « Jean Albertini et Marcel Dumas, respectivement prof et intendant au collège Michelet, avaient organisé un concours d’écriture en 1976 ou 77 et, grâce à eux, mon premier poème a été publié dans la page de Vénissieux du Progrès. Puis j’ai rencontré Charles Juliet, qui a fait paraître mon premier recueil. Et, au début des années quatre-vingt, les premiers articles m’ont baptisé « Le poète des Minguettes ». J’ai continué à publier et, avec Sylviane Crouzet, Patrick Vighetti et Olivier Fischer, nous avons créé la revue Aube. »
Devenu éditeur avec Parole d’Aube puis La Passe du vent, Thierry a publié à son tour des auteurs ayant vécu à Vénissieux. Il cite Marc Porcu et Francis Pornon. Sa structure, l’Espace Pandora, a multiplié à partir de 1992 les ateliers d’écritures un peu partout dans la ville (Pandora, médiathèque, centres sociaux, IME, cinéma Gérard-Philipe, Maison de quartier Darnaise, Mission locale) et accueilli des écrivains en résidence.

« Lors du dernier Jour du livre, un collégien d’Aragon a suivi un atelier d’écriture avec Eugène Durif. Depuis, il n’arrête pas d’écrire. »
Malgré tout, malgré leur participation active aux ateliers, les Vénissians envoient peu de manuscrits à la maison d’édition et ne participent pas aux nombreux concours de nouvelles. Françoise Guérin — voir page 13 ???? — est l’une des rares exceptions. Les autres préfèrent publier à leurs frais (à compte d’auteur) ou passer par des éditeurs confidentiels.

« Pourquoi écrivez-vous ? »
Voilà bien la question que les grands journaux aiment à poser aux auteurs. Chez les Vénissians, on sent bien qu’au départ existe un parcours douloureux qu’ils ont besoin de décrire. C’est le cas de Michel Parra, aujourd’hui retraité cheminot. Si ses deux premiers romans parlent de lui et de ce qu’il a vécu, les suivants plongent dans la fiction pure. Ce qui vaut aussi pour Zine Bakhouche, dont nous avons parlé dans notre dernière édition. Ouvrier chez RV-I, Ali Mebtouche a raconté dans plusieurs romans son enfance en Kabylie ou les brimades dont il fut l’objet sur son lieu de travail. Quand nous l’avions rencontré en 2007, il nous expliquait qu’écrire était devenu une passion. « Mais quand on n’est pas allé à l’école, quand on a été toute sa vie ouvrier avec un niveau de CM2, c’est difficile de mettre les phrases sur un papier. » Citons encore Enzo Vito, qui a longtemps habité Parilly, et qui dans « De la mort à la vie », publié en 2009 sur un site internet, raconte le drame d’un accident et de la reconstruction. Dans « 60 ans pour réaliser un rêve » (2010, Édilivre), Alexandre Mouromtsev retrace son parcours de la France à la Russie soviétique. Hubert Marrel, dans « Goélands » (2018, Édilivre) raconte son expérience de directeur de la MJC. Quant à Carlos Soto, correspondant au Progrès, il cherche à publier ses souvenirs d’enfance à Séville, bousculés par une inondation et un accident d’avion survenu sous ses yeux.

D’autres encore s’axent sur la poésie (Agnès, Anne-Lise Blanchard, Claude Gobet), sur l’édition (Albert Guignard avec les éditions du Mont-Poppey, Andrea Iacovella avec La Rumeur libre) ou sur des thèses littéraires étonnantes sinon audacieuses : dans « Du nouveau chez Rimbaud » (2014, Honoré Champion), Eddie Breuil, élève au collège Triolet puis au lycée Sembat, qui a également publié chez Gallimard une étude littéraire, explique que « Les Illuminations » de Rimbaud ont été écrites par Germain Nouveau.

Encore un mot de Roger Bourdeleau qui, la retraite venue, a eu envie d’écrire des textes sur sa vie, ses combats et, depuis peu, des récits policiers. Il les fait relier chez Vénicopie en quelques exemplaires qu’il distribue à sa famille et… à Expressions. Un régal.

Sylvie Doizelet, Françoise Guérin : chez les grands éditeurs parisiens

En 1992, Gallimard publie dans sa collection Blanche « Chercher sa demeure ». L’œuvre d’une jeune romancière, Sylvie Doizelet, qui a vécu à Vénissieux dans le quartier Gabriel-Péri. Suivront au moins six ouvrages publiés à cette prestigieuse adresse de la rue Sébastien-Bottin, d’autres encore au Seuil, à la Table-ronde et chez Stock.

Le parcours est à peine différent pour Françoise Guérin, qui a vécu dans le quartier de la Division-Leclerc. Elle nous racontait, en 2014 : « L’écriture est là depuis que je suis enfant, liée en partie aux lectures. Ce qui m’intéressait déjà, plus que les intrigues, était de savoir ce que les personnages avaient dans leur tête […] Plus tard, j’ai eu une longue période pendant laquelle je n’ai pas écrit. Je m’y suis remise adulte, en 2002. »

Pour le concours de nouvelles Jean-Lescure, proposé par le cinéma Gérard-Philipe et Pandora, elle écrit pour la première fois un texte court, le propose… et remporte le premier prix. Elle recommence l’année suivante et gagne à nouveau la mise. La troisième année, le jury la prend pour présidente. La suite ressemble à un conte de fées : Radio France lui propose d’écrire des textes pour l’émission « Petits polars » et Le Masque, qui publie des polars, lui demande d’écrire un roman. Ce sera « À la vue à la mort », récit policier mettant en scène Lanester, « un personnage atypique, pas un flic qui sort son arme à tout bout de champ », récompensé de nombreux prix. Elle récidive avec « Cherche jeunes filles à croquer » et France 2 décide aussitôt d’en faire une série, baptisée « Lanester », avec Richard Berry.

Dernier ouvrage en date, « Maternité » est paru chez Albin Michel en mai. Prenant comme un polar, il traite de « souffrances dont on parle très peu : le désarroi de la mère et la responsabilité énorme qui lui incombe, l’effroi du corps du bébé ».


Mahamoud M’Saidie : les surréalistes l’ont libéré

Mahamoud M’Saidie a commencé à écrire des poésies il y a une quinzaine d’années, alors qu’il était lycéen aux Comores. « J’ai publié quelques poèmes dans le journal national et, après le bac, j’ai enseigné le français et l’anglais dans des collèges ruraux, dans le cadre du service national. Je suis venu en France pour mes études en 1985 et j’ai continué à écrire, dans un style très léger. »

Mahamoud passe son doctorat en lettres modernes (littérature comparée) en 2000. « L’année précédente, je me suis mis sérieusement à l’écriture. J’ai découvert les surréalistes en poésie. Ce sont eux qui m’ont libéré. J’avais envie d’être publié mais c’est toujours difficile. J’ai pu finalement le faire en 2001, à L’Harmattan, avec « Le Mur du calvaire », un recueil de poésies. Les grandes maisons ne publient que des auteurs reconnus. C’est le Comorien Mohamed Toihiri, l’auteur de « La République des imberbes », qui m’a indiqué L’Harmattan. Après, j’ai découvert d’autres maisons et, entre-temps, je me suis vraiment lancé complètement dans l’écriture. »

Mahamoud a depuis publié neuf recueils de poésie, des essais sur les proverbes, les devinettes et les superstitions des Comores, plusieurs romans pour la jeunesse, un roman pour adultes (« La tache d’identité », dont nous avons parlé dans notre numéro du 26 octobre 2016) et, pour la première fois, il se confronte au théâtre.

« Le Polygame de Barbès » et « Les Folles noires », les deux pièces présentes dans le livre qui vient de sortir chez Acoria Éditions, traitent de sujets (la polygamie et le défrisage des cheveux) qui, précise Mahamoud, « ne sont pas inventés ».

Sujets tabous
« Les Comoriens de France, surtout les ouvriers, n’ont pas toujours le temps de rentrer dans leur île. Quand ils veulent épouser quelqu’un, ils visionnent les cassettes des mariages au pays et découvrent de très belles femmes. C’est aussi simple que cela. »

Là où la situation se corse, dans « Le Polygame de Barbès », c’est que le héros est déjà marié et qu’il veut se choisir ainsi une seconde épouse. « Les filles acceptent, parce qu’elles veulent venir en France. »

Mahamoud décrit avec beaucoup de justesse et d’humour des situations pourtant dramatiques. « La beauté d’une femme embellit la laideur de l’homme« , écrit-il. Il fait dire aussi au chef du village qui accompagne la demande en mariage aux Comores : « Ce qui fait le bonheur d’une femme n’est pas la beauté de son mari mais la grosseur de ses poches. »

Ce cynisme amusant, on le retrouve dans « Les Folles noires » qui traite d’un sujet là encore douloureux : le fait que les Comoriennes, et les femmes noires en général, se défrisent les cheveux, portent des perruques et se pommadent de crèmes blanchissantes dangereuses pour leur santé.

« C’est un sujet tabou, commente Mahamoud. Ces produits se vendent sous le manteau et sont dangereux. Ils attaquent le cuir chevelu, provoquent des cancers. Pendant des siècles, les maîtres esclavagistes ont dit aux femmes noires qu’elles étaient laides. Elles ont idéalisé les blanches et cela a perduré. Regardez Whitney Houston, Michelle Obama et d’autres, elles portent des perruques, se font des lissages. Aux États-Unis, le mouvement Nappy lutte contre cette tendance. Mais dans ma pièce, il est aussi question de liberté car, face aux hommes, les Comoriennes revendiquent le droit de faire ce qu’elles veulent. Sauf que cette liberté-là n’est pas une vraie liberté, elles doivent assumer leur apparence. »

Mahamoud a encore plusieurs ouvrages en cours : « Je finis un essai sur les vrais noms comoriens, ceux qui ne sont pas d’origine arabe. J’ai aussi une autre pièce sur le mariage sans amour, qui s’appellera « Mariage arrangé ». Et j’ai encore deux recueils de poèmes. 2019 sera une année de publications. »


Francis Pornon : « Vénissieux m’a inspiré et influencé »

Pour quelles raisons êtes-vous venu à Vénissieux ?
Du fait que j’étais absorbé par ma fonction d’enseignant, mes débuts publics d’auteur avaient été tardifs. J’avais rencontré l’ancien maire André Gerin qui m’avait proposé de venir en résidence d’auteur afin d’écrire et d’accomplir des animations d’écriture avec la population. À la faveur d’un changement de vie, j’ai répondu à sa proposition en m’installant à la cité Max-Barrel avec ma nouvelle compagne, la cinéaste Marianne Neplaz, et sa fille Manon Coubia-Neplaz, alors collégienne et qui deviendrait aussi cinéaste.

Combien de temps êtes-vous resté ?
Je suis resté huit ans, plus que prévu, car les aspects administratifs prirent du temps et aussi parce que, ayant pris langue avec Thierry Renard (éditions Paroles d’Aube et association Pandora), ainsi qu’avec pas mal d’autres personnes, dont des écrivains, je trouvai dans la commune et ses voisines des collaborations avec les gens, les associations et les animateurs, ce tout en enseignant au lycée agroalimentaire à Saint-Genis-Laval. J’ai laissé sur place des amies et des amis en nombre, que je regrette vraiment.

Quel regard portez-vous sur ta période vénissiane ?
J’ai publié une douzaine de textes à Vénissieux dont trois romans, des poèmes, des carnets de voyage, du théâtre et des chansons et j’ai d’ailleurs mis en chantier des œuvres qui aboutirent par la suite (Algérie des sources). Le milieu m’a évidemment inspiré et même influencé dans mon parcours. J’ai notamment retrouvé l’Algérie à partir des immigrés locaux, mes écrits ont souvent été marqués par les grandes questions sociales et historiques, j’ai évoqué des personnalités, des individualités et des lieux de la région et j’ai aussi dérivé vers la littérature noire – le roman social de notre temps – avec la publication d’un polar qui se déroule à Lyon dans la série Le Poulpe : Saône interdite. 
Puis, je suis parti à Toulouse m’occuper de la maison de ma mère décédée. Or, survint l’explosion de l’usine AZF, il fallut reconstruire et je me suis trouvé absorbé là où j’avais passé mon enfance et ma jeunesse et suivi mes études.

1 Commentaire

1 Commentaire

  1. Hubert Marrel

    17 décembre 2018 à 10 h 37 min

    Je vous remercie chaleureusement de votre intérêt pour toutes celles et tous ceux de Vénissieux qui ont pris et prennent la plume afin d’exprimer ce qui leur tient le plus à coeur. Vous savez trouver les mots justes et encourageants pour ces pionnier.e.s de l’écriture qui ont osé un jour se lancer et… persévéré. Car même si l’on peut être doté d’une certaine facilité pour accoucher ses pensées sur papier ou écran, l’aboutissement sous forme de livre publié est le fruit d’une ténacité, d’une série de reprises encore et encore, allant parfois jusqu’au découragement. Mais celui-ci, une fois dépassé avec un certain acharnement, la récompense vient avec la joie de voir son « oeuvre » enfin réalisée concrètement.
    Et je vous redis mon grand merci pour votre article de cet été sur mon ouvrage Goélands retraçant vingt ans de travail collectif auprès de la jeunesse vénissiane par plein d’acteurs sociaux, culturels et éducatifs « qui y croyaient »… et que la médiathèque Lucie Aubrac a acquis.
    Merci à vous et à celles et ceux qui développent une Mémoire Dynamique pour notre temps.
    Hubert Marrel

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