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Elle nous parlent d’un temps que les moins de 80 ans ne peuvent pas connaître

Pendant des mois, à l’Ehpad La Solidage, Marie, Georgettes et Yvonne ont mis leurs souvenirs par écrit et aussi dans une petite boite… Découvrez leurs récits, témoignages émouvants d’une époque déjà enfuie.

Le 8 octobre, pour la 3ème année consécutive, l’Ehpad La Solidage a présenté les « boites à souvenirs » de trois de ses résidentes. Pendant plusieurs mois, Marie, Georgette et Yvonne ont retissé le fil de leur vie, retrouvé des souvenirs qu’elles ont mis par écrit mais aussi placé dans une petite boite qu’elles ont pu faire découvrir à leurs familles et aux visiteurs. Découvrez leurs récits, témoignages émouvants d’une époque révolue.

MA VIE EN CHANSON
Georgette Laramas a 85 ans. Elle a longtemps été soprano dans la chorale Debussy. Elle adore la chanson « L’amitié » de Françoise Hardy.

Je suis née, je vous l’ai déjà dit, je vais pas me répéter, à Charly. Quand j’étais petite, j’avais les copines dans la même rue. On jouait à la marelle, au vélo, ma préférée c’était Alberte !
Je suis partie en colonie de vacances. Une fois on était en promenade dans les sapins, y’avait un nid de fourmis, de fourmis rouges, une copine m’a poussée dedans, j’avais le derrière en feu…
Il n’y a pas eu que des bons moments bien sûr. Je suis tombée malade, des ganglions aux poumons. J’ai dû partir à Autrans durant deux années de suite, on était en quarantaine. Je devais m’occuper d’une petite, Gabrielle, une petite brunette. Je faisais la grande sœur, j’étais contente, moi qui suis fille unique. On s’est revu après car elle était d’Oullins et moi de Charly, la banlieue de Saint-Genis Laval. J’avais 10 ans à peu près à Autrans. Mes parents venaient en visite tous les deux mois, on n’avait pas le droit d’avoir la famille, après on se languit et voilà !
Après, j’ai fait l’école ménagère, on apprenait à coudre, repasser, tout, tout, tout. Mais moi ce que j’aimais par-dessus tout, c’était chanter. J’adore la musique, j’adore danser moi ! D’ailleurs mon mari, je l’ai rencontrée au bal. C’était à la Maison Dorée place Bellecour, J’étais sortie avec une cousine. Je dansais des tango, pasos, slows. C’est lui qui est venu me chercher. J’avais une petite robe de bal, c’est ma mère qui l’avait faite, en taffetas kaki, et des petits talons.
J’ai aussi fait partie d’une chorale jusqu’à y’a pas longtemps, la chorale Debussy. J’étais soprano.

« Quand on partait de bon matin
Quand on partait sur les chemins
Avec mes parents

Papa me mettait sur le porte-bagages
On profite du paysage
C’était le bon temps !

Le samedi c’était le marché
C’est maman qui est aimait m’y emmener
J’adorais ça !  »

DES POULES, DES LAPINS, DES COCHONS, ET MOI !
Yvonne Boulanger a 92 ans. Née en novembre 1926 elle a longtemps habité la cité Georges-Lévy. Elle a travaillé dans le textile et dans les cantines scolaires de Vénissieux.

Je suis née à Saint-Etienne de Saint-Geoirs, n’oubliez pas, le pays de Mandrin, en Isère, à 40 km de Grenoble. Je crois que je suis née à la maison. J’avais déjà une sœur aînée, moi je suis la deuxième, j’avais un an d’écart avec Anne-Marie. Elle faisait bien la ferme, oh ben moi aussi !
J’élevais des vaches, des chèvres, des cochons, on avait une grande ferme. La voisine, je la connais très bien, C’était Marcelle Arnaud, alors eux… c’était cher. Un jour, c’était fermé chez eux et des Grenoblois sont venus : on leur a piqué, on leur a piqué tous les clients, parce que c’était meilleur et moins cher ! Après, elle était sur le bord de sa fenêtre, là on n’était pas fiers.
Des poules, des lapins, des cochons, après l’école, il fallait s’occuper des bêtes. Ramasser les bouses de vaches, ben oui, les vaches elles font des bouses. Fallait les mettre pour faire du fumier, mais pas avec les mains, hein, je n’aimais pas faire ça.
Des vaches, des chèvres, des poules, moi, j’aimais ramasser les oeufs. « Cococo coac ! » les poules quand elles font des oeufs, elles chantent, même à 4 heures du matin. Moi j’aimais mieux les oeufs à la coque, pas dur dur. Je faisais des mouillettes avec du pain. C’est maman qui les faisait cuire, je mangeais ça des fois à midi, le soir, et le matin aussi. Vous savez les oeufs frais c’est quand même meilleur que ceux qu’on achète, des oeufs qui ont le goût de l’oeuf.
Des lapins, des vaches, des cochons, les pauvres bêtes. Je n’aimais pas quand on les tuait. C’était le boucher qui venait, il tuait que le gros. Ça me faisait pleurer parce qu’ils crient quand même, surtout quand on les a élevés, je leur donnais tout ce qu’il y avait de meilleur.
Des vaches, des poules, des chèvres, je les amenais en champs. On avait un grand terrain et j’avais un chien : Dick, un berger allemand. Je lui disais « va chercher les chèvres » et il y allait. On faisait du fromage avec les chèvres, on mélangeait avec du lait de vache, sinon c’est trop fort. Un jour, Dick a mangé la chèvre blanche.
Des poules, des cochons, des poulets et Jean, c’était un voisin, 18 ans par là, peut-être 20. On s’est marié à l’église, il avait un costume bleu marine, y’avait ma famille puis la sienne. J’ai quitté le patelin. Il était cheminot et conduisait les trains. On a eu cinq garçons et une fille. On a fait beaucoup de voyages, c’était gratuit avec lui, les voyages.
Plus de vaches, de chèvres, de lapins, mais des voyages. Je partais parce que j’avais l’occasion. Le Canada, c’était le plus joli. Et puis j’aime mieux l’avion que le train, parce qu’en avion on voit la Terre toute petite.
Le Canada, l’Espagne, un qui était triste, c’était Verdun. Dans ma valise je mettais tout ce que je voulais, il fallait s’habiller quand même. J’en ai fait des voyages. Chaque année, il passait le monsieur, j’me rappelle plus son prénom, « vous voulez partir ? » Oui, oui.

« J’L’AI PASSÉE DURE MOI LA JEUNESSE »
Marie Fernandez à 94 ans et 5 mois. Née à Vénissieux, rue Victor-Hugo en février 1924, elle a notamment travaillé aux usines Maréchal.

Moi mon enfance c’était pauvre, pauvre, pauvre. C’était moi l’aînée, c’était moi le pilier. C’était les enfants qui faisaient le travail. C’était comme ça, c’était la mode. On s’occupait à faire le ménage, à laver par terre, à entretenir la maison avec maman.
La corvée du linge c’était le jeudi quand il n’y avait pas école. Au robinet l’eau était froide, il fallait d’abord la chauffer sur le poêle. Les draps tu les fais tremper la veille avec de la lessive, tu enlèves un peu la crasse puis après avec du savon tu frottes sur la planche à laver. Ça faisait mal au bras et aux reins, ma pauvre ! Tu fais un bain de javel puis après tu frottes. Avec des boules de bleu on faisait le rinçage. Tu pouvais faire deux ou trois rinçages, ça dépend comment s’était savonné. Puis après, on repassait tout : les draps, les serviettes, quelle corvée !
À l’époque j’étais timide. On est timide jusqu’à un certain âge et après « adieu la timidité ». C’est les gens qui te dégourdissent ! Je l’ai passée dure moi la jeunesse. Quand je me suis mariée, j’ai dit « Oulà ! Vive la liberté ! »
Moi mes enfants ils n’ont jamais travaillé. Y avait que mon mari qui travaillait. À côté il était musicien, il jouait de l’accordéon, ça lui complétait bien son salaire. Monsieur Fernandez, je l’ai rencontré dans un car de voyage Lyon-Vénissieux. C’était un parisien, né à Aubervilliers. Comme il était musicien, il m’a dit « vous viendrez me voir jouer à la Maison du Peuple à Vénissieux ? » Il a fallu que je demande à mes parents. Les Espagnols ils n’étaient pas commodes, les filles, elles sortaient pas comme ça ! Comme ma sœur voulait aller danser, ils nous ont autorisé à y aller toutes les deux.
On a fait un mariage tout simple. Il n’y avait pas trop de sous, et il ne fallait pas parler d’église à ma belle-mère. Ça mettait la zizanie. Si on met la zizanie au début, c’est fini après ! On a eu trois enfants. Ils ont six ans de différence tous les trois. On dirait que c’était fait exprès ! J’ai peu montré à mes enfants que je les aimais parce que moi j’ai pas été habitué à être chouchoutée. On n’est pas « câlins » chez nous.
On a eu une vie toute simple. On ne sortait pas beaucoup. L’été on allait au camping à Palavas-les-Flots. On avait une 4L, une Juva 4. On mettait la tente, toutes les affaires et les trois gosses, une galerie, une remorque, et hop les vacances ! Palavas, les yeux fermés on y allait ! Enfin pour moi, c’était la série noire, j’ai horreur des campings ! Je n’ai pas été habituée comme ça. Quand j’étais jeune, fallait pas se déshabiller devant les parents. Dans le camping, on voit des gens presque tout nus au bord de l’eau alors moi je restais dans la tente. C’était pas mon rayon le camping, mais les enfants devaient aimer ça, la preuve, ils ont même acheté par là-bas !


Des mémoires au féminin
Les souvenirs de Marie, Georgette et Yvonne ont été recueillis patiemment et mis par écrit par Sylvia Bachelet (animatrice à La Solidage), Laetitia Anestis (chargée de projet à la Mutualité Française Auvergne-Rhône-Alpes), Sonia Faure (psychologue à La Solidage) et Émilie Chapuis (ergothérapeute à La Solidage). Merci à toutes de nous avoir permis de transmettre ces paroles si précieuses.

Photos © Alain Seveyrat -Expressions

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