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Culture

Samira Negrouche : lettres pour l’autre

À l’invitation de l’Espace Pandora, l’Algéroise Samira Negrouche s’est installée à Vénissieux fin janvier pour une résidence littéraire. L’occasion de rencontrer grands et petits lors d’ateliers d’écriture.

 À l’invitation de l’Espace Pandora, Samira Negrouche s’est installée à Vénissieux fin janvier pour une résidence littéraire. L’occasion de rencontrer grands et petits lors d’ateliers d’écriture. Elle participera, à Lyon, à “Magnifique printemps !”, réunion du Printemps des poètes et de la Semaine de la langue française, du 11 au 26 mars.

Dans son “Dictionnaire des idées reçues”, Flaubert ironisait sur la poésie, vue par le plus grand nombre comme “tout à fait inutile, passée de mode”. Il n’en est heureusement rien et la présence d’un poète dans une ville est salutaire, qui lui permet de rencontrer un grand nombre de personnes. C’est le cas de Samira Negrouche, huitième poète à être invitée en résidence littéraire à Vénissieux par l’Espace Pandora. Arrivée le 26 janvier, Samira a déjà rencontré les enfants de l’école Paul-Langevin et les adultes des cours de dessin des ateliers Henri-Matisse. Elle poursuivra avec d’autres écoles et collèges, les centres sociaux des Minguettes, la Maison de quartier Darnaise, le jardin de la Passion et la médiathèque Lucie-Aubrac.

“Tous ces ateliers sont très différents les uns des autres. Aux uns, je parle de résistance et d’engagement en poésie. Avec les arts plastiques, nous réfléchissons à la façon de traduire l’image en poésie et la poésie en image. À chaque atelier, mes propositions sont spécifiques, sinon c’est ennuyeux ! Le standard est sans intérêt.”

À propos de son art, Samira évoque l’exigence. “Il existe des poésies et non une poésie. C’est une littérature exigeante, à plusieurs couches, plusieurs entrées. Il faut réussir à prendre les gens par la main pour les amener dans des niveaux différents.”
Ce n’est pas la première fois que cette jeune poète, qui vit à Alger, vient à Vénissieux. Pourtant, Samira a découvert d’autres aspects de la commune. “Ma première image était celle des barres de béton. Aujourd’hui, j’aime beaucoup la présence des cheminées. Il se détache une grande sensibilité de ces symboles industriels, qui évoquent la chair des anonymes qui ont construit une partie de notre monde. Médecin de formation, je connais les maladies qui ont découlé de l’industrialisation et, malgré tout, elles me touchent, ces cheminées !”
Elle insiste aussi sur “une diversité qui gagnerait à être montrée”. “Je sais que vit ici, souvent difficilement, une population modeste mais c’est une énergie à transformer. On oublie que la richesse est aussi humaine.” Elle cite New York comme exemple de diversité et fait un détour sur les élections américaines.

“Ce qui se passe aux États-Unis est inquiétant… et réjouissant en même temps. C’est vrai qu’il existe toujours là-bas une inégalité flagrante mais la prise de conscience commence depuis l’assassinat de tous ces Noirs. Une école d’art, le Pratt Institute à Brooklyn, m’a invitée en novembre 2015 à participer à une master class sur les questions de racisme et de domination. Les artistes et les intellectuels réfléchissaient sur les schémas de la domination et regardaient comment rééquilibrer la balance pour que le ressentiment s’apaise. Après ma lecture à Brooklyn, je me suis rendue à Berl’s, une librairie consacrée à la poésie. Parmi les amis artistes qui m’accompagnaient, l’une était inquiète que je ne puisse plus revenir dans le pays si Trump gagnait l’élection. L’inquiétude existait déjà chez les gens conscients. Demain, il est possible que les droits les plus élémentaires soient bafoués. L’Algérie aurait pu faire partie des sept pays désormais interdits. Il faut lire “Citizen” de Claudia Rankine, qui témoigne de cette période d’éveil des créateurs par rapport à ce nouveau racisme anti-étrangers aux États-Unis. Ici, nous sommes dans le post-post-colonialisme. Ce qui nous manque le plus profondément, ce n’est pas tant l’intelligence qu’un minimum d’empathie. Et de se poser des questions sur sa place à soi et celle de l’Autre, en face.”

La maturité de la jeune femme trouve son origine dans son parcours. Née à Alger en 1980, elle est élevée par sa mère alors que son père travaille en France. “Il y avait grandi et était devenu vraiment français, même s’il continuait à parler le kabyle et avait gardé sa nationalité algérienne. La dernière fois que je l’ai vu, j’avais neuf ans et c’était à l’aéroport Saint-Exupéry. D’où mon émotion chaque fois que je reviens à Lyon. Il est mort quand j’avais 17 ans et je lui ai consacré un poème alors que j’avais 12 ans. Ma mère, qui enseignait le français à Alger, désirait que ses enfants aient une éducation algérienne et elle a choisi de rester au pays.”

“… des chars dans la ville,
le couvre-feu, la surveillance
des habitants parce que des groupes armés tournaient dans les quartiers.
Puis les premiers assassinats…”

Samira a 8 ans quand, en octobre 1988, l’Algérie bascule dans ce que l’on a appelé “la décennie noire”. “Il y a eu l’arrêt du processus électoral, des chars dans la ville, le couvre-feu, la surveillance des habitants, parce que des groupes armés tournaient dans les quartiers. Puis les premiers assassinats : ceux du voisin d’en face, du père d’une copine, de mon cousin le chanteur Matoub Lounès… J’ai grandi dans cet environnement.”

Face à l’horreur, Samira trouve le réconfort de la lecture. “J’ai commencé à lire très jeune parce que mon grand-père, qui était analphabète, avait acheté une librairie en 1963. Il avait un respect profond pour l’instruction et voulait que ses enfants fassent des études. D’une conscience politique très forte, il pensait qu’il fallait instruire la population. Je passais mes étés à travailler dans la librairie, ma chambre était une remise de livres.”

L’adolescente se sensibilise à la parole, à la résistance, à la musique, aux arts en général. Elle dévore tout ce qu’elle trouve dans la librairie du grand-père, la bibliothèque de sa mère, celle de l’école, du lycée, de l’ENS d’Alger où travaille une de ses tantes… “J’ai lu beaucoup de poésies maghrébines, une de mes profs militant pour son enseignement. Se posait alors la question de l’identité algérienne et il était important de se sensibiliser à la littérature des aînés, ceux qui ont défriché une part de la mémoire qui n’était pas enseignée à l’école.”
L’arabisation des cours débute à la fin des années soixante-dix et Samira, qui va souvent chercher pour ses devoirs les renseignements dans des livres en français, les traduit.

Le français devient “une langue étrangère importante” et c’est dans cette langue que Samira écrit ses premiers poèmes, alors qu’elle parle berbère à la maison et arabe à l’école. “Pas par choix idéologique mais parce que je lisais de la poésie en français : Hugo, Verlaine, Baudelaire, Lamartine…”

Entre son premier recueil, publié à 20 ans et contenant des poèmes écrits pour la plupart entre 15 et 18 ans, et son deuxième, deux ans après, arrive ce que la jeune femme appelle “une fulgurance” : elle s’ouvre à la poésie contemporaine. Elle estime que “L’opéra cosmique” et “À l’ombre de Grenade” ont “transfiguré” son écriture. Lorsqu’on lui demande le nombre d’ouvrages qu’elle a publiés, elle compte sur ses doigts : “Six recueils, deux livres d’artistes, un petit livre et plus d’une centaine de collaborations à des livres collectifs.”
Brillante en classe, Samira obtient son bac à 16 ans, s’inscrit en fac de médecine à Alger et obtient son diplôme de médecin. Parallèlement, à 19 ans, elle fonde une association et organise des rencontres littéraires qui vont devenir un festival. Puis elle est chargée de mettre en place le Printemps des poètes.

“J’ai fait cela jusqu’en 2012 et ça m’épuisait totalement. J’ai décidé de me consacrer à un travail plus personnel. Je suis heureuse de ce que j’ai pu faire, offrir à d’autres ce que je n’ai pas pu avoir tout de suite : une poésie contemporaine de qualité et diversifiée.”
Son plus gros budget, reconnaît-elle aujourd’hui, passe dans le culturel. “Je me fous de me passer d’un déjeuner pour mieux profiter de l’expo Matisse. Si je ne peux m’acheter qu’un seul jean en cinq ans, ce n’est pas grave, le sens de la vie n’est pas inscrit dans l’argent. Je ne veux pas me retrouver dans un boulot planplan pour juste gagner du fric et m’acheter une décapotable, ce serait une insulte à mon histoire.”

Dans le cadre de “Magnifique printemps”, Samira Negrouche sera le 20 mars à 19 heures au théâtre des Asphodèles (Lyon 3e), le 22 mars à 19 heures à la Brasserie de l’hôtel de ville, à Vaulx-en-Velin, et le 25 mars au CCO de Villeurbanne, pour “Mémoire vive”, la clôture qui se déroulera entre 12 et 23 heures.

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