Avant d’être considéré comme le « Monsieur hand » de Vénissieux, Lucien Lewandowski a usé ses fonds de culotte près de Villefranche, à Gleizé, où sa famille originaire de Pologne s’était installée. Le hand, Lucien le découvre un peu à l’école, mais c’est surtout son frère Joseph, « Zeff », qui lui transmet la passion. « À 16 ans, Zeff jouait déjà en Division 1 à Villefranche, il était très doué. C’est lui qui m’a poussé à venir le rejoindre. J’étais un joueur de bon niveau, sans plus, mais j’avais une bonne patte. Curieusement, ce n’est pas tant la pratique de ce sport qui me plaisait que les à-côtés. J’étais très timide, je découvrais un univers qui offrait une diversité incroyable : un mélange de fils d’ouvriers, médecins, architectes, qui se côtoyaient autour d’un ballon. Il y avait bien évidemment des Français, des Espagnols, des Italiens — pas encore de Maghrébins —, et je m’ouvrais sur d’autres horizons, sur un autre monde, je me socialisais. Ça a été une révélation. Même aujourd’hui, le hand, pour moi, c’est cet état d’esprit, cette diversité, ces rencontres, ces échanges tous azimuts. »
Lucien traverse une scolarité tranquille qui le mène jusqu’au lycée Claude-Bernard de Villefranche. Sans ambition particulière. « C’était comme ça, je voulais être ouvrier, au grand désarroi de ma mère. Mon père m’a pris au mot. Il m’a trouvé un stage d’un mois dans sa boîte. Il y avait d’énormes turbines produisant un bruit similaire à celui des concasseurs. Le soir, quand on me parlait, je n’entendais rien. La trouille de ma vie. Mais j’ai tenu un mois. Et à la rentrée suivante, je passais le concours pour devenir prof. Ma mère était soulagée, mon père tout autant je pense. »
“On était de vrais pionniers,
on devait tout faire :
jouer, entraîner, accompagner les jeunes,
assurer
e secrétariat, tracer le terrain…”
En se rapprochant de Lyon pour enseigner, Lucien cultive le hand qu’il pratique dans les bons clubs d’alors, Villeurbanne et Caluire. Son mariage avec Michèle, institutrice de Vénissieux, est un tournant dans son parcours. « J’ai pris un poste d’enseignant d’EPS et d’allemand au collège d’enseignement général Max-Barel. René Dauphin, mon beau-père, était trésorier de l’Amicale laïque Centre Pasteur (ALCP). En 1966, il m’a poussé à créer une section de handball, il en était président et moi, secrétaire et entraîneur. On a d’abord eu deux équipes de minimes et cadets qui jouaient à l’école du Centre. Les premiers temps, nous jouions sur de la terre battue ou sous les préaux. Mais le plus difficile était d’avoir des bénévoles pour nous aider. On était de vrais pionniers, on devait tout faire : jouer, entraîner, accompagner les jeunes, assurer le secrétariat, tracer le terrain… Parfois lors d’hivers rudes, avec l’aide des joueurs, on devait creuser des trous à la broche et à la massette dans le terrain glacé pour permettre l’écoulement de l’eau en cas de dégel. »
Bon an mal an, le club de hand vénissian s’étoffe, une nouvelle équipe se crée chaque début de saison, le bureau prend de l’envergure, notamment avec l’arrivée de Zeff Lewandowski et Jean Hugon, des chevronnés du hand. L’équipe fanion prend régulièrement de la hauteur. « Mais on commençait à être déjà à l’étroit dans notre gymnase du quartier Pasteur, se souvient Lucien. J’avais eu vent d’un projet de création d’un équipement sportif dans le quartier du Moulin-à-Vent, le gymnase Tola-Vologe, conçu pour le basket. Je n’ai pas hésité, j’ai rencontré les décideurs de la Ville, notamment Robert Sanlaville, adjoint, toujours très à l’écoute. Il a accepté de chambouler les plans pour que le hand puisse profiter de ces nouvelles installations. » Le gymnase Tola-Vologe, rue Brossolette, est mis en service en 1970. Bon timing puisque l’équipe senior accède en Nationale 3 cette même année. Pour autant, l’effectif vénissian, trop inexpérimenté car construit autour de juniors ne peut empêcher un retour en Régionale dès l’année suivante. « Un travail en profondeur s’imposait donc », note le bon Lucien. De 1971 à 1974, l’ALCP recentre ses activités sur le Moulin-à-Vent, s’appuie sur les forces vives du quartier : les familles Malfondet, Blanchard, Pesselon, Simon, Ollagnier. « La collaboration avec Jean-Pierre Merlaud et Serge Saissac, deux enseignants EPS du collège Balzac, nous a permis de franchir un cap sur le plan des entraînements, sur nos relations avec le tissu scolaire, sur la formation de jeunes joueurs aux tâches d’encadrement. » Un élan qui permet au club de retrouver la Nationale 3 en 1975. Et à Lucien de céder sa place d’entraîneur pour se consacrer à la présidence.
L’accession en Nationale 1B, l’antichambre de l’élite, intervient en 1985. L’ALCP se mue en HBV 85, étoffée par la fusion avec la section de hand de Parilly, créée par Maurice Blanc, un enseignant.
Deux ans plus tard, le club accède enfin à la Nationale 1A. Titres et trophées ne vont pas tarder à s’amonceler dans les vitrines du siège. « Quelle belle image de la ville donnait alors notre club de hand, s’enthousiasme Lucien. Bien à l’opposé de la réputation que certains voulaient lui donner. Le soutien accru de la municipalité et l’impact dans les médias nous encourageaient à voir plus loin. On a décidé de recruter progressivement pour ne pas détruire la cohésion de groupe. Entre 1986 et 1989, on a fait appel à Denis Lathoud, puis Mirko Basic et Yann Demeyer, et à des futurs « Barjots » comme Patrick Lepetit, Laurent Munier… » Une certaine usure semble toutefois s’installer, des joueurs cadres sont prêts à monnayer leur talent hors de Vénissieux. Notre prof de gym et d’allemand sort alors un joker de sa manche. Il les convoque dans la salle de l’école du Moulin-à-Vent et leur lance : « Et si je vous annonce l’arrivée d’un très grand entraîneur pour la prochaine saison, que faites-vous ? »
« Ce n’est quand même pas Sead Hasanefendic ? », se hasarde l’un des candidats au départ. Quelques jours avant cette réunion de la dernière chance, Lucien avait pris contact avec l’entraîneur en vogue de l’époque, sélectionneur de la Suisse puis de Créteil, club avec lequel il avait été vice-champion de France en 1988, puis champion et finaliste de la coupe d’Europe des vainqueurs de coupes l’année suivante. Remercié par les dirigeants cristoliens, le sorcier croate était libre et avait accepté le nouveau challenge. « J’ai encore une boule au ventre d’avoir dû remercier Serge Sayssac, mais il le fallait. »
Dès son arrivée sur Vénissieux, Sead marque de son empreinte le groupe lors d’une réunion de présentation. « Sans rien dire, de son regard de braise, il a attendu que deux ou trois joueurs qui fumaient écrasent leur cigarette avant de se lancer. Il savait trouver les mots justes. »
Sous son ère, avec un certain Gérald De Haro en adjoint, pur produit vénissian, ancien capitaine, le HBV 85 tourné vers le professionnalisme va écrire les plus belles pages de son histoire : vice-champion de France en 1990 et victorieux du tournoi des as, de la coupe de France en 91, puis doublé coupe/championnat en 1992 dans un Palais des sports de Gerland surchauffé par 4 500 supporteurs. « On était menés de 4 buts à moins de 3 minutes du clap de fin par l’OM-Vitrolles de Jean-Claude Tapie. Sead fait entrer Slimane (Ouerghemmi), un jeune espoir. C’est lui qui va remettre l’équipe sur les bons rails. Et on l’emporte dans une ambiance qui me donne encore des frissons. » Avec Lathoud, Monthurel, Munier et Thierry Perreux, quatre « Barjots », l’équipe de France remporte quelques mois plus tard la médaille de bronze aux Jeux olympiques de Barcelone. Après ces succès, de grandes difficultés financières apparaissent, malgré plusieurs contacts dont un avec Jean-Michel Aulas. Le club doit ainsi se séparer de ses meilleurs joueurs, mais reste incapable d’apurer ses finances. Accusant un déficit de 7 millions de francs, il est relégué le 14 juin 1994 en Nationale 1 pour raisons financières. Puis le tribunal de grande instance de Lyon prononce la liquidation judiciaire du HBV 85 en 1994.
Cinq ans plus tard, le néoretraité de l’Éducation nationale en profite pour cesser toute collaboration avec le club de ses amours. « J’avais délaissé ma famille pendant 30 ans, j’avais promis d’y remédier. » Sa famille, Lucien la comble par des voyages, notamment à Florence avec Michèle, des soirées au théâtre, au concert… Les Lewandowski ont également l’âme artiste, à l’image de leurs filles Marianne (théâtre) et Valérie (professeur au conservatoire de Lyon) et de leur fils Serge (ingénieur du son). Mais le handball, c’est aujourd’hui bien fini. Ne restent que les retrouvailles épisodiques, comme lors des 50 ans du hand vénissian fêtés le fin mai 2015.
Sylvie Cano
31 mars 2024 à 20 h 31 min
C lui qui m’a donné l’amour du handball un simple prof Eps un club de fou HBV85 mes meilleurs années c un grand homme et continuer c valeurs c juste un respect à sa memoir merci Lucien Lewandowski 🙂
maule jean pierre
6 juin 2016 à 16 h 32 min
en 1966 vous avez été le premier a me faire connaitre le hand,que de souveirs