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La guerre du Rhône

Aux 16e et 17e siècles, les Vénissians livrèrent une guerre de Cent ans contre monsieur de Chaponay. Toile de fond de cette lutte sans merci, le lit et les berges du Rhône. Ce territoire leur servait à faire brouter les bêtes et à se fournir en bois… jusqu’à ce que le roi le vende au seigneur de Feyzin, en 1541.

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Ces communaux étaient « les seuls pasquerages qu’ils ont pour la nourriture de leurs bestiaux et pour leur usage et provisions de bois ».

 

Ils les avaient toujours utilisées. Déjà leurs pères, et avant eux les pères de leurs pères, en des temps si lointains que la mémoire s’en était perdue, allaient couper du bois sur les îles du roi, et menaient leur bétail brouter l’herbe poussant sur les rives du Rhône. Les brotteaux, les îles et les marais que le fleuve formait et déformait au gré de ses crues en contrebas de Vénissieux, constituaient leurs « communaiges », un territoire utilisé en commun par tous les habitants du village. Et puis un jour, la catastrophe est arrivée.

C’était en l’an de grâce 1541. Le roi François Ier, qui avait grand besoin d’argent pour construire ses châteaux et mener des guerres en Italie, loua à perpétuité ce mélange de terres et d’eau au seigneur de Feyzin, monsieur de Chaponay. D’un seul trait de plume, et moyennant un tout petit tas d’or, ce pan de terroir avait changé de mains, les îles de Méan et de Feyzin, le brotteau Rouge, le brotteau Neuf, le brotteau de l’Epineuse, et encore les petits bras du Rhône poissonneux comme étangs en Dombes : la lône de Queue-de-Carpe et la lône de la Chêvre.

Aussitôt les Vénissians protestèrent. Ces communaux étaient « les seuls pasquerages qu’ils ont pour la nourriture de leurs bestiaux et pour leur usage et provisions de bois, qui leur est nécessaire pour faire cuire leur pain, pot, chauffage et autres nécessitez domestiques ». Otez-les, et les villageois ne pourront plus « subsister pour leur nourriture et entretien de leur vie et de leurs familles » – ni payer leurs impôts au roi, ajoutèrent-ils très opportunément.

L’affaire alla en justice, sans succès. Pire, en 1554 le successeur de François Ier, Henri II, remit à nouveau en location perpétuelle les anciens communaux vénissians. Et une fois de plus, la famille de Chaponay emporta le gros lot. Puis elle dépensa sans compter pour améliorer sa conquête. Elle fit planter plus de 40.000 arbres, des saules, des aulnes et des peupliers, bien adaptés aux terres gorgées d’eau. Ailleurs, elle ordonna d’arracher une mer de buissons pour les muer en prés et en champs de blé ; et pour protéger le tout contre les assauts du Rhône, les Chaponay armèrent les berges de digues de terre, de palissades en bois et d’une armée de pilotis. Grâce à quoi, les brotteaux vénissians étaient devenus très juteux. Nos prédécesseurs n’en furent que plus impatients de retrouver leurs droits.

Conscients de n’être dans cette affaire que le pot de terre luttant contre le pot de fer, ils optèrent pour une lutte sur deux fronts : une joute sur le terrain judiciaire, et un bras de fer quotidien sur les rives du Rhône. On recommença donc une procédure judiciaire dès 1554, à Vienne puis à Grenoble, devant la plus haute cour de justice du Dauphiné. Ce deuxième procès fut perdu. Qu’à cela ne tienne ! Les Vénissians en entamèrent un troisième en 1555, puis en 1556, 1557, 1575, 1578, 1588. Vous suivez toujours ? Huit procès successifs étirés sur presque cinquante ans ! Et tous avec le même résultat, la victoire des Chaponay.

Puisque justice n’était pas rendue, la guerre au seigneur se fit donc aussi à coups de batailles perpétuelles, sur les îles et les brotteaux eux-mêmes. Les Vénissians agirent comme si ces terrains faisaient toujours partie de leurs communaux ; ils y menèrent leur bétail et coupèrent du bois à qui mieux mieux, dévastant autant qu’ils le pouvaient les travaux effectués par les Chaponay. Pendant des décennies, les gardiens de troupeaux se heurtèrent aux gardes du seigneur, à coups de cris, de fourches et de bâtons. Ce diable d’aristocrate finira bien par céder à l’usure, pensaient les paysans.

Mais Chaponay ne lâcha rien. Lui aussi était un Dauphinois, donc une tête de bois. La valse des procès recommença de plus belle. En 1591, l’affaire remonta jusqu’à Paris, au palais du Louvre, où le roi Henri IV lui-même écouta les doléances des parties. Les représentants des villageois lui expliquèrent longuement leur point de vue : lors des locations perpétuelles de 1541 et de 1554 à l’origine de toutes ces tracas, le roi avait été floué par les Chaponay, qui avaient sous-estimé de manière éhontée la valeur des territoires loués. D’après les Vénissians, les îles et les brotteaux valaient au bas mot 20.000 Livres, tandis que l’exploitation des bois pouvait ramener 800 Livres par an et le droit de faire paître le bétail 400 Livres par an.

Des sommes faramineuses, à comparer aux 3-4 Livres de loyer annuel que les Chaponay versaient à la couronne ! Le roi avait été volé, avec la complicité du grand trésorier du Lyonnais, un oncle des Chaponay ! Dans le camp d’en face, le seigneur ne se démonta pas. La transaction avait été honnête, et si les terroirs valaient maintenant autant, c’est parce que leurs ancêtres les avaient valorisés à force de travail. Quant au discours misérabiliste des Vénissians, qui prétendaient que ces communaux étaient indispensables à leur survie, il ne valait pas tripette : c’était oublier que le village possédait une grande forêt du côté de Bron, sur la plaine et les coteaux de « Parely » (Parilly), et qu’il avait d’autres pâturages « dans l’étendue d’environ 200 ou 300 bicherées de prairies [soit 30 à 40 hectares], qui sont au long du Rosne »… Après un moment de réflexion le roi rendit son verdict : il débouta les habitants de Vénissieux, leur fit « défense de troubler et molester à l’avenir monsieur de Chaponay », et les condamna à payer 3000 Livres d’amende, et encore 1000 Livres d’aumône pour un couvent parisien. 4000 Livres, une fortune ! De quoi jeter sur la paille la plupart des familles du village.

Fin de la partie ? Non ! Nos concitoyens d’hier mirent huit ans à digérer le coup, puis revinrent à la charge en 1607, 1608, 1611, 1635, 1636, 1647 et enfin en 1648, année de leur seizième procès contre la famille de Chaponay ! Pour cette ultime joute, intentée 107 ans après le premier procès, et plus de cinquante ans après l’intervention d’Henri IV, le dossier fut jugé par le jeune Louis XIV, âgé de seulement 10 ans, et par sa mère la reine Anne d’Autriche. Les arguments des deux parties n’avaient pas changé d’un iota, ils s’étaient transmis à la lettre près, de génération en génération. Et le résultat fut exactement le même. Sauf que cette fois Louis XIV et Anne d’Autriche voulurent mettre un point final à cette guerre de Cent ans entre Vénissieux et son seigneur. Les manants furent condamnés à « ne plus a l’advenir, mener paistre leurs bestiaux, couper ny emporter aucun bois, troubler ny empescher lesdits de Chaponay en quelque sorte que ce soit. Et en cas de contravention [le roi] leur a permis et permet faire emprisonner les contrevenans ès prisons de la ville de Lyon, faire saisir leurs bestiaux et iceux conduire en ladite ville ». Cerise sur le gâteau, la sentence fut accompagnée d’une amende de 9800 Livres, soit le prix d’un petit château. KO debout, les Vénissians perdirent leur guerre de Cent ans.

Sources : Archives départementales du Rhône, 44 J 840 à 844.

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