Placée d’entrée sous le signe de « la contrainte et du partage », la quatrième édition du festival Hors Cadre, qui célèbre les rencontres du cinéma et de la littérature, a permis aux spectateurs de belles découvertes. Organisée par le cinéma Gérard-Philipe et l’Espace Pandora, la manifestation avait pour fil rouge l’exercice de style, autour du thème « À quoi joue-t-on ? ». Et jouer fut le maître-mot, ne serait-ce que parce les invités appartenaient à l’Oulipo. Créé par Raymond Queneau et François Le Lionnais en 1960, ce groupe international qui coopte ses membres tout autant chez les littéraires que les mathématiciens a ceci de particulier qu’il ne se prend pas très au sérieux. Au cours d’une rencontre à la médiathèque Lucie-Aubrac ce 12 avril, menée par Abraham Bengio, Hervé Le Tellier a expliqué en détail ce qu’était l’Oulipo, dont il fait partie depuis 1992.
« Je suis un mathématicien de petit niveau, devenu journaliste avant de finir ma thèse. Les maths, c’est pas comme le vélo… ça s’oublie ! Les deux conditions pour entrer à l’Oulipo sont : ne jamais demander et avoir l’unanimité des membres pour en faire partie. 38 personnes y sont, dont 19 excusées pour cause de décès. On ne peut pas être exclu de l’Oulipo ni démissionner, sauf en se suicidant devant huissier en disant que l’on veut quitter l’Oulipo. Notre but est double : créer et recenser les contraintes, avec la complicité du lecteur. »
Parmi les contraintes les plus célèbres, Hervé Le Tellier cite « La disparition » de Georges Pérec, roman ne comportant pas de lettre « E » dans ses 300 pages. Et son exact contraire, « Les revenentes » du même Pérec, qui ne contient aucune autre voyelle que le « E », avec quelques petites entorses que se permet l’auteur : déjà avec la faute dans le titre ou en décidant que que la lettre « Q » ne soit pas suivie du « U » (Pérec écrit « l’évêqe d’Exeter »). Il transforme aussi le son « I » en « EE », prononcé à l’anglaise. Bref, la contrainte crée le tour de force et l’humour.
De son côté, Hervé Le Tellier explique comment il a créé l’écrivain portugais Jaime Montestrela pour écrire « Les contes liquides ». « Un jour, un vieux monsieur est venu me trouver en me disant qu’il avait bien connu Montestrela. Je n’ai rien osé lui répondre. » Comme il avoue savourer les canulars littéraires, son interlocuteur lui demande d’évoquer Jean-Baptiste Botul, auteur de « La vie sexuelle d’Emmanuel Kant ».
« Mon copain Frédéric Pagès, qui est au « Canard enchaîné », a créé Botul. Un philosophe télévisuel a pris cela pour argent comptant et a cité Botul dans un de ses livres. » Après quelques colères plus ou moins contenues, BHL a accepté de recevoir, ex aequo avec Le Tellier, le prix Botul.
Avant d’être rejoint le lendemain par deux autres oulipiens, Jacques Jouet et Frédéric Forte pour une présentation de « Coffee and Cigarettes », le film de Jim Jarmusch, Hervé Le Tellier était à Gérard-Philipe le soir du 12 avril pour parler du « Grand retournement », un film sur la crise signé Gérard Mordillat et dialogué en alexandrins. Autant dire que les spectateurs furent conquis. « Beaucoup m’ont dit que c’était le plus beau film qu’ils avaient vu », commente Gérard Martin, directeur du cinéma.
Autre gros coup de cœur du festival, « Dead Man Talking » de Patrick Ridremont, lequel est venu en parler avec son scénariste Jean-Sébastien Lopez. Acteur et réalisateur du film, Ridremont a conquis le public. « Dead Man Talking » déborde d’idées et ne fait pas dans le « déjà vu », comme c’est malheureusement de plus en plus le cas dans le cinéma contemporain.
Le plein de spectateurs a encore été atteint le dimanche après-midi, lors de la restitution des ateliers d’écriture de Mouloud Akkouche. En bon écrivain de polars qu’il est, Mouloud avait donné un thème : vous êtes dans une gare, vous allez récupérer un sac perdu et vous vous rendez à l’un des rendez-vous de l’agenda qui se trouve à l’intérieur. Autant dire que ses « élèves » ont été inspirés, qu’ils viennent d’une classe de CLIS d’Henri-Wallon, d’un CM2 de Jean-Moulin ou d’une 6e de Jules-Michelet, que ce soit des adultes des centres sociaux des Minguettes, du centre associatif Boris-Vian ou ayant suivi l’atelier scénario pendant le festival Hors Cadre.
Beaucoup s’étaient donné rendez-vous pour lire des extraits de leurs textes, sous la direction artistique de la comédienne Claire Terral. Le cinéma et Pandora avaient donné au hall d’accueil des allures de SNCF (puisque c’est dans une gare que le sac est retrouvé). Sur scène, Mouloud tenait à remercier tous ceux qui l’ont accueilli, lui qui est devenu, le temps de sa résidence, « Vénissian à part entière ». À propos de Pandora, il ajoute : « Ils font un boulot de fous ! J’aime ce genre d’irréductibles qui, contre vents et marées, défendent la culture. Ils me font penser à ce village gaulois d’Astérix. »
L’Oulipo aidant, si la contrainte fut à l’ordre du jour au cours de ce quatrième Hors Cadre, elle ne vint jamais gêner son déroulement. C’est plutôt d’un festival sans contrainte dont il faut parler, qui a accroché à son palmarès des films pas toujours simples d’accès (« L’attentat », « Dead Man Talking », « Le grand retournement ») à côté d’œuvres plus médiatisées (« Les Croods », « Perfect Mothers », « La religieuse » ou la soirée De Palma).
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