Résistant, déporté à l’âge de 17 ans, militant infatigable de la mémoire, Charles Jeannin n’a eu de cesse de convaincre les jeunes que “la paix est la plus belle des choses”.
Pour rien au monde, Charles Jeannin n’aurait manqué la commémoration du 8 mars 1945, jour de la capitulation sans condition des armées nazies. Et ne vous avisiez surtout pas d’oublier ces deux mots : “Sans condition”, sous peine de vous attirer une volée de bois vert. Charles était là aussi chaque dernier dimanche d’avril, pour célébrer le souvenir de la déportation. Et le 2 septembre, en mémoire de cette journée joyeuse de 1944 où Vénissieux se libérait par un mouvement populaire d’insurrection.
Jusqu’à ce que ses jambes lui jouent un mauvais tour et ne le portent plus jusqu’au monument de la Libération ou devant le mur de la Déportation, Charles était là, accompagné de Rosette, l’amour de sa vie.
Charles Jeannin, décédé samedi à l’âge de 86 ans, avait un caractère bien trempé et une volonté de fer, qui ont sans doute aidé à ce qu’il revienne des camps nazis, silhouette famélique pesant tout juste 32 kg.
Charles était entré en résistance, alors qu’il n’avait que 16 ans. D’abord en apprentissage chez Berliet en 1940 (il a alors 14 ans), il entre ensuite aux aciéries de Longwy, puis à la Sigma. “Très vite, en juin 1943, j’ai rejoint la Résistance, grâce à Noël Descormes, futur maire communiste de Saint-Fons à la Libération. J’ai fait du sabotage et stocké des armes.”
En mars 1944, après un rendez-vous manqué à Villeurbanne où il doit livrer quatre revolvers à des camarades, sa route croise un barrage rue du professeur-Beauvisage. Les policiers français trouvent sur lui trois des revolvers qu’il n’a pu remettre. Arrêté, le gamin est conduit à la prison Saint-Paul puis au camp de Compiègne avant d’être déporté à Dachau. Le convoi compte 2 500 personnes. À l’arrivée, le 5 juillet 1944, à peine un millier seront encore vivants. Mais dans le wagon où Charles a été poussé, une discipline s’est mise en place. Chacun se déshabille pour gagner en espace collectif de survie, des roulements s’organisent pour s’asseoir. Il n’y aura dans ce wagon “que” 35 morts.
Charles Jeannin sera ensuite transféré à Neckarelz, un camp de concentration situé au-dessous de Stuttgart, où il travaille “à la mine”. Entendez que les déportés creusent sans relâche sous la montagne pour construire une usine de fabrication de moteurs d’avion. Il est épuisé, affamé. Sa vie ne tient qu’à un fil. Renvoyé en octobre à Dachau, il comprend qu’il va “passer au four”, comme il le dit crûment, mais une force incroyable le pousse. Il réussit à gagner une autre file… Sauvé. Deux fois, il échappera ainsi à la mort.
En novembre 1944, pour éviter une punition, il se porte volontaire pour entrer dans un commando. Le voilà à Gdynia, en Pologne, “sous-camp” du camp d’extermination du Stutthof. “Là-bas, il faisait des -25°, des -30°. On devait déplacer des traverses de chemin de fer, la peau arrachée par l’acier gelé.” Son dernier camp sera Sandbostel, vers Hambourg, où les prisonniers meurent par milliers de la dysenterie ou du typhus. L’armée britannique libéra le camp le 29 avril 1945. “Quand j’ai vu arriver les chars anglais, je suis tombé à genoux. J’ai dit : “On est libres ! Je peux crever maintenant, je crève en homme libre !”
Peu à peu, Charles va se retaper. Il revient à Vénissieux le 18 juin 1945. Il reprend vie, réapprend à rire, à chanter, à raconter des blagues, à jouer au foot, sa grande passion. Le voilà prêt pour le coup de foudre, lorsqu’il fait connaissance de Rose Barioz au cours du festival mondial de la Jeunesse démocratique, en 1948 à Lyon.
Dans la famille Barioz, on ne compte pas les faits de résistance, comme celui d’avoir caché des membres du groupe Guy Môquet. Le père et un frère sont déportés, la mère internée… À 13 ans, Rose elle-même est arrêtée, enfermée au dépôt des enfants de l’hôpital de l’Antiquaille, d’où ses amis résistants la feront sortir.
Rose et Charles. Ces deux-là sont faits pour s’entendre. Six mois plus tard, ils se marient, fondant une famille qui n’a pas été épargnée par les deuils. Mais jamais, dans la plus grande des peines comme dans les joies, Charles et Rosette ne se sont arrêtés, tant ils avaient l’engagement chevillé au corps. Compagnons dans la vie, compagnons de lutte aussi au sein de la FNDIRP, l’association de déportés au sein de laquelle Charles a assumé d’importantes responsabilités. Et au sein du PCF.
Une vie d’engagement
Charles Jeannin avait du caractère. Il me racontait ainsi récemment comment il avait interpellé un ancien maire de Vénissieux pour faire déplacer le monument de la Libération de la place Sublet vers le parc Dupic : “J’ai dit à Marcel (Houël) : on ne va pas continuer à rendre hommage à nos morts le dimanche, au milieu du marché et des arêtes de poissons !”
Il a aussi été un maillon essentiel dans la création, en 1979, du musée communal de la Résistance et de la Déportation, qu’il présidait. Dix ans plus tard, sur la façade du bâtiment (aujourd’hui baptisé “Maison Henri-Rol-Tanguy”), André Gerin alors maire commandait huit bas-reliefs en hommage aux combattants du bataillon FTP-MOI Carmagnole Liberté morts pour la France. Leur inauguration donnait lieu à une cérémonie au cours de laquelle Albert Goldman était décoré de la Légion d’honneur, sous les yeux de son fils Jean-Jacques. Le chanteur reviendra d’ailleurs en novembre 1999 au musée, à l’invitation de Charles Jeannin.
Charles était fier d’avoir fait visiter le musée vénissian à des dizaines de milliers de jeunes. Un jour qu’il les avait estimés à 65 000, il déclarait avec son humour pince-sans-rire : “Si on considère que le Musée s’étend sur 65 m2, cela représente quand même 1 000 enfants au mètre carré !” Boutade évidemment, car le but des bénévoles faisant vivre le musée n’est pas plus d’empiler les gamins que les documents : “Notre objectif est d’enseigner l’histoire de la Seconde Guerre mondiale aux jeunes et, en gardant cette mémoire vive, de les convaincre que la paix est la plus belle des choses.”
Charles Jeannin témoignait au nom de ceux qui ne sont pas revenus, victimes du nazisme et de ses complices de Vichy. “Certains diront peut-être : à quoi bon ? Mais les déportés ne peuvent pas oublier et le pourraient-ils, qu’ils n’en auraient pas le droit. Ils savent que le nazisme n’est pas mort, que le crime peut encore se produire. Oublier, ce serait trahir le serment que nous avons fait au jour de notre libération : “Plus jamais ça”.
Pour ses faits de résistance et pour son activité sans relâche, Charles Jeannin avait été fait chevalier dans l’ordre de la Légion d’honneur, et officier de l’Ordre national du Mérite.
Les funérailles de Charles Jeannin sont célébrées ce mercredi 6 mars, à 15 h 45 au nouveau cimetière de Vénissieux. L’hommage sera prononcé par André Gerin, député honoraire.
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