Entre 1850 et la Seconde guerre mondiale, vingt-quatre Vénissians nés au XIXe siècle ont été décorés de Légion d’honneur. Nous avons retrouvé dans les archives les traces de ces héros aux parcours souvent bien improbables, militaires, chanteur ou maçon.
L’hiver est là. Pourtant le soleil et l’air humide frappent comme des marteaux sur les têtes alignées ; encore une journée digne de l’Amazonie ou de la jungle africaine… En ce 11 juin 1877, la troupe s’est réunie pour honorer un Vénissian, loin, très loin des brouillards du Rhône. Exactement à l’autre bout de la terre : en Nouvelle-Calédonie, à Nouméa. Les hommes encadrent la place de la caserne en rang serrés, au garde-à-vous et baïonnette au canon. Face à eux le lieutenant-colonel Wendling, en grand uniforme et plus raide que jamais, clame la phrase traditionnelle en pareille occasion : « En vertu des pouvoirs que nous avons reçus, nous vous faisons Chevalier de la Légion d’honneur ». Il saisit sur le coussin la médaille au ruban rouge, l’épingle à la poitrine du héros de la fête, lui donne l’accolade et se fige à son tour au garde-à-vous. La fanfare du régiment entonne la Marseillaise. Quelle belle cérémonie ! Le capitaine Chosson en tremble d’émotion.
Qui aurait cru qu’un jour notre concitoyen d’hier entrerait au panthéon des gloires militaires ? Rien ne le prédisposait a priori aux champs de batailles, pas même son prénom : Fleury Chosson était né en 1834 d’un père charron et d’une mère au foyer. En 1851, il a 17 ans et s’engage dans l’une des plus prestigieuses unités du pays, le 32e Régiment d’Infanterie. Il a trouvé sa vocation et ne la quittera plus. Il gravit peu à peu les échelons : caporal en 1852, sergent en 1854. Arrive alors son heure de gloire : en 1855 son régiment débarque en Crimée, sur les bords de la mer Noire, où la France et la Grande-Bretagne mènent une guerre contre la Russie et où il participe au siège de Sébastopol. La ville ne tombe qu’après un an de combats extrêmement meurtriers, notamment lors de la bataille de Malakoff. Le Vénissian s’y distingue par son courage et sa combativité, dans les rangs français et même aux côtés des Anglais. Tant et tellement que se produit l’impensable : il reçoit « la médaille de sa Majesté la reine d’Angleterre ». Plus précisément, Chosson est fait chevalier « de l’ordre royal de Cambridge » par la reine Victoria elle-même ! Pas mal du tout, pour un habitant de la banlieue lyonnaise.
Malgré ce succès la suite de sa carrière ne s’écoule pas comme un long fleuve tranquille, puisqu’il est dégradé en 1862 et redevient simple soldat. Qu’a-t-il fait pour mériter une telle punition ? S’est-il battu avec un officier ? A-t-il voulu changer de régiment contre l’avis de ses supérieurs ? On ne le sait pas. Toujours est-il que l’armée l’affecte aux troupes d’un régiment de marine. Désormais il participe aux campagnes d’invasion et de colonisation menées par la France à travers le monde : à Saïgon (Vietnam) de 1863 à 1866 puis en Nouvelle-Calédonie de 1869 à 1871, et à nouveau de 1876 à 1879. Entretemps les galons pleuvent sur ses épaules, jusqu’à l’obtention du fameux ruban rouge en 1877.
Fleury Chosson ne fut pas le seul enfant de Vénissieux à recevoir la plus haute décoration française. Les archives de la Légion d’honneur mentionnent au total 24 personnes nées au XIXe siècle et distinguées entre 1850 et la Seconde guerre mondiale. Pierre Curty fut le premier d’entre eux, en 1856. Lui aussi était d’origine modeste : le ruban rouge récompensa ce fils de paysan pour ses 33 ans de service au sein de la gendarmerie. Soldats encore, Achille Daubresse, Claude Chambon, Etienne Fantozier, Antoine Sandier et d’autres. Ce poids des militaires parmi les heureux bénéficiaires tient au fait qu’au moment de sa fondation en 1802, la Légion d’honneur était destinée à remercier les « Grognards » de Napoléon Ier. Et de combattants méritants, Vénissieux n’en manqua pas. Jean-Marie Sandier (1853-1910), encore un rejeton de paysan, devenu capitaine à Grenoble, est décoré en 1889 pour avoir participé aux campagnes militaires en Algérie avant d’enseigner à l’école du Génie. Son lointain parent Antoine Sandier (1834-1908), fils de Jean-Jacques, maire de Vénissieux entre 1851 et 1865, reçoit la médaille pour sa participation à la funeste guerre de 1870 contre la Prusse. Idem pour le capitaine Etienne Fantozier (1844-1926) qui, après avoir combattu contre les Prussiens, eût la triste opportunité de participer à la répression de la Commune de Paris, en 1871.
Plus tard la Première guerre mondiale fut l’occasion de ramasser des décorations à la pelle… De parfaits inconnus ressortent des dossiers d’archives, dont aucune rue de notre ville porte le nom mais qui risquèrent leur vie pour en sauver des autres. Comme le colonel d’artillerie Achille Daubresse (1858-1934), d’abord distingué en 1900 pour « la large et utile contribution qu’il a apportée aux instruments destinés à la préparation et à l’observation du tir, en vue d’assurer au nouveau matériel un rendement maximum », puis pour avoir combattu sur le front de Dunkerque en 1914 où il fut gravement blessé. Le capitaine Claude Chambon lui, manifesta « le 23 juin 1915, lors de l’explosion du dépôt de munitions de Mesnil en Raitz, le plus beau courage et la plus grande activité pour éteindre les incendies des maisons du Mesnil », ce qui lui valut la Croix de guerre et la Légion d’honneur en 1916. La paix revenue, Chambon retourna à son métier, aux antipodes des horreurs de la guerre. Ce trompe-la-mort était… un grand chanteur professionnel. Il se produisit pendant de longues années sur les scènes parisiennes, tout en se dévouant sans compter pour autrui. La liste de ses responsabilités occupe plusieurs pages : vice-président de la Fédération du Spectacle, vice-président du dispensaire Maurice Chevalier, doyen de l’Association des artistes lyriques, etc. Ses engagements et sa carrière artistique lui valent d’être promu officier de la Légion d’honneur en 1939. Chapeau bas !
Son parcours personnel illustre une évolution dans l’attribution du ruban rouge, qui ne récompense plus seulement les hauts faits militaires mais aussi les mérites civils. Un domaine où les Vénissians brillent tout autant, à l’instar de Pierre Pérol (1864-1938). Ce maçon de formation, propriétaire d’une entreprise de bâtiments, réalisa de nombreux ouvrages d’art dont les ponts La Feuillée et de l’Homme de la Roche, à Lyon, ce qui lui valut de recevoir la médaille étoilée sur proposition du ministre des Travaux Publics. Nombre de nos concitoyens suivirent plus tard l’exemple de ces hommes d’honneur, et leur liste est loin d’être close.
1879. Fleury Chosson quitte l’autre bout du monde et revient au village. Il a enfin obtenu le droit de porter à côté de son ruban rouge, la médaille que lui a donnée la reine Victoria. « Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage, et puis est retourné, plein d’usage et raison, vivre entre ses parents le reste de son âge ».
Sources : Archives Nationales de France, dossiers personnels des membres de la Légion d’honneur (disponible en partie sur internet : www.culture.gouv.fr/public/mistral/leonore).
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