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Eddy L. Harris, l’ami américain

Arrivé à Vénissieux en résidence littéraire auprès de l’Espace Pandora début février, l’écrivain américain y séjournera deux mois. Avec, au programme, des ateliers d’écriture, des rencontres et une participation active au festival Magnifique printemps.

Photo Emmanuel Foudrot

Quand on lui demande comment il est arrivé à Vénissieux, Eddy L. Harris répond, imperturbable : « En train ! » On peut s’étonner en effet — et se réjouir — que la nouvelle résidence littéraire proposée par l’Espace Pandora soit cette année attribuée à un auteur américain. Thierry Renard, le directeur de la structure, explique qu’il avait invité Eddy il y a trois ans lors du festival Parole ambulante qui avait pour thème le fleuve. C’est que le premier (et formidable) livre d’Eddy, Mississippi Solo (paru aux États-Unis en 1988 et traduit en français en 2020 chez Liana Levi), raconte la descente du fleuve qu’il fit, à 20 ans en canoë, depuis la source du lac Itasca jusqu’à La Nouvelle-Orléans.

« Après l’université, j’ai trouvé du boulot chez IBM mais je rêvais de faire autre chose, explique Eddy. Je soupçonnais avoir un talent et je voulais devenir écrivain, sans avoir jamais été publié. J’ai décidé d’essayer d’écrire tous les jours, sans succès. J’avais ainsi vécu sept ans d’échecs quand j’ai décidé de descendre le Mississippi. »

De tous temps, les livres ont été importants pour lui. « Tout le monde lisait à la maison. Petit, j’adorais les biographies. Vers 10-12 ans, j’ai lu les classiques anglais. J’ai fréquenté un lycée où tout le monde était prout prout, puis je suis allé à l’université de Stanford, très réputée et, elle aussi, prout prout. Aujourd’hui, je lis les grands auteurs, les petits auteurs. J’adore Hemingway, James Baldwin, Faulkner qui, pour moi, est le maître. Il y a aussi Kerouac, Ferlinghetti, John Irving, Russell Banks, qui était un de mes amis, Carl Phillips… Et,chez les Français, Hugo. Je suis toujours amoureux de lui. Et Dumas, dont j’ai tellement aimé Le Comte de Monte-Cristo que j’ai été déçu par le film. »

Ne nous étonnons pas si Eddy manie aussi bien le français, jusqu’à la pratique de l’argot. Il vit en Charente depuis 18 ans. Pourquoi ce pays ? « Après avoir vécu en Allemagne, en Italie, en Angleterre, aux États-Unis et au Canada, je me suis arrêté en France. Je ne sais pas pourquoi. Un feeling, quelque chose dans la mentalité française qui correspond à ce qui est important pour moi : la vision du monde, la philosophie. Peut-être aussi la cuisine et le confit de canard. Je ne veux pas dire qu’il n’y ait aucun souci ici. »

Quant aux États-Unis, il cite quelques villes : « J’aime beaucoup New York. J’y ai vécu plusieurs fois mais aujourd’hui, je ne pourrais plus. San Francisco est devenue difficile. Même si j’apprécie Chicago, La Nouvelle-Orléans et Saint Louis, ma ville quasiment natale, c’est aujourd’hui le pays de Trump. Il reste beau à visiter mais je ne suis plus sûr de pouvoir y vivre ! »

Une addiction aux voyages

Il avoue son addiction aux voyages — son éditeur, Liana Levi, le surnomme d’ailleurs « touriste permanent ». « J’ai commencé à 16 ans et je n’arrête pas. Je le fais sans beaucoup d’argent. Mon premier voyage, entre deux années au lycée, a été la Californie. Ensuite, j’ai parcouru les États-Unis avec un pass Greyhound. Puis, j’ai acheté un pass pour les trains pour visiter l’Europe. »

Très personnels, toujours autobiographiques, ses livres sont basés sur sa vie, ses voyages. Après Mississippi Solo, il raconte, dans Native Stranger, sa traversée de l’Afrique, du nord au sud. Le troisième, South of Haunted Dreams, retrace son trip en moto à travers le Deep South. Et, dans Le Mississippi dans la peau, il redescend le fleuve, accompagné par une équipe de cinéma pour en faire à la fois un livre et un documentaire.

Eddy a beau déclarer, dans Mississippi Solo, qu’il ne s’est jamais senti différent comme Noir en Amérique (« Et j’ai réfléchi au fait d’être noir. Pour moi, cela n’avait jamais été un enjeu, plutôt un trait physique comme être de grande taille : un critère d’identification pour la police, une partie de mon identité, mais pas qui je suis »), la couleur de la peau est au cœur de ses récits. « Elle est toujours un problème aux États-Unis. Aujourd’hui, Trump parle d’annexer le Canada mais pas le Mexique, comme si elle était une tâche originelle. L’esclavage est basé sur la race des gens et l’Amérique s’est bâtie sur l’extermination des Indiens. On peut aussi évoquer l’exclusion des Portoricains, des Mexicains, des Chinois, qui ont pourtant construit le pays. Je me demande comment était la vie pour les Noirs en France aux XVIIIe ou XIXe siècles ? Nous avons une image de paradis racial, parce que la France a reçu des soldats noirs, des écrivains, des artistes noirs américains. J’ai grandi avec cette image d’une France non-raciste ! »

Dans son livre Paris en noir et black, publié en 2009 chez Liana Levi, Eddy écrit : « À Paris, je suis écrivain – noir, mais écrivain. À Paris, je suis américain – noir, mais américain. À Paris, je suis, tout simplement. Aux États-Unis, je reste avant tout et pour toujours un Noir. » Il se demande aussi si les Noirs de France, originaires des Antilles ou d’Afrique, sont ressentis différemment de ceux qui viennent d’Amérique ?

Et Vénissieux ? Comment perçoit-il la ville ? Au moment où l’on se rencontre, il n’y est que depuis dix jours. « Je suis dans mon appartement et je vais dans les lycées, les collèges et les écoles primaires. Je n’ai pas eu encore le temps de vraiment découvrir. Je trouve intéressant le regroupement des émigrants. Mais je me questionne sur le phénomène du « rester entre nous ». Je suis en France et je passe mon temps avec les Français, ne connaissant à peine qu’une dizaine d’Américains. J’ai remarqué qu’en Dordogne, les Anglais vivaient en communauté. Ils ne parlent pas français et c’est comme si un coin d’Angleterre était transportée en France. Je ne comprends pas ce concept. C’est la raison pour laquelle je suis bien dans mon village ! Le communautarisme m’échappe, comme si l’origine des gens comptait pour quelque chose. Pour ma part, je suis trop indépendant. »

Eddy L. Harris a publié l’an dernier un nouveau récit, Confession américaine. À son propos, il déclare : « Il est difficile de me classer. Dans les librairies, mes livres peuvent être rangés dans Essais, Voyages, Histoire… » Et si, pour parler de l’auteur, ceux qui le côtoient reprenaient tout simplement le titre d’un film de Wim Wenders : L’Ami américain ?

Bibliographie

Les livres d’Eddy L. Harris traduits en français ont tous été publiés chez Liana Levi.
Jupiter et moi (2005)
Harlem (2007, nouvelle édition en 2020)
Paris en noir et black (2009)
Mississippi Solo (2020)
Le Mississippi dans la peau (2021)
Confession américaine (2024).

Photo Emmanuel Foudrot

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