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Rap à Vénissieux : du rêve à la scène

Dominant en France, le rap attire de nombreux jeunes à Vénissieux, passionnés et désireux de percer dans ce milieu.

Le 7 février dernier,  Ärsenik était en concert à « Bizarre ! »- Photo Emmanuel FOUDROT

C’est devenu un incontournable de nombreuses playlists. En France, le rap domine le paysage musical et les chiffres le prouvent. D’après une étude menée par Red Bull et la Sacem, 73% des 14-35 ans et 78% des 14-24 ans écoutent des musiques urbaines françaises. Cette ferveur se traduit également dans les ventes d’albums : en 2024, parmi les vingt meilleures ventes en France, douze étaient des albums de rappeurs.

Ce mouvement culturel, né à la fin des années 1970 aux États-Unis, a fait son arrivée en France dans les années 1980. Une décennie plus tard, le genre explose grâce à des groupes emblématiques tels que Suprême NTM, IAM, Fonky Family ou encore Ärsenik. Au fil des années, le rap a évolué et s’est diversifié, donnant naissance à de nombreux styles : old school, boombap, hardcore, trap ou encore drill. Devenu un véritable moteur culturel, le rap inspire les jeunes de toutes classes sociales dans de nombreux aspects de leur vie : la mode, les comportements sociaux et même leur manière de s’exprimer. Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui rêvent d’une carrière aussi florissante que celles des plus grandes stars du milieu. À Vénissieux, cette aspiration est particulièrement présente, et beaucoup s’exercent à écrire des textes inspirés de leur quotidien. Les jeunes prennent exemple sur des artistes nationaux, mais aussi sur des rappeurs vénissians comme L’Allemand ou Durden, révélé par l’émission Nouvelle École sur Netflix.

Avant Ärsenik, le rappeur Rocé était aussi présent au concert, le 7 février dernier à « Bizarre ! »- Photo Emmanuel FOUDROT

L’un des avantages du rap est son accessibilité financière par rapport à d’autres styles musicaux. «Pour enregistrer un son, il suffit d’un micro et d’une cabine d’enregistrement, explique Hedi Duval, ingénieur du son chez BD Records, un studio d’enregistrement implanté à Vénissieux. Pour faire du rock, il faut des instruments, des micros pour chacun d’eux… tout se multiplie, y compris les coûts. » Il est également très facile de trouver des instrumentales sur Internet, et les productions restent généralement abordables. «On en trouve énormément sur YouTube, affirme le jeune homme. Pour 30 à 50 euros, on peut acquérir les droits sur une production, et tant qu’on ne perce pas, ces droits suffisent. »

Grâce à cette facilité de production, le nombre de rappeurs ne cesse d’augmenter, rendant plus difficile la tâche de se démarquer dans un paysage saturé. À Vénissieux, plusieurs acteurs du rap sont présents pour accompagner les artistes amateurs en quête de professionnalisation


Identité : un style à réinventer

Depuis plusieurs années, on entend parler de la région lyonnaise comme d’une scène «émergente». Pourtant très peu d’artistes sortent du lot.

«Lyon, ça ne breake pas comme Paris ou Marseille », lance Hedi Duval, ingénieur du son et responsable du studio d’enregistrement vénissian BD Records. Cela fait plusieurs années qu’il suit de près la scène rap de Vénissieux et de l’agglomération lyonnaise.

«On dit souvent que Lyon est une scène underground, explique-t-il. Pourtant, aucun artiste ne se démarque vraiment, car on évolue dans un créneau saturé par 70% des rappeurs du secteur. » Selon lui, la majorité des rappeurs de Vénissieux évoluent dans le style street rap. Nicolas Gonthier, programmateur de «Bizarre ! », la salle de concert spécialisée dans les musiques actuelles à Vénissieux (voir ci-dessous), observe aussi une forte présence de trap, drill et de ce qu’il appelle le «rap julien», inspiré du célèbre rappeur marseillais Jul.

S’inspirer et se démarquer

Dans la région, peu d’artistes ont réussi à se faire une place sur la scène nationale, à l’exception de L’Allemand et Durden, tous deux originaires de Vénissieux. « Je ne peux pas dire que les rappeurs ne sont pas bons, c’est juste qu’ils s’y prennent mal, analyse Hedi. Je vois des mecs très talentueux, mais ils sont trop enfermés dans leur créneau. Dans un milieu saturé, si tu fais la même chose que tout le monde, il faut le faire mieux pour se démarquer.»

Dans le rap, Lyon n’est pas une ville privilégiée par les labels et les maisons de disques en quête d’artistes émergents. Ils se tournent davantage vers Marseille et Paris, berceaux de nombreux grands noms du milieu.

Pour faire évoluer la scène lyonnaise, les rappeurs doivent donc se différencier des autres artistes tout en s’inspirant de ce qui existe déjà. NAG, rappeur vénissian, puise dans sa vie, ses expériences, ses doutes et sa vision de la société. «Il faut analyser les artistes existants et essayer de créer quelque chose d’unique, qui nous ressemble, explique le jeune homme de 25 ans. Il faut apporter un élément en plus par rapport aux autres.» En moyenne, il passe cinq heures par jour à travailler ses textes.

«On ne crée rien à partir de zéro : on prend, on s’inspire et on adapte la recette à notre sauce», souligne Hedi Duval. Il pointe du doigt la récurrence de certains thèmes dans les textes des artistes qu’il côtoie. «Parfois, on leur demande d’enlever tout le champ lexical de la drogue et de faire un morceau entier sans y faire référence. C’est un vrai exercice, car ils doivent raconter autre chose, quelque chose de plus introspectif : parler d’eux, de leurs émotions, de leur vie… et ça, c’est touchant.» Cependant, Hedi Duval le reconnaît : ce n’est pas forcément ce que recherchent les auditeurs. « Ils aiment le côté aventure, comme quand ils regardent des films de mafieux : ils préfèrent écouter du street rap, des histoires de gangsters, plutôt qu’un mec qui dépeint sa vie de manière trop honnête…»

 

BD Records : le studio qui donne de la voix

Il y a maintenant quatre ans, deux jeunes des Minguettes ont créé le studio d’enregistrement BD Records. «Ils ont ouvert ça par loisir et par passion pour la musique», explique Hedi Duval, ingénieur du son au sein du studio depuis son ouverture. Grâce au bouche-à-oreille, le studio
commence à acquérir une certaine notoriété à Vénissieux et au-delà. «Des gens viennent de la métropole, mais j’ai aussi une chanteuse de Bourg-en-Bresse, un rappeur de Saint-Étienne, de Dijon… II y a de tout, décrit Hedi. S’il y a un bon feeling avec l’équipe, les gens sont prêts à faire le déplacement.»
Face à lui, il retrouve tous type de clients, et 80 % d’entre eux font du rap. Des personnes venues par simple passetemps ainsi que des artistes qui aspirent à une carrière professionnelle dans la musique. «On accueille la clientèle, on enregistre les prises de voix, on fait une mise à plat ou un pré-mix pour qu’ils repartent avec une maquette propre qu’ils puissent utiliser, détaille Hedi. S’ils veulent aller plus loin et se professionnaliser, ils peuvent aussi faire mixer et masteriser leur morceau. C’est un traitement post-prise de voix qui prend en moyenne quatre heures. On obtient un rendu pro !»
Le jeune homme est ingénieur du son depuis six ans et a appris son métier en autodidacte. Passionné par ce qu’il fait, il prend plaisir à proposer un accompagnement poussé aux artistes qui viennent au studio. Il ne se contente pas d’enregistrer leurs sons, il les conseille également dans leur création. «Notre objectif est de soutenir au maximum ceux qui viennent faire ça sérieusement, affirme le jeune homme. Pendant la séance, on est là pour les pousser à donner le meilleur d’eux-mêmes afin d’obtenir les meilleurs résultats.».

Accompagnement : «Bizarre !», un soutien à la création

Depuis 2016, la salle de concert «Bizarre !» propose des dispositifs d’accompagnement aux rappeurs amateurs et professionnels.

« Bizarre ! » propose des ateliers pour accompagner les rappeurs amateurs.

Sa façade multicolore se distingue dans le paysage vénissian. Ouverte en 2016, la salle de concert «Bizarre !» est spécialisée dans les musiques actuelles et notamment la culture hip-hop. Elle accueille le public de Vénissieux et des communes avoisinantes, pour des concerts ou pour participer à ses ateliers.«Notre cœur d’activité est le soutien à la création, assure son programmateur, Nicolas Gonthier. Notre ligne de diffusion est différente de celle d’autres salles. Nous devons programmer une vingtaine de soirées par an, ce qui représente une trentaine d’artistes

Le rôle de Nicolas Gonthier est donc de sélectionner les groupes qui se produiront lors des spectacles. Il recherche des têtes d’affiche et propose, pour les premières parties, des groupes que «Bizarre !» accompagne ou a repérés. «On essaie de créer des liens entre nos différentes activités». Des cartes blanches peuvent aussi être confiées à BD Records, un studio d’enregistrement de Vénissieux (voir ci-dessus), qui choisit alors les artistes qu’il souhaite programmer.

Au sein de cet espace, de nombreux ateliers d’accompagnement sont proposés, notamment dans le milieu du rap. Le public peut choisir parmi différents programmes en fonction de son niveau. «Nous avons par exemple Plan B, qui vise à amener les artistes vers la professionnalisation grâce à du coaching, des résidences ou encore des workshops, illustre le programmateur. Nous avons des critères de sélection : nous prenons en compte leurs projets futurs afin que cela coïncide avec la sortie d’un EP, d’un album ou d’un clip, pour maximiser leurs chances d’être repérés.»

Les jeunes de Vénissieux au cœur du projet

«Bizarre !» propose également l’Atelier rap, un dispositif destiné aux rappeurs amateurs. Pendant cinq séances, une dizaine de participants travaillent l’écriture et la pose de la voix avec l’aide de Raistlin, rappeur, DJ et beatmaker. Pour les plus à l’aise, il est ensuite possible d’intégrer le Labo rap, un programme accessible sur dossier comprenant neuf séances réparties sur trois mois. «Ce sont des ateliers quasi hebdomadaires et l’objectif est de préparer un concert, programmé dans la saison, confie Mirandoline Audouin, chargée des relations avec les publics. Les participants se produisent sur scène, face à un public, d’où l’importance de la sélection: nous ne voulons pas mettre les jeunes en difficulté

Les rappeurs 2Lyricists, qui ont assuré la première partie de Rocé et Ärsenik le 7 février dernier à « Bizarre ! », proposent également des ateliers à des lycéens vénissians. -Photo Emmanuel FOUDROT

Certains dispositifs sont spécifiquement réservés aux jeunes de Vénissieux, comme La Relève, qui accompagne des groupes émergents. Des rencontres sont organisées avec des professionnels du secteur, notamment des managers et des bookers. Des ateliers d’écriture et des séances avec une écrivaine de théâtre sont également proposés : «Nous pensons qu’il est intéressant pour eux de confronter l’écriture rap à l’écriture théâtrale, développe Nicolas Gonthier. Cela leur permet d’élargir leur horizon artistique plutôt que de s’enfermer dans un seul style

Cette année, cinq jeunes participent au projet, dont NAG, un rappeur vénissian de 25ans. Après son passage au Labo rap en 2020, il a souhaité se professionnaliser : «J’ai postulé plusieurs années de suite à La Relève, mais je n’ai pas été pris. Avec du recul, je me rends compte que je n’étais pas prêt.» Entre-temps, il a multiplié les concerts pour se faire connaître dans le milieu. Cette année, pour sa candidature, il a enregistré EZIDA, un EP de cinq titres. «J’ai écrit, puis enregistré mes sons en studio, où un ingénieur du son m’a donné des conseils et des pistes d’amélioration.» Avec ce dispositif, NAG espère mieux comprendre les rouages de l’industrie musicale afin d’acquérir les clés pour se démarquer. «Je travaille beaucoup seul et, lors des open mics, mon entourage était toujours bienveillant. J’avais besoin d’un regard professionnel.»

Le rappeur vénissian NAG est passé par le Labo Rap avant d’intégrer le dispositif La Relève.

La salle de concert mène également des actions auprès des collèges et lycées. Il y a un an et demi, une formation sur la culture hip-hop a été lancée pour les enseignants. Au programme : des conférences avec des rappeurs et danseurs professionnels, ainsi que des journées de pratique. «L’idée est d’expérimenter le graffiti, la danse hiphop et le rap», explique Mirandoline Audouin. Certains enseignants, après avoir suivi cette formation, ont lancé des projets dans leurs établissements. C’est notamment le cas du lycée Sembat-Seguin, où deux programmes ont été initiés. Le premier, ouvert aux élèves volontaires de la seconde à la terminale, propose des ateliers de rap et de théâtre. Le second implique trois classes de seconde : l’une travaille sur le rap, une autre sur la danse hip-hop, et la dernière, en partenariat avec l’espace Pandora, explore la poésie et le slam. Une restitution est ensuite prévue à «Bizarre !».

Plus d’informations sur le site de « Bizarre ! »


Notoriété : des défis pour percer

Chez les jeunes rappeurs, le rêve est le même pour tous : devenir un artiste incontournable. Avec l’apparition des réseaux sociaux et la rapidité avec laquelle certaines vidéos deviennent virales, on pourrait penser qu’il est plus facile de percer. C’est pourtant exactement le contraire qui se produit. « Il y a une énorme concurrence, observe NAG, rappeur vénissian. On voit des artistes avec des sons incroyables et on se demande pourquoi ils ne réussissent pas. » D’après lui, la solution pour se faire connaître au niveau local est de multiplier les concerts. Depuis plusieurs mois, il monte régulièrement sur scène pour présenter ses textes. Lors d’un concert à La Marquise à Lyon, il a notamment assuré la première partie de Durden, un autre artiste vénissian aperçu dans l’émission Nouvelle École sur Netflix.

 

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«Beaucoup de rappeurs, parmi ceux que l’on croise, sont autodidactes. Ils ne passent plus par des écoles de musique ou des conservatoires, constate Mirandoline Audouin, chargée des relations avec les publics à la salle de concert “Bizarre !” à Vénissieux (lire ci-dessus). Ils commencent dans leur chambre et évoluent souvent seuls, sans musicien, technicien ou DJ dans leur entourage. »

Au cours de sa carrière, Hedi Duval, ingénieur du son au sein du studio d’enregistrement BD Records, a vu passer de nombreux artistes. Selon lui, percer grâce aux réseaux sociaux reste un phénomène très rare : « Pour certains, il suffit de créer un projet, de le partager sur les réseaux sociaux, et c’est gagné. Mais en réalité, obtenir des streams grâce à cela, c’est très difficile. Il y a aussi une sorte de fierté chez certains artistes qui se disent : “Je ne paie pas, je vais y arriver seul.” Mais il faut investir financièrement pour se faire voir. C’est un circuit très complexe. »

D’après Hedi, l’une des meilleures stratégies pour percer reste d’être repéré par des studios d’enregistrement, des labels ou encore d’investir dans des curateurs de playlists. Ces derniers créent des sélections musicales sur différentes plateformes de streaming et, parmi des artistes connus, mettent en avant de nouveaux talents pour fidéliser les auditeurs. Hedi conseille aux artistes d’investir dans leur image et leurs créations, comme le ferait une maison de disques ou un label : « Les curateurs permettent d’atteindre une vraie audience, avec des personnes qui ne vous connaissent pas mais qui, en vous écoutant, vont se dire : “J’aime bien, je vais ajouter ce son à mes coups de cœur.” » Il met toutefois en garde contre certains curateurs malhonnêtes qui utilisent des robots pour gonfler artificiellement le nombre d’écoutes : « Vous avez des écoutes, mais pas d’engagement : personne ne va vous ajouter en coup de cœur. Il faut réussir à trouver les bons contacts. Cela peut prendre du temps et coûter cher, mais il est essentiel d’investir pour être mis en avant. »

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