Portraits

Enrico Rea, lutteur catégorie poids lourds

Le président de l’association Halte au bruit et à la vitesse s’est battu toute sa vie contre le passage de camions sur le chemin du Charbonnier.

Entre Isola del Liri, commune proche de Frosinone, en Italie, et Vénissieux, il y a à vol d’oiseau près de 900 km. Et près de 1 100 par la route. Mais aussi, des liens forts entre les deux villes, de nombreux natifs des environs de la première s’établissant dans la seconde et ses alentours, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Dont Enrico Rea, 17 ans au moment de quitter son Italie natale, 83 ans aujourd’hui.

« Mon père était bâtisseur, se souvient Enrico Rea. Un de ses frères vivait déjà en France, à Lyon. Après ma formation de tourneur et l’obtention de mon brevet technique, nous avons pris la direction de Lyon. En Italie, c’était difficile, il n’y avait pas beaucoup de travail. Je crois que partir, c’était la bonne décision. »

Installé dans la capitale des Gaules, il perfectionne son français en même temps qu’il entre dans une entreprise de métallurgie. « Puis, en 1969, j’entre chez Marius Martin en tant que tourneur. J’ai participé à l’implantation, dans l’entreprise, de la CGT. De beaux souvenirs… »

De lutte(s), assurément. Tout d’abord pour y pérenniser, avec d’autres camarades motivés, le syndicat, avant d’être élu délégué et d’entrer au comité d’entreprise. Ensuite pour assurer la survie de l’entreprise et la qualité de vie au travail de ses collègues et camarades. « Il y a eu plusieurs moments difficiles, mais je me souviens avant tout du moment de la vente de Marius Martin au groupe suisse Bobst au milieu des années 1980. Les Suisses, c’était avant tout des vendeurs de machine, nous, nous étions des travailleurs ! Pas la même ambiance, pas les mêmes réflexes et repères… Mais on avait fait les choses bien : quand les patrons sont arrivés, ils ont été accueillis par 300 ouvriers, postés devant la porte de l’usine. Ça pose le décor… »

Et ça marche : « On a négocié les meilleures conditions de reprise de la région ! Toute ma vie, j’ai eu le souci de défendre le travailleur, d’œuvrer pour le collectif, de mener des combats dont on me disait qu’ils ne pourraient pas être gagnés. Abandonner, plier, ce n’est pas dans mon caractère. »

« Il faut construire une maison »

Et Vénissieux dans tout ça ? « Je m’y suis installé au début des années 1970, se souvient-il. Sur un terrain du chemin du Charbonnier. Mon père me disait, ‘Il faut construire une maison’, alors j’ai fait comme il me disait, et comme beaucoup d’Italiens du coin ont fait, j’ai construit ma maison. J’ai vite aimé Vénissieux. J’arrivais de Lyon, je vivais dans des conditions plus difficiles, là j’avais une maison, ma femme vivait à mes côtés, nos deux filles… À Vénissieux, j’ai trouvé une ambiance, une philosophie, proche de la mienne : une tradition de l’entraide, du social, de la solidarité, qui existe toujours aujourd’hui. »

Au point de vouloir faire de la politique locale ? Oui et non : s’il est présent sur l’une des listes d’André Gerin, ancien maire, ce sera en dernière position. Pour le symbole. « Je ne souhaitais pas être en position éligible, mais je voulais témoigner de mon soutien à la liste de M. Gerin. La politique, c’est bien, mais le temps n’est pas extensible. J’avais ma vie de famille, le syndicat et, bien sûr, le combat sur le chemin du Charbonnier. »

Car si vous, lecteurs et lectrices, avez déjà lu le nom d’Enrico Rea, c’est sans doute pour la bataille menée depuis près de 40 ans au travers de son association, Halte au bruit et à la vitesse. Celle-ci se mobilise depuis les années quatre-vingt contre les passages, souvent à grande vitesse, de camions sur le chemin du Charbonnier, depuis et vers la plateforme de fret SNCF.

« Chemin du Charbonnier, on ne dormait plus »

« J’ai très vite compris qu’il y avait un problème, assure-t-il, et qu’il serait nécessaire de se regrouper pour remporter la bataille. Je tiens à le préciser : j’ai été ouvrier, je ne suis pas contre les camions, pas contre le principe du fret non plus. Mais ces passages de poids lourds — nuit et jour, on ne dormait plus ! — ont eu des conséquences terribles pour les habitants du quartier. Du stress au quotidien, des dangers pour les piétons, de graves problèmes de santé… Autour de moi, le cancer a emporté beaucoup de monde : mon épouse, des voisins, des amis… Et ce sentiment, terrible, de remporter une bataille un jour, pour qu’un nouveau problème ne finisse par se poser. Ça use. »

Mais Enrico Rea n’a jamais abandonné ce combat, qui vient de connaître une nouvelle étape avec la mise en service prochaine du réaménagement de la plateforme de fret (voir notre dossier), comprenant notamment la mise en place d’une entrée/sortie unique sur le site, loin du chemin du Charbonnier. « Je n’ai jamais envisagé de quitter ma maison. Était-ce parce que je l’avais construite moi-même, avec mon père ? Parce que c’était l’endroit où vivait ma famille ? Peut-être un peu pour ces raisons, peut-être beaucoup. J’espère que ce réaménagement pourra nous apporter plus de tranquillité. Je crois qu’après autant d’années à se battre, on le mérite… »

L’Italie dans le cœur

Ce qui lui permettrait aussi, au passage, de consacrer au moins autant de temps à son association, Ua-Lione, qui regroupe les filles et fils de Ciociari (une zone géographique située entre Naples et Rome) installés dans la région. « En Auvergne-Rhône-Alpes, nous sommes plus de 300 000 ! Je porte mes origines italiennes dans mon cœur, et ça a été le cas toute ma vie — je me suis par exemple impliqué dans le Comité des Italiens de Lyon. L’association nous permet aujourd’hui, à tous, de nous reconnecter à nos racines. Je n’ai plus vraiment l’occasion de retourner à Isola del Liri. Avant, comme mon père m’y avait laissé une petite maison, j’y allais surtout pour voter pour les élections municipales. Ce n’est plus le cas. Mais je fais vivre un peu Frosinone en France avec Ua-Lione (dont le nom vient de « guagliò », « gamin », « gone »). Nous les Italiens, nous avons beaucoup, historiquement, émigré. J’ai des cousins qui vivent à Boston ou au Canada. Mais nous gardons notre Italie natale dans notre cœur. »

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