Photo Emmanuel FOUDROT
Née à la clinique de La Roseraie, Estelle Darnault, qui a passé son enfance dans le quartier du Cluzel, ne pensait pas que l’essentiel de sa carrière lui ferait prendre des coups. Elle se voyait plutôt passer les épreuves de patinage artistique aux Jeux olympiques.
« Je suis partie un temps à Lyon et suis revenue à Vénissieux à l’âge de 13 ans. J’ai fait du patinage entre 5 et 15 ans et suis allée en sport étude au lycée Lacassagne. Mon objectif était les J.O. en patinage. Mais j’ai dû arrêter, ai enchaîné avec la danse sportive que j’ai stoppée à 18 ans. » À Vénissieux, elle fréquente le théâtre et le cinéma Gérard-Philipe.
Au lycée du Parc, Estelle s’oriente vers une carrière artistique et entre au centre Factory de Villeurbanne, une école spécialisée dans l’image et le son, où elle suit le cursus « comédien-créateur ». « Je faisais de la danse, du chant, des cascades… Je voulais devenir actrice mais étais plus à l’aise avec mon corps qu’avec les mots. »
Après une expérience de théâtre de rue avec la compagnie lyonnaise Scaramouche, elle est prise au parc d’attractions Disneyland Paris pour sa première expérience longue durée. « Ils cherchaient des actrices d’action pour des spectacles autour des super héros Marvel. C’était en 2018 puis, l’année suivante, je décide de m’orienter vraiment vers les cascades. Je suis arrivée pile poil au moment où les femmes obtenaient de plus en plus de rôles dans les films d’action. Il y avait donc un besoin de cascadeuses alors qu’il y a une dizaine d’années, beaucoup d’hommes doublaient les femmes pour les séquences d’action. Il n’existait en France qu’une petite dizaine de cascadeuses. C’était une belle opportunité. Aujourd’hui, nous sommes une cinquantaine de femmes à exercer ce métier. »
Le monde de l’ombre
Estelle arrive dans ce qu’elle nomme « le monde de l’ombre », les cascadeurs n’étant jamais sous les sunlights. « J’ai eu des bleus, des blessures, j’ai été opérée des ligaments croisés et du ménisque. Le plus compliqué, c’est une chute. Sur le coup, on se dit qu’on va se faire mal. Je sais maintenant que je peux gérer cela en me protégeant. Le risque zéro n’existe pas mais vous avez autour de vous toute une équipe et un régleur de cascades qui travaille en amont. Mon entraînement de base est de la musculation cardio, près de deux heures un jour sur deux. Je m’exerce aussi aux chutes au sol, aux combats et pratique des arts martiaux, de la boxe. Il faut être le plus polyvalent possible ! Être dans le style Jackie Chan ou dans le réalisme, comme dans Emilia Perez de Jacques Audiard. »
Photo Emmanuel FOUDROT
Dans ce film, elle double Selena Gomez. « C’est une véritable chorégraphie. On lit le scénario, on comprend les motivations du personnage et on se demande ce qu’on ferait dans son cas. Pour l’accident de voiture, le véhicule était sur une rôtisserie et tournait comme un poulet rôti, sur fonds verts. Outre cette séquence, j’ai tourné aussi la scène d’ouverture avec un féminicide. On a beaucoup répété. »
Fast & Furious
Quand arrive le tournage, Jacques Audiard décide de faire plusieurs prises — sept au total — complètement différentes. « Sur ce film, mon régleur de cascades était Yves Girard, avec qui j’ai fait aussi une série Marvel et Fast & Furious. Les films sont différents mais le processus est le même. Nous créons des chorégraphies en fonction du personnage, c’est aussi du jeu d’acteur et de la création. »
Remontons un peu le temps. En sortant de l’école, Estelle fait beaucoup de figuration, a un petit rôle dans la série Nos chers voisins, tourne en tant qu’actrice le court-métrage Blind Date à la juive puis, une fois devenue cascadeuse, enchaîne avec plusieurs séries télévisées (Balthazar, Alex Hugo, Braqueurs, Rebecca, The Walking Dead, Le Voyageur…) et est engagée sur la série Moon Knight.
« À partir de février 2021, je suis restée huit mois à Budapest sur le tournage de cette série Marvel, avec Ethan Hawke et Oscar Isaac. Ensuite, en octobre de la même année, j’ai passé une audition pour un jeu vidéo Star Wars et j’ai connu le milieu de la motion capture. En février 2022, j’ai tourné Fast & Furious — le dixième épisode — en Angleterre. C’était un gros projet dans lequel je doublais Michelle Rodriguez. Et j’ai dû combattre contre Charlize Theron. Pour doubler une actrice, la morphologie compte et, avec une perruque, on fait vite la blague. De dos, sur le tournage, on nous confondait pas mal avec Michelle Rodriguez. J’essayais de prendre ses mimiques, sa façon de marcher. Charlize, elle, m’a dit qu’elle aurait aimé être cascadeuse. C’est une travailleuse incroyable ! »
Ce qu’Estelle n’avoue pas à Charlize Theron, c’est que celle-ci est son idole. Cela ne se fait pas, sur un tournage. Dans les combats entre Charlize et Michelle Rodriguez, Estelle double Michelle quand Charlize est face caméra et la doublure de Charlize la double lorsque c’est Michelle qui se retrouve devant la caméra. « Le dernier jour de tournage, après deux semaines de travail ensemble, à la fin de la dernière prise, Charlize me prend dans ses bras et me remercie de l’avoir fait briller. » Inutile de s’attarder sur l’émotion qui saisit Estelle !
Elle travaille encore sur The Killer de John Woo, remake de son propre film de 1989 que le cinéaste chinois a tourné à Paris, et sur la série Netflix Furies.
Photo Emmanuel FOUDROT
Estelle aimerait à présent ne plus repartir à l’étranger mais travailler en France. « Ici, le cinéma d’action évolue et j’ai envie d’être là ! Je viens de terminer Les Orphelins d’Olivier Schneider — NDA : qui est lui-même cascadeur —, avec Alban Lenoir. J’ai 32 ans et pourrais encore faire des cascades jusqu’à 45 ans. Je me donne encore cinq ans et j’essaie d’emmagasiner un maximum d’informations pour changer de branche. Car je voudrais également écrire et passer à la mise en scène. Cela me travaille depuis quelques années. Et ce ne serait pas des films d’action ! »
Quelques exemples de ses talents de comédienne…
… et de cascadeuse.
