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Les fusillés du 18 août 1944

Vénissieux s’apprête à célébrer le 80e anniversaire de sa libération et des combats du 24 août 1944. Des faits bien documentés. Mais l’on sait moins que quelques jours plus tôt, cinq résistants furent fusillés au Moulin-à-Vent.

Paul Chevrel, l’un des cinq fusillés du 18 août 1944. Photo téléchargée sur le site site internet du Maitron (dictionnaire du mouvement ouvrier français).

Anaïs Roure avait à peine 23 ans. Il ne lui manquait que trois jours pour fêter son anniversaire. Mais en ce 10 juillet 1945, elle n’avait pas le cœur à la fête. Assise devant le bureau d’un inspecteur de la police judiciaire de Lyon, elle passait en revue des lots de photographies. Toutes plus horribles les unes que les autres. Des photos de cadavres. Allait-elle enfin pouvoir retrouver son mari, Paul Chevrel ? « Il avait été arrêté le 9 août 1944 par la Gestapo, comme membre de la Résistance », déclara-t-elle à l’inspecteur. Boucher de profession, et habitant à Saint-Didier-au-Mont-d’Or, Chevrel avait rejoint l’armée des ombres à tout juste 19 ans, mais avait été dénoncé et capturé alors qu’il passait des messages pour son réseau. Depuis, plus de nouvelles. Un an s’était écoulé dans l’angoisse, sans qu’Anaïs ne voit revenir son mari. Elle avait espéré que la Libération le lui rendrait, puis le retour des prisonniers d’Allemagne, après la fin de la guerre, mais rien, toujours rien. Jusqu’à ce que l’inspecteur lui mette sous les yeux les photos des cinq inconnus fusillés à Vénissieux. Et là, Anaïs fondit en larmes. Ce corps nu, allongé dans un cercueil ouvert, avec un visage d’adolescent. C’était bien lui. « Sur la fiche dactyloscopique que vous me présentez, sous le numéro de photographie 423, je reconnais formellement mon mari », dit le procès-verbal.

Tout avait commencé le 9 août 1944. Alors que les combats pour la libération de la France battaient leur plein entre la Normandie et Paris, partout dans le pays, la Résistance mettait la pression sur l’occupant allemand. Ce 9 août donc, un couple se présenta au garage Renault du 364 route de Vienne, à deux pas du périphérique de Lyon. Un garage où l’armée allemande entreposait des camions et des voitures. L’homme et la femme lièrent conversation avec les deux agents de police gardant les lieux, puis, brusquement, sortirent des révolvers. Dans le même temps, une vingtaine d’individus armés jusqu’aux dents firent irruption : la Résistance attaquait le dépôt. Ni une ni deux, ils capturèrent les gardes et le personnel du garage, et les enfermèrent dans un bureau. Puis, sortant des explosifs, ils firent sauter les véhicules allemands. La troupe repartit immédiatement, sans laisser aucun mort ni blessé derrière elle. La gendarmerie allemande arriva un peu plus tard sur place, et procéda à une rapide enquête. Tout le monde s’attendait à des représailles. Mais curieusement, rien ne vint. Neuf jours passèrent. Jusqu’au 18 août 1944.

Ce jour-là, le gardien de la paix Roger Durand avait quitté son domicile de la rue Laurent-Gérin, à Vénissieux, pour prendre son service au garage Renault. Lorsque, vers 11 heures, raconte-il, « une camionnette et cinq voitures particulières sont arrivées devant le garage. Une vingtaine d’hommes dont deux habillés en soldats allemands en sont descendus, tous armés de mitraillettes ». La bande compte aussi des collabos, puisque le policier remarque « certains [individus] portant une chemisette bleue et le brassard de la milice française ». Leur chef demande : est-ce bien le garage où l’attentat a été commis il y a quelques jours ? Oui, répond le gardien. « A ce moment, la camionnette s’est avancée devant la porte d’entrée du garage, côté sud, et cinq hommes enchaînés en ont été extraits aussitôt. Ces hommes paraissant âgés de 20 à 35 ans, et vêtus d’effets de travail, ont été placés face au sud. A cet instant deux hommes [des Allemands ou des miliciens] se sont approchés et les ont abattus dans le dos à bout portant, à coups de mitraillettes ». La scène n’a duré que quelques minutes. « A la suite de cette exécution, tous ces hommes sont remontés dans les voitures et ont repris aussitôt la direction de Lyon ».

Très vite prévenu par téléphone, le commissaire de police de Saint-Fons se rend route de Vienne, où il ne peut que constater l’évidence du massacre : « Cinq cadavres sont étendus sur le terre-plein bétonné du garage Renault ; ils sont dans l’alignement les uns des autres. Les corps baignent dans une mare de sang, et portent des plaies multiples produites par des balles tirées à bout portant ». La fouille de leurs vêtements ne livre aucun papier ou écrit permettant de les identifier. Tous sont inconnus, et aucun d’eux ne semble avoir participé au coup de main de la Résistance intervenu neuf jours plus tôt. Un long travail d’enquête commence, entamé par la description des corps : « Cheveux châtains grisonnants, taille 1 m 80, yeux gris, nez rectiligne, âgé de 38 ans approximativement, vêtu d’une veste bleue marine avec des rayures blanches », et ainsi de suite.

Aujourd’hui, le garage à la marque au losange est toujours là, route de Vienne. Si vous passez devant, souvenez-vous des fusillés du 18 août 1944. Photo Alain Belmont.

Ce n’est qu’après la Libération, à partir de septembre 1944, que trois des cinq victimes purent être identifiées. Outre Paul Chevrel, le mari d’Anaïs, ils se nommaient Vincent Touchet, un percepteur du Teil, en Ardèche, résistant lui aussi, âgé de 47 ans, et Auguste Vignal, ouvrier à Oullins, né en 1914, militant communiste et membre des Francs-Tireurs et Partisans Français (FTPF). Ils avaient été arrêtés depuis peu par la Milice ou par la Gestapo, et incarcérés à la prison Montluc de Lyon. C’est de là qu’ils furent extraits, « sans bagages », donc pour la mort, comme des centaines d’autres victimes de la barbarie nazie. En décembre 1944, le procureur de la République de Lyon ouvrit une procédure contre X, sous l’inculpation d’homicides volontaires, puis en 1945 l’enquête, pour crime de guerre, fut orientée vers les prisonniers allemands, à la recherche d’informations sur les coupables de la fusillade. Ils ne furent jamais retrouvés. Aujourd’hui, le garage à la marque au losange est toujours là, route de Vienne. Si vous passez devant, souvenez-vous des fusillés du 18 août 1944.

Sources : Archives du Rhône, 3460 W 2 et 3, 3808 W 1117. https://maitron.fr

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