Auteur de pièces de théâtre, de savoureux livres de souvenirs et, bien sûr, de films inoubliables, Marcel Pagnol n’a jamais vraiment été oublié. Au point que son œuvre a été souvent reprise. À commencer par Claude Berri qui, en 1986, obtient un franc succès avec Jean de Florette et Manon des sources. En 1990, Yves Robert retranscrit la jeunesse de l’auteur d’Aubagne avec La Gloire de mon père et Le Château de ma mère, tandis que le troisième volume des souvenirs de Pagnol, Le Temps des secrets, doit attendre 2020 pour la version donnée par Christophe Barratier (tandis que Le Temps des amours, qui paraît après la mort de Pagnol, n’a encore jamais été filmé pour le cinéma). En 1999, c’est au tour de Gérard Oury d’y aller de son remake du Schpountz. Puis, en 2011 et 2013, Daniel Auteuil se réapproprie La Fille du puisatier, Marius et Fanny. À noter qu’il manque toujours à ce jour César pour conclure la trilogie marseillaise.
Cinquante ans après la mort de Pagnol, il était temps de revoir sur grand écran les œuvres originales, pour mieux se rendre compte que, malgré le temps qui passe, elles tiennent toujours le coup. Et valent beaucoup mieux que ce qui a été refait depuis.
Pour rendre hommage à l’auteur immortel — et académicien —, le cinéma Gérard-Philipe projette La Fille du puisatier (1940) le 22 août à 14h15 et Le Schpountz (1938) le 29 août à 14h15.
Chez Pagnol, ce sont avant tout les acteurs qui attirent les premiers regards. Et, avec La Fille du puisatier, on est servi : Raimu, Fernandel, Charpin, Milly Mathis, Marcel Maupi, Charles Blavette, autant de personnalités croisées dans de nombreux films de Pagnol et qui amènent à l’écran tout ce qui fait le piquant des habitants du bassin méditerranéen : la faconde, l’emphase, la générosité, la mauvaise foi, les grands principes et, bien sûr, l’assent qui sent bon la garrigue. Là encore, comme dans Angèle et comme pour la Fanny de la trilogie, il est question d’une jeune fille (Josette Day) qui succombe aux charmes d’un garçon (Georges Grey) et tombe enceinte. Sur une trame somme toute habituelle dans son œuvre, Pagnol en profite pour parler de la guerre (contemporaine, puisque le film sort en décembre 1940 en zone libre et en avril 1941 en zone occupée) et de classes sociales, avec le mépris affiché des parents du garçon, des commerçants aisés (Charpin et Line Noro) pour le père de la fille (Raimu), simple puisatier. Les grands sentiments et la richesse des dialogues de Pagnol font le reste.
Le Schpountz est beaucoup plus grinçant. Fernandel incarne un commis d’épicerie travaillant pour son oncle (encore une fois Charpin, toujours formidable dans sa façon de pontifier) et rêvant d’un autre destin. Car Irénée (Fernandel, donc) pense qu’il est fait pour être acteur. Or, serait-ce la chance qui vient cogner à sa porte, une équipe de cinéma de Paris débarque justement dans le petit village et, immédiatement, flaire un schpountz, c’est-à-dire un benêt dont tous vont pouvoir se jouer.
Pour prouver ses talents d’acteur, Irénée/Fernandel nous offre un de ces moments de bravoure qui font toute la grandeur du cinéma de cette époque : il dit sur tous les tons (effrayé, rieur, pensif, etc.) l’article du code pénal : « Tout condamné à mort aura la tête tranchée ».
Dans ce conte qui pourrait être dramatique et cruel, il y a beaucoup de Pagnol à la fois dans la moquerie des professionnels du cinéma mais aussi dans la candeur du schpountz. Pagnol lui-même, petit instituteur de province, ne rêvait-il pas d’une carrière plus prestigieuse, jusqu’au moment où il se mit à publier ses premières œuvres théâtrales ?
Question distribution, tous les fidèles de Pagnol sont là : aux côtés de Fernandel et Charpin, on retrouve Orane Demazis, Robert Vattier (Monsieur Brun dans la trilogie marseillaise), Marcel Maupi, Henri Poupon, Charles Blavette, Jean Castan, Alida Rouffe, Odette Roger… et Pierre Brasseur, dont ce sera le seul passage dans la filmo de Pagnol.
Alors revoir deux Pagnol, cinquante ans après sa disparition et plus de quatre-vingts ans après la sortie des films ? La question ne se pose même pas : bien sûr, il faut y courir, peuchère !