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Des carrières dans nos rues

Elles s’ouvraient, béantes, comme des plaies à travers le paysage. Pourtant, elles furent bien utiles, que ce soit au début du XIXe siècle ou quasiment à la fin du XXe.

Sur cette carte IGN datant de 1947, on aperçoit déjà les grands axes vénissians. La carrière du Puisoz est située à l’emplacement actuel du Grand Parilly.

A la moindre pluie, les routes et les chemins de terre de Vénissieux se transformaient autrefois en un bourbier sans fin, dans lequel passants, charrettes et carrosses peinaient grandement à avancer. La solution ? Les empierrer, avec moult graviers et galets concassés. Mais où trouver pareils matériaux, surtout en quantités invraisemblables ? Sous nos champs, pardi ! La plaine du Velin – la région aux portes de Lyon –, en est pleine à craquer, laissés par les cours d’eau et les glaciers de la préhistoire. Ils dorment sagement, sous 80 cm de terre végétale, et n’attendent que vos pelles et vos pioches pour être ramassés.

L’on ouvrit donc des carrières, ou plutôt des gravelières, pour employer le terme ancien, à travers une bonne partie de notre commune. Ainsi fut fait au Mas du Velin (près de l’avenue Viviani) en 1839, au Charréard en 1844, à La Borelle dans les années 1860-70, à Saint-Fons en 1872, et au Moulin-à-Vent en 1877. Cette dispersion des lieux d’extraction à travers le territoire obéissait à un besoin essentiel : les carrières devaient se trouver au plus près possible des chemins qu’elles étaient censées alimenter, pour s’épargner de longs et coûteux charrois. C’est l’argument sur lequel s’appuie le maire Etienne Sandier en 1839, pour prôner l’achat de la carrière du Velin par sa municipalité : « La commune est privée d’une gravelière convenablement rapprochée du village et du chemin de Lyon pour l’entretien de ses chemins vicinaux », expose-t-il. « Il est donc nécessaire de faire l’acquisition d’une parcelle de terrain graveleux appartenant à Mr Claude Milliat (…), sur le chemin de Vénissieux à Lyon ». Il en va de même pour tous les autres sites, qui sont systématiquement achetés par la commune.

Service public

Les carrières deviennent ainsi un service public, dans lequel tous les habitants peuvent, à condition d’être propriétaires d’au moins une parcelle ou une maison à Vénissieux, venir s’approvisionner en graviers et cailloux pour leurs besoins personnels, et ce gratuitement. Les entrepreneurs quant à eux, payent une redevance en fonction de la nature et du volume des matériaux qu’ils extraient. Ainsi en 1887, les maçons travaillant à la construction du rempart ceinturant Lyon et sa banlieue Est, versent 35 centimes par mètre-cube de gravier, soit 995 francs pour les 2843 m3 qu’ils emportent. Bien sûr, des abus se font jour, comme avec ces entrepreneurs qui, prétextant leur domiciliation vénissiane, prélèvent des montagnes de pierres sans payer un centime. Les dégâts qu’ils commettent sont tels qu’en 1890, la mairie est contrainte de fermer l’accès aux carrières avec des chaînes, et bientôt d’employer un gardien.

Mais là n’est pas la dépense la plus importante. Vénissieux voyant sa population croître d’année en année, et le village d’autrefois se muer en ville, les besoins de matériaux deviennent de plus en plus criants, et pas seulement pour les routes mais aussi pour les bâtiments, car les murs en béton commencent à remplacer les murs en pisé (en terre), et nécessitent du sable et du gravier pour leur fabrication. Il devient donc nécessaire d’agrandir sans cesse certaines carrières. Ainsi, celle de Charréard s’accroit de 2000 m2 en 1884, puis à nouveau en 1885, et encore en 1921 – et pas qu’un peu, de 40.000 m2 d’un coup ! Dans le même laps de temps, l’urbanisation galopante de Vénissieux impose la fermeture des petites carrières, et la centralisation de la production sur les plus grands sites : d’une part sur la carrière située au Puisoz (Grand Parilly), et d’autre part sur celle de Charréard, laquelle sera la seule exploitée après la Seconde Guerre mondiale.

Jusqu’en 1963 au Charréard

Que deviennent les anciennes gravelières, une fois abandonnées ? Elles sont transformées en décharges publiques, dans lesquelles les ferrailleurs vont chercher des métaux pour nourrir leur commerce : comme le fait Victor Dirberg, « marchand de vieux métaux », en 1910. Ou bien, elles servent de réceptacle aux eaux pluviales, évitant ainsi l’inondation des chaussées et même de certains quartiers, à commencer par le Bourg. Quant à la carrière de Charréard, elle suit une évolution radicalement inverse. Devenue la principale de Vénissieux, son exploitation est industrialisée à partir de 1922, grâce à l’achat de wagonnets, de voies ferrées, d’un concasseur de cailloux en 1930, et même d’une pelleteuse en 1931. Deux employés municipaux y travaillent 8 heures par jour, que l’on loge dans une maison spécialement construite pour eux en 1922, à l’entrée de la carrière. Ils vendent aux entreprises du gravier, du sable fin, du sable paveur, des gravillons, des cailloux cassés, au prix de 5 à 63 francs le mètre-cube. Les recettes viennent alimenter les caisses de la commune, ou sont parfois consacrées à de nobles causes, comme en 1915, qui voit les revenus des carrières « affectés aux soupes populaires de Vénissieux [attendu le] nombre important de secours à distribuer ».

Victime des bombardements de mai 1944, qui détruisent la plupart de ses équipements, la gravelière du Charréard voit son exploitation reprendre de plus belle après-guerre, afin de fournir les matériaux nécessaires aux logements qu’exigent la reconstruction et le baby-boom. A tel point que dans les années 1950, son cratère s’étend sur plusieurs hectares, allant du haut de la rue Salvador-Allende jusqu’au chemin du Charbonnier. Un espace qu’elle partage depuis 1923 avec le stade Laurent-Gerin, qui fut notamment aménagé sur les remblais remplissant les secteurs déjà exploités. Cette ultime carrière vénissiane cessa toute activité en 1963.

Sources : Archives de Vénissieux, délibérations municipales, 1839-1967.

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