Jusqu’au dernier moment, Josy Ingargiola a hésité à se confier à Expressions. Par pudeur, par timidité sans doute, mais surtout par humilité. « Je n’aime pas vraiment me trouver dans la lumière, avait-elle éludé plusieurs fois alors que nous lui proposions de brosser son portrait. Je préfère travailler dans l’ombre pour apporter ma contribution. Distribuer, organiser, en un mot répondre à ceux qui en ont besoin, c’est tout. » Il aura donc fallu plusieurs années pour que celle qui fut responsable du comité vénissian du Secours populaire de 2006 à 2021 — et en demeure à 85 printemps l’une des chevilles ouvrières — accepte enfin de parler d’elle. Mais à une condition : qu’elle puisse faire passer un message « de paix et de solidarité ». « On ne doit oublier personne sur cette route, c’est ce qui a guidé mon parcours dès ma plus tendre enfance », insiste-t-elle. On la croit sur parole.
Au service des plus défavorisés
Car le Secours populaire, Josy l’a dans la peau. « Le “Secours”, c’est devenu une habitude, un besoin. Quand je n’y vais pas, le contact avec les gens et l’équipe me manque. » En charge notamment de l’accueil des personnes qui viennent chercher de l’alimentation, elle décrit pourtant une tâche humainement difficile. Même si les services sociaux travaillent main dans la main avec l’association. « Parfois, les gens n’ont pas envie de raconter ce qui leur arrive, ou alors ça déborde. Et nous, on reçoit cela en plein visage ; il est alors difficile de rester neutre, inflexible. Je me souviens qu’au début, il m’arrivait d’avoir du mal à dormir la nuit. » On évoque alors les stages donnés aux bénévoles pour apprendre à recevoir bénéficiaires et demandeurs. Il est question de postures physiques, de choses à ne pas dire, de faculté à supporter la misère. « Mais maintenant, j’ai oublié tout cela, assure-t-elle. Cela se fait tellement machinalement… » Avec empathie, serions-nous tentés de compléter.
De fait, les situations rencontrées sont toujours terribles. « Faute de moyens, nous sommes obligés de nous concentrer sur les personnes les plus en difficulté. Il y a beaucoup de femmes seules avec des enfants, qui ne peuvent pas payer leur loyer et vivent sous la menace d’une expulsion. On les dirige parfois vers le Réseau d’alerte et de solidarité des Vénissians, mais la solution n’est jamais simple à trouver. Et vous avez des gens qui n’ont que 300 euros par mois pour vivre, ou pas de revenu du tout. Quelqu’un qui gagne 1 200 euros mensuels, on ne peut pas l’aider. »
Infatigable, la bénévole poursuit envers et contre tout sa mission auprès des plus fragiles. « C’est quelqu’un de très engagé, qui est toujours là malgré son âge, qui reste volontaire et militante, témoigne Bernard Imbert, qui lui a succédé en 2021 à la présidence du comité de Vénissieux. Je l’ai toujours vu se démener à la fédération, dans les comités ou encore dans toutes les instances locales. Elle travaille sur le long terme, on peut compter sur elle. » N’a-t-elle pas d’ailleurs repris du service pour pallier le manque de bénévoles, un phénomène qui touche la société tout entière ?
La carte et les territoires
Josy part régulièrement se ressourcer dans son Ardèche natale, à Tournon-sur-Rhône. « C’est mon attache, mon pays. J’ai encore des frères et des sœurs là-bas. L’un d’entre eux est vigneron, dit-elle d’une voix apaisée. J’aime bien aller me promener au bord du Rhône en toute quiétude, discuter avec le voisinage, retrouver des amis… Et passer le plus de temps possible avec mes enfants. »
Mais Vénissieux, qu’elle connaît depuis bientôt soixante ans, n’est jamais bien loin. « J’ai été une des premières habitantes de la ZUP. Nous sommes arrivés avec trois enfants le 27 juillet 1967. C’était vraiment le début, c’était extraordinaire. On habitait auparavant boulevard des États-Unis dans un tout petit appartement et là, à La Pyramide, on avait soudain de l’espace. Dehors, il y avait des travaux partout, des terrains vagues, on marchait par endroits dans la boue… La première école, Jean-Moulin, n’était pas encore terminée ! »
À cette époque, Josy milite activement pour l’Union des femmes françaises, une association féministe avant l’heure, née des comités populaires de la Résistance en 1941, que sa mère fréquentait déjà. « On s’entraidait pour obtenir telle ou telle chose de la mairie, à propos de la vie dans le quartier. C’était important de le faire ensemble, pour nous, pour nos enfants, pour la ville. » Cette ville, pour laquelle elle choisit de travailler en 1971. Exit les diplômes de couture qu’elle a passés à la fin de sa scolarité et sa petite expérience du métier, la voici à un poste administratif au service vaccination, santé et hygiène scolaire. « Dès que j’ai commencé à travailler, je n’ai plus voulu en partir », se souvient-elle. Elle adhère alors à la CGT pour « son esprit familial », devient déléguée quelques années plus tard, avant d’intégrer le bureau de la section des employés communaux. « Je voulais défendre des valeurs de gauche, les acquis sociaux, participer au bien-être de chacun. »
Et c’est donc tout naturellement qu’une association de solidarité va s’inviter dans la vie de Josy. Nous sommes au milieu des années quatre-vingt. « J’avais eu l’occasion d’aller au Secours populaire demander de l’aide pour quelqu’un que je connaissais. On m’a accueilli à bras ouverts en me donnant notamment des vêtements. » Lorsque l’association crée une antenne à la mairie en 1990, Josy s’y investit immédiatement et les actions s’enchaînent. Un transport de médicaments à Zagreb en 1992, une opération dans les Balkans en 1999, des ventes de nems au profit de populations défavorisées vietnamiennes un peu plus tard, mais surtout un travail sans relâche pour faire vivre l’antenne et aider ses bénéficiaires locaux. Une bénévole multitâche, inlassable et dévouée ? « Je dirais plutôt que je suis une petite fourmi », sourit-elle.
Une petite fourmi qui, à l’instar du Candide de Voltaire, nourrit le projet — déjà bien avancé — de « cultiver l’art d’être grand-mère ». Même si, bien vite, le « Secours » revient au galop. « En 2025, on fêtera ses 80 ans », insiste soudain Josy. On ne se refait pas.
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