Quand elle a vu passer l’appel à candidatures du centre d’art Madeleine-Lambert, pour une résidence artistique à Vénissieux, Guénaëlle de Carbonnières y a tout de suite répondu. « La ville m’intéressait pour les Minguettes. J’ai obtenu mon premier poste d’enseignante en arts plastiques au collège Michelet. » Acceptée dans le courant de l’été 2023, Guénaëlle affine son projet : « Je souhaite créer des archives poétiques sur les quartiers des Minguettes et des Clochettes, qui sont voisins. Avec les destructions potentielles d’immeubles à venir, les strates urbanistiques m’intéressent, la dimension archéologique étant souvent présente dans mon travail. Cela s’appellera Les Phares témoins, c’est-à-dire témoins d’une partie de l’histoire de Vénissieux, liés aux différentes immigrations. »
« Je n’avais aucune volonté de devenir artiste ! »
Dans l’atelier dont elle dispose actuellement au cœur du CAP, le centre d’arts plastiques de Saint-Fons, quelques-uns de ses travaux sont affichés sur les murs. On y reconnaît des ruines libyennes et les Bouddhas de Bâmiyân, en Afghanistan, détruits par les talibans. « Ce sont des tirages argentiques gravés et encrés, constitués d’images d’archives et de vues contemporaines venant de captures d’écran. Je ne suis pas photographe mais plasticienne et il est rare que je fasse des prises de vue, sinon au sténopé. »
D’où vient sa vocation ? Elle n’en est pas sûre elle-même, qui déclare qu’elle n’avait « aucune volonté de devenir artiste ». Il y avait bien le dessin, qu’elle a toujours pratiqué, et une histoire familiale : « Mon grand-père m’a initiée au labo photo. Les images analogiques me parlent beaucoup. Elles ont un rapport aux traces de la mémoire. Je suis attachée aux objets, aux indices de la vie d’avant. J’ai pensé à la photographie pendant mon master 2 en arts et médias numériques. »
Son goût remonte même plus loin : « Enfant, j’ai visité le site préhistorique de Lascaux, qui m’a marquée. Ensuite, j’ai été en Italie, ce qui est lié à mes souvenirs d’enfance. Et, quand j’étais au lycée, j’allais toujours voir mes grands-parents qui vivaient à Paris et je profitais de la visite des musées qui étaient gratuits pour les moins de 18 ans : le Louvre, Orsay… »
Guénaëlle reconnaît que sa vie elle-même est faite de strates : « Je suis née à Paris et j’ai vécu en Normandie, à Nancy, à Lille et à Lyon. » Et, avant les arts plastiques, il y a eu la philo.
De Lascaux au sténopé géant
« Dès le collège, j’ai su que je voulais faire quelque chose en rapport avec le milieu artistique. En seconde, je me suis orientée vers la section des arts plastiques. Ma vie étant faite de déménagements successifs, j’ai passé la seconde moitié de ma seconde dans une autre ville, avec une option Cinéma et audiovisuel. Mes profs de cinéma et d’arts plastiques me poussaient à poursuivre dans cette voie. Et mes profs de philo me voyaient en prépa. La philosophie était une sorte d’intermédiaire, mais que dire à tout juste 18 ans ? Il me fallait former mon esprit ! »
Elle évoque alors ce qu’elle appelle « deux déclencheurs » : « Après le Capes, j’ai été tentée par l’agrégation et j’ai dû m’inventer une pratique artistique, qui était importante dans le concours. Je me suis inscrite à Paris et j’ai commencé à réfléchir et je me suis dit que c’était ce que je voulais faire. »
Avec la naissance de ses enfants, Guénaëlle arrête l’art pour se consacrer à l’enseignement. « J’ai enseigné douze ans, toujours en collèges ZEP. Ayant eu l’impression d’avoir fait le tour et n’obtenant pas de poste en lycée, je me suis remise à l’art, ai exposé et en ai fait mon activité principale. »
Contente de sa résidence, elle avoue avoir beaucoup aimé travaillé avec les dames du centre social Eugénie-Cotton (voir ci-dessous). « Je vais produire une petite édition contenant leurs photos et leurs textes, que je pourrai leur offrir. »
Toujours dans le cadre de sa présence à Vénissieux, elle doit encore rencontrer des scolaires. Elle a également l’ambition de créer un sténopé géant au sein d’une tour et recherche pour cela un appartement dont elle pourra obturer la source de lumière, sauf un petit trou. Avec du papier photosensible placé au fond de la pièce plongée dans le noir, une photo pourra être prise grâce à l’infime passage de lumière.
Et Guénaëlle n’arrête pas, il n’est qu’à voir son calendrier. Elle sera jusqu’au 30 mars à la galerie Françoise Besson, à Lyon, pour La Rive des images, conjointement à Emmanuelle Rosso. Participe également à Poétique du seuil — à la marge, une exposition visible jusqu’au 20 avril au Totem d’Amiens avec deux autres artistes, Jean-Philippe Roubaud et Jérôme Grivel. Sera encore à Manifesta, à Lyon, en septembre, pour une expo collective. Et fera également partie, toujours en septembre, de la manifestation qui réunira tous les artistes du CAP de Saint-Fons. Sans parler de Vénissieux, où elle espère montrer son travail en 2025. Affaires à suivre…
Au centre social Eugénie-Cotton, une boîte, un trou… et des images
En résidence artistique au centre d’art Madeleine-Lambert, Guénaëlle de Carbonnières est intervenue à trois reprises, les 8, 15 et 22 mars au centre social Eugénie-Cotton, auprès d’un groupe d’adultes allophones. Tout en leur faisant utiliser le sténopé et le cyanotype, le but était également de faire parler et décrire ce que faisaient les dames qui ont participé à l’aventure et y ont pris, c’est elles qui l’ont affirmé, beaucoup de plaisir. C’est ainsi que, le 15 mai, Khadra, Malika et Maryam ont appris à photographier avec un sténopé, un boîtier obturé par du scotch (en médaillon ci-dessous) contenant du papier photosensible. En libérant le trou percé dans la paroi et en comptant jusqu’à 60, elles ont ainsi immortalisé le château d’eau, une pharmacie et des bâtiments. Passant ensuite le papier dans du révélateur, de l’eau puis du fixateur, à la lueur d’une lumière rouge, elles ont obtenu des photographies du meilleur effet… et ont bien ri.
Derniers commentaires