Cette carte est un peu déroutante. L’on y découvre très vite Lyon, avec ses remparts et son confluent du Rhône et de la Saône, mais Oullins se situe en haut et non en bas de la ville des canuts ! En fait, le nord et le sud ont été inversés. Et ce n’est pas sa plus grosse surprise.
Alors que nos cartes actuelles représentent le territoire à plat et vu depuis le ciel, celle-ci montre le paysage comme s’il était regardé depuis le haut d’un cheval, en vue cavalière. Ainsi les maisons, les clochers, les châteaux et même les arbres, sont dessinés en élévation ! Ce drôle de dessin est en réalité la plus ancienne carte connue de l’Est lyonnais. Elle date des années 1604-1609, et est l’œuvre d’un certain Jean de Beins (1577-1651).
Ingénieur, militaire et géographe, Jean de Beins a été missionné par le roi Henri IV et par le lieutenant-général du Dauphiné, Lesdiguières, pour réaliser des cartes de la totalité du Dauphiné, alors province frontalière et donc d’une haute importance stratégique. Et c’est ainsi que, durant des années, Jean de Beins et son équipe ont arpenté le moindre recoin d’entre Rhône et Alpes, jusque et y compris à Vénissieux. Mais sa représentation de notre commune reste simplissime. Elle apparait aux abords du Rhône, ici semé d’îles, et perchée à la pointe d’une colline. « Venicieu », annonce la carte, qui se contente de montrer une église surmontant deux-trois maisons pour figurer le Bourg, en employant pour ce faire exactement la même vignette que celle symbolisant Corbas ou Saint-Genis-Laval. Au moins apprenons-nous que le territoire vénissian est alors entièrement cultivé, puisque les bois les plus proches se situent à Bron et à l’est de Saint-Priest.
La singulière technique de la vue cavalière
Arrivent la fin du XVIIe siècle et le début du XVIIIe, qui voient une floraison de nouvelles cartes. Toutes représentent le faubourg de La Guillotière, alors l’objet d’une contestation territoriale entre le Dauphiné et le Lyonnais. Cette dispute est pour nous une aubaine, car les cartes qui en sont issues débordent un peu de « La Guille » et s’aventurent en territoire vénissian. Telle celle d’Henri Verdier, traitée comme un tableau. Réalisée en 1697, cette œuvre très colorée utilise, comme avec Jean de Beins, la technique de la vue cavalière, et consacre le quart de sa surface à Vénissieux, entre la route d’Heyrieux et la route de Vienne. Ce qui frappe d’emblée, c’est la mer de champs de blé. Ils forment une mosaïque de parcelles rectangulaires, sur lesquelles pointent ici et là quelques fermes isolées, comme à Parilly et au Moulin-
à-Vent. Ou comme au début de l’actuelle avenue de la République, où apparaît une grosse ferme pourvue de tours, correspondant sans doute au domaine des Chaponay, seigneurs de Vénissieux. Quant au Bourg, il se niche à l’orée d’un petit bois, avec ses maisons serrées les unes contre les autres, que domine le clocher de l’église Saint-Germain. Enfin, Henri Verdier a pris grand soin de représenter un immense fossé balafrant le paysage tout au long de l’actuelle avenue Viviani : les « Fossés sarrasins », vestiges d’une fortification érigée avant le XVe siècle.
Vénissieux, terre de vignobles
Par contre, il n’a pas daigné peindre sur son tableau le moulin à vent ayant donné son nom au quartier vénissian. Pourtant, il était bel et bien présent en ce règne de Louis XIV, puisqu’il figure, avec ses grandes ailes, sur d’autres cartes de La Guillotière, dressées en 1702 et en 1710. Sept maisons se succèdent à ses côtés, toutes implantées le long de la route de Vienne. Elles symbolisent le tout nouveau hameau du Moulin-à-Vent, truffé d’auberges où le vin coule à flot, car il est ici bien moins cher que dans la ville de Lyon.
Ce vin provient pour une bonne part… de Vénissieux ! La preuve apparaît sur une célèbre carte datant des années 1750-1780, due à César-François Cassini (1714-1784). Cartographe du roi Louis XV et directeur de l’Observatoire de Paris, Cassini réalisa la première carte détaillée du royaume de France. Elle fut l’œuvre de sa vie, pour laquelle son équipe parcourut des milliers de kilomètres. Sur notre commune, elle adopte une fois de plus les vignettes stéréotypées en guise de vues cavalières, mais utilise aussi un plan plus proche de nos cartes actuelles.
Elle représente ainsi trois axes de communication : la route d’Heyrieux, bordée par le hameau de Parilly ; l’avenue Francis-
de-Pressensé, allant du Moulin-à-Vent à Diémoz ; et enfin la route de Vienne, qui est alors la grande route royale menant de Paris à Marseille, et sur laquelle le hameau de Saint-Fons apparait pour la première fois. Quant au Bourg, chef-lieu de Vénissieux, il figure sous les traits de son église et d’une douzaine de maisons bâties le long d’une rue rectiligne (l’avenue Jean-Jaurès ou la rue Jules-Ferry), signe que l’habitat déborde désormais hors de l’ancien clos des remparts, et forme des faubourgs. Alentour, point de bois, si ce n’est quelques brotteaux en bordure du Rhône, mais à nouveau une mer de champs cultivés, laissée en blanc sur la carte.
Sauf sur le plateau des Minguettes. Sur son sommet et sur ses flancs, les cartographes de Cassini ont minutieusement dessiné une nuée de ceps. C’est là que se trouve le vignoble vénissian, prolongement de celui des Côtes du Rhône. L’on retrouve ces grandes tendances un siècle et demi plus tard, sur une carte des années 1900-1910. Le Bourg est toujours là, au milieu de son territoire éminemment agricole, mais ses maisons s’étendent à présent jusqu’à la voie ferrée, où ont poussé les usines des toiles Maréchal et de la verrerie ouvrière. Le « Venicieu » de Jean de Beins est déjà en train de se muer en ville.
Sources : F. de Dainville, Le Dauphiné et ses confins vus par Jean de Beins. Archives municipales de Lyon, 1 S 76, 3 S 51, 2 S 13. https://remonterletemps.ign.fr. Archives de la CNR, dossier du canal de Ceinture.