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Les champignons de Saint-Fons

Agaricus bisporus. Derrière ce nom latin se cache un petit champignon commun qui fut intensivement cultivé sur le territoire vénissian.

La scène se passe sous terre en 1851, et plus précisément sous le plateau des Minguettes, presque à portée de voix du hameau de Saint-Fons. C’est là que Jean-Baptiste Masson et son neveu Nicolas Kremer travaillent, à l’aide de la faible lumière prodiguée par une lampe à huile. Tous deux sont penchés sur des talus de terre sur lesquels émergent une foule de petits chapeaux blancs : des champignons de Paris, notre fameux agaricus bisporus. Ils les ramassent avec un mélange de gourmandise et d’avidité, et en remplissent de pleins paniers. Ils en mangeront le soir même, c’est sûr, mais ils iront avant tout les vendre sur les marchés de Vénissieux et surtout à Lyon, où la population en raffole.

Ce drôle de petit champignon, proche cousin de nos rosés-des-prés, a été cultivé en France dès la fin du 17e siècle, sur les conseils du médecin et agronome Jean-Baptiste de La Quintinie (1626-1688), connu pour être le créateur du potager du roi Louis XIV, à Versailles. Mais, ne supportant ni le froid ni la sécheresse, l’agaricus bisporus est resté longtemps d’un intérêt limité. Jusqu’à ce que, vers 1810, un horticulteur parisien nommé Chambry, ait l’idée géniale de le cultiver en sous-sol, à l’intérieur des carrières de pierre dont regorge Paris, les fameuses « catacombes ». Dans ce milieu souterrain, le champignon de Paris a trouvé son terrain idéal, et a vu sa culture et sa consommation s’envoler. Le rapport avec Jean-Baptiste Masson ? En dehors du fait qu’il porte le même prénom que La Quintinie, a priori rien ne le prédestinait à la culture des champignons. Il était né le 6 décembre 1804 dans le département de la Somme, à Hallencourt, et était le fils d’un tisserand du village.

Des carrières souterraines… comme à Paris

Mais, devenu adulte, Jean-Baptiste Masson migra à Paris et s’installa avant 1843 dans le quartier de La Villette, au nord-est de la capitale, dans l’actuel 19e arrondissement. Il y épousa une Luxembourgeoise, Suzanne Kremer. Mais surtout, il y acquit, au contact du peuple de la nuit, les bases du métier de champignonniste. La règle d’or : trouver un espace à l’abri de la lumière et à température constante, ainsi vous pourrez récolter des champignons toute l’année. Une cave peut faire l’affaire, mais une carrière souterraine prodiguera évidemment bien plus de place pour cultiver en grand, et sera également chaude et humide, autre règle d’or du métier. Ce qui n’empêchera pas d’arroser à tour de bras nos petits champignons, pour favoriser leur pousse : voyez à ce propos, les arrosoirs que tiennent les ouvriers, sur la vieille carte postale illustrant cet article. Vous remarquerez aussi plusieurs rangées de talus de terre. Ce sont les « couches » ou les « meules », un mélange de terre, de paille, de fumier de cheval et de calcaire, que l’on a ensemencé avec le mycélium du champignon, c’est-à-dire ses racines. Et regardez tous ces chapeaux blancs ! Ils pullulent bien plus que dans nos prés !

Ayant appris son nouveau métier, Jean-Baptiste Masson ne reste guère longtemps à Paris. En 1844 ou 1845, il s’installe à Neuville-sur-Saône, où il cultive les champignons dans sa cave. Puis, entre 1846 et 1849 il déménage de nouveau, et vient habiter cette fois à Vénissieux, aux Clochettes. Pourquoi chez nous ? Parce que le sous-sol de notre commune ressemble à celui de Paris : depuis le milieu du 17e siècle au moins, il est truffé de carrières souterraines fournissant de la pierre à bâtir.

Aux portes du grand marché lyonnais

C’est donc là, aux portes du grand marché lyonnais, que Masson introduit la culture intensive des champignons. Et il rencontre un franc succès. La preuve ? Les champignonnistes se mettent à pousser… comme des champignons, dans le quartier vénissian de Saint-Fons. Voici Jean-Marie Perret (1855-1910), né à Vénissieux, fils d’un marchand de comestibles ; Joseph Bellon et Jean-Auguste Perrin, tous deux champignonnistes habitant en 1896 sur la bien nommée rue des Carrières ; Alphonse Guillot, né à Chatonnay en Isère en 1859, et qui migra à Saint-Fons avant 1889 pour s’y vouer aux champignons ; Jean-Pierre Bally, un vénissian de souche, né en 1857 ; Placide Châtel, né à Saint-Julien-Mont-Denis, en Savoie, en 1873 ; Louis-Jules Bret, né à Vénissieux en 1881, à la tête d’une champignonnière en 1907. En tout, l’on ne compte pas moins de six champignonnières à Saint-Fons. Même si elles sont aujourd’hui fermées au public, vous pouvez encore voir leurs entrées sur les flancs de la colline dominant la rue Paul-Descartes.

Si l’agaricus bisporus attire les candidats chez nous, il les nourrit bien mais ne les enrichit guère. Preuve en est, lorsque Jean-Pierre Bally se marie, en 1887, avec une couturière du village, il ne dispose pour tous biens que de « son vestiaire ». Idem pour Louis-Jules Bret, marié en 1907 avec une couturière saint-foniarde lui aussi : il n’apporte à sa belle qu’un « trousseau composé de ses linges et vêtements estimé 200 francs », plus sa part de l’héritage paternel, estimée à 600 francs. De modestes artisans-commerçants, à peine plus aisés que des ouvriers, voici ce que sont ces champignonnistes. Commencée donc, dans les années 1840, leur activité à Saint-Fons se poursuivit jusqu’à la fin du 20e siècle et même au début du 21e, puisqu’elle fut exercée jusqu’à quasiment hier par Florentin-Joseph Lombard (1941-1997), par la famille Bassan, et aussi par Philippe Clavel, qui cessa son exploitation en 2001, à cause du danger d’éboulement du plafond de sa champignonnière. Dommage : les 3000 m2 de son ancienne carrière lui fournissaient des récoltes de plus de 400 kilos. De quoi faire rêver les cueilleurs du dimanche…

Sources : Archives de la Somme, 5 Mi D 822 (f° 90). Archives du Rhône, 3 E 11625 et 37419 ; 6 M 77 et 440 ; état civil de Neuville, de Vénissieux et de Saint-Fons, 1845-1910. Archives de Vénissieux, recensement de 1851. Archives de Lyon, 2 E 1056 (27/10/1870). Lyon-Figaro, 11/5/2001.

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