Alors que la célébration des quarante ans de la Marche pour l’égalité et contre le racisme vient de se conclure, la question a beaucoup été posée ces derniers jours : la société a-t-elle ou pas changé depuis les années quatre-vingt ? Une question à laquelle Hawa Doucoure pourrait apporter une réponse. Malgré les difficultés — elle dit elle-même : « Je suis femme, noire, voilée et venant de Vénissieux » —, elle sait parfaitement ce dont elle a envie et fait tout pour l’atteindre.
« Je suis originaire de La Pyramide et j’ai fait ma scolarité à l’école Jean-Moulin puis au collège Jules-Michelet. En seconde, je suis allée au lycée Colbert, puis j’ai pris l’option marketing STMG (Science et technologie du management et de la gestion) au lycée Lumière. »
Hawa s’inscrit ensuite à l’université à Bron pour passer un BUT en gestion des entreprises et administration. Elle est actuellement en deuxième année, en alternance, et vient de trouver un poste d’assistante de ressources humaines chez Labalu, une entreprise de construction.
Mais avant de parler de la question de l’emploi, continuons de suivre le parcours de Hawa.
« Je connais bien Sabrina Amri, de la maison de quartier Darnaise, qui m’a dit qu’elle me verrait bien dans un projet d’éloquence. Elle a donc choisi trois personnes, dont moi, pour participer à Festi’Jeunes. À cette occasion, j’ai pris la parole sur l’abstention des jeunes. C’était sous forme de débat, nous avions chacun cinq minutes de temps de parole, avec une opinion qu’il fallait défendre et qui n’était pas forcément la nôtre. »
Hawa se montre tellement convaincante qu’elle est contactée pour participer à un autre débat sur le sujet de l’emploi à Vénissieux. « Pour moi, c’était évident d’y participer. À l’époque, je n’arrivais pas à trouver un poste en alternance. Venir de Vénissieux était un frein ! J’avais été confrontée à des personnes pas assez ouvertes d’esprit. Ce n’est pas parce que je viens d’un quartier populaire que je n’aurais pas la compétence, mais il faut toujours se battre plus que les autres. »
« On parle beaucoup des femmes voilées à la télé, et pas dans le bon sens. »
Hawa décroche un stage au sein de l’association La Pyramide du succès, aux Minguettes, et s’inscrit à un concours d’éloquence au sein de l’université… pour décrocher le prix du public.
« Ce n’était pas mon rêve, l’éloquence, mais le directeur du département a trouvé que j’étais bonne à l’oral et m’a dit qu’il me verrait bien concourir. Je n’étais pas forcément à l’aise mais les sujets que je prends m’intéressent. Pour la présélection, j’ai choisi Rosa Parks, la cause des Noirs américains, Martin Luther King, des choses qui me tiennent à cœur. Comme l’abstention au vote. La politique est compliquée, c’est dur de savoir pour qui voter. Il n’existe plus de confiance entre la population et l’État. »
Elle en arrive à la difficulté qu’elle a eue pour trouver son poste en alternance. « On parle beaucoup des femmes voilées à la télé, et pas dans le bon sens. Les entreprises peuvent reculer. On me l’a dit clairement : je pouvais avoir le poste à condition d’ôter le voile. Avec le prétexte de la charte de l’entreprise qui n’accepte pas le voile, alors que ce sont des entreprises privées. Je voulais donc en trouver une qui s’accorde à mes valeurs. Grâce à mon école, j’ai postulé auprès de Labalu. Ils m’ont dit que mon voile n’enlevait rien à mes compétences, ça s’est très bien passé et je ne le regrette pas. »
Sur la question de la religion, la jeune fille est, là aussi, éloquente : « Tant qu’on associera l’Islam à des actes qui n’en font pas partie, on n’avancera pas. Pour parler d’un sujet, il faut en connaître les termes, la définition, les sources… »
Quant à un éventuel avenir au barreau ou en politique, Hawa le balaie d’un revers de la main : « Je ne voudrais pas être avocate car il n’existe pas de juste milieu. Je veux défendre des causes dont je suis sûre. Même la politique ne me plairait pas ! »
À quoi rêve-t-elle, alors ? « J’aimerais créer ma propre entreprise au Sénégal, dans mon pays d’origine, pour donner de l’emploi là-bas. Et recruter tout type de personnes : handicapée, noire, blanche, voilée ou pas. Juste qu’elles soient respectueuses. Ce serait dans le domaine du transport, qui n’est pas facile au Sénégal, pour venir en aide à la population. Je viens de Diawara, dans la région de Tambacounda, qui est entre 9 et 12 heures de la capitale. Si des personnes qui aiment l’Afrique veulent m’aider dans mon projet, ils peuvent me contacter sur mon Linkedin. »
Elle conclut sur cette jolie sentence : « On parle d’un projet en silence. La réussite se chargera du bruit ! »
Linkedin : Hawa Doucoure, étudiante à l’université Lumière Lyon 2
« Il est très important de savoir s’exprimer, convient Hawa. Pour avancer ses idées ou se défendre en cas de problème. Connaître ses droits sans savoir les exprimer porte préjudice. Et, dans le cadre professionnel, on peut être amené à prendre la parole. »
Elle sait ce qu’elle doit à l’éducation donnée par ses parents, aux encouragements de ses frères et sœurs et remercie toutes celles et ceux qui l’ont aidée à se construire et s’affirmer. Elle cite Sabrina Amri, le BIJ, « Salwa Philibert, qui m’a proposé son aide, et Madame le maire. C’est super de voir qu’on n’est pas toute seule et que des personnes sont là pour vous aider ! »
Avec une dernière petite phrase qui montre sa générosité et son bon sens : « Il ne faut pas oublier d’où l’on vient ni écraser les autres pour réussir. »