Après avoir suivi assidûment 282 heures de cours, plus 30 heures d’accompagnement individuel et participé à quelques sorties culturelles, Yamina (53 ans), Hanen (39 ans), Bouchra (40 ans) et Mbarka (29 ans) commencent à apprivoiser les difficultés de la langue française.
Toutes quatre ont fait un bout de chemin avec Safore. Huit mois durant, cet organisme de formation vénissian a animé un programme linguistique réservé aux femmes des quartiers prioritaires de Vénissieux.
Arrivées depuis quelques années en France en provenance de Tunisie ou d’Espagne, ces quatre femmes au foyer ne possédaient pas une maîtrise suffisante de la langue de leur pays d’accueil pour s’y épanouir pleinement.
« Aujourd’hui, on note un vrai changement chez elles, assure Carole Persegol, leur formatrice. Au début, elles osaient à peine s’exprimer. Elles ne créaient pas de lien social car elles restaient à la maison. Aujourd’hui, leur posture a changé. Elles ont cette volonté d’autonomie qui leur permet de ne plus être forcément accompagnées par leur mari pour effectuer leurs démarches. »
Toutes constatent une amélioration de leur condition. Mbarka, arrivée en France il y a deux ans, dit se sentir plus libre : « Avant, j’allais à tous mes rendez-vous avec mon mari. Maintenant, je suis plus indépendante. » La jeune femme, en passe de valider ses compétences de couturière, prend peu à peu confiance en elle : « Je comprends mais ne parle pas trop. Je peux donc stresser en fonction des situations. Pour progresser, je regarde la télévision française et j’ai emprunté des livres. »
De l’importance d’élargir son horizon
Désireuses de réussir leur Diplôme d’études en langue française (Delf), les stagiaires s’efforcent à maintenir leurs efforts. À chacune sa méthode ! « J’ai trouvé des cours sur YouTube, s’enthousiasme Bouchra. Mais quand on a trois enfants à gérer, on a la tête déjà bien pleine. Je remarque aussi qu’on apprend plus facilement une langue quand on est jeune. Arrivée à Barcelone à 20 ans, j’ai appris l’espagnol et le catalan plus facilement. Je constate que mon fils de 6 ans parle déjà arabe, catalan, espagnol et français. »
Leur formatrice le rappelle : « Deux heures d’apprentissage par jour ne suffisent pas. Il est important de prendre l’habitude d’écouter la radio et de sortir pour parler, sans avoir peur de faire des fautes ou avoir honte de son accent. »
Toutefois, les quatre apprenantes déplorent de ne pas pouvoir pratiquer plus souvent, faute de locuteurs dans leur entourage. « Tous mes voisins et mes copines parlent arabe, confie Yamina. C’est la même chose au travail. Je fais le ménage à l’hôpital Lyon Sud. Je n’ai pas de collègues français. Et mon chef me parle en arabe. » Un constat que partage Hanen : « Autour de moi, il n’y a que quelques Sénégalais pour parler le français. Mais je compte sur les sorties scolaires pour pouvoir progresser cette année. »
Une action destinée à l’origine aux mères isolées
Cette action de linguistique à l’attention d’un public féminin est financée par le dispositif « Cités de l’emploi ». Vénissieux bénéficie de cette mesure sociale qui vient en aide des résidents des Quartiers prioritaires. L’État a octroyé à la Ville une subvention de 200 000 euros. La municipalité a fait le choix d’orienter cette ressource vers des actions comme celle menée par Safore. L’objectif premier était de s’adresser à quelque 1 300 familles monoparentales.
Seulement, les mères isolées n’ont pas répondu à l’appel de la Ville et de Safore. La plupart des volontaires étaient des femmes au foyer, en couple. « Les mères isolées sont très difficiles à toucher, déplore Marie Carles, directrice de Safore. Seule la Caisse d’allocations familiales (Caf) est en mesure de nous relier à elles. Or, la Caf ne communique pas là-dessus. Nous avons fait le maximum pour présenter notre action, via la mairie, les écoles et les marchés. Il y a un vrai travail à réaliser avec les acteurs locaux, comme les Maisons de quartier ou le Centre d’information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF). »
41 femmes se sont présentées. 25 d’entre elles ont été réorientées vers d’autres formations plus adéquates. 16 ont été retenues, dont les 8 qui sont restées assidues jusqu’à la fin.
Safore : 32 ans de lutte contre l’illettrisme
Savoirs Formation Réinsertion (SA.FO.RE) est un organisme de formation spécialisé dans l’insertion. Il dispose de trois sites à Vénissieux et un à Lyon. Depuis 1991, Safore lutte contre l’illettrisme et s’engage pour l’inclusion sociale et professionnelle.
Cette association s’adresse particulièrement aux personnes qui ont besoin de développer des compétences linguistiques. Ses statuts précisent qu’elle vise à développer des actions et formations « à destination des personnes en situation de fragilité linguistique, professionnelle, sociale et parfois de handicap. »
Safore emploie 13 collaborateurs et s’appuie sur six formateurs et deux conseillers en insertion professionnelle. « Nous formons entre 550 et 600 personnes par an, précise Marie Carles, la directrice. Cela représente plus de 80 000 heures de formation. Nous accompagnons des bénéficiaires du RSA, des demandeurs d’emploi et des personnes sans qualification. Nous développons chez nos stagiaires des compétences clés et favorisons l’accessibilité numérique. »
Carnet noir : Claudie Grantham, présidente fondatrice de Safore, est décédée
Le décès de Claudie Grantham est survenu le 23 septembre dernier à l’âge de 81 ans. Elle avait fondé Safore en septembre 1991 et a occupé la fonction de responsable de formation, puis de directrice. Elle présidait l’association depuis 2010. Dans le Rhône, elle fut, entre autres, directrice de l’Institut pour promotion et la formation (IPF Rhône) et de l’Association pour l’enseignement et la formation des travailleurs immigrés et de leurs familles (Aefti).
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