Directeur du centre d’art Madeleine-Lambert, Xavier Jullien a remarqué l’artiste Ceren Oykut lors de la Biennale d’art contemporain de Lyon de 2009. « Elle vivait à Istanbul et je m’étais dit que j’aimerais l’inviter à exposer. Puis, elle a déménagé à Berlin et, comme je suis proche des centres de création allemands — il rappelle l’expo de Katharina Ziemke, organisée à Vénissieux en 2017 —, j’ai pu faire venir Ceren. »
Pour son exposition au centre d’art, Ceren Oykut a voulu rendre hommage aux peintures pariétales de la grotte Chauvet, en Ardèche, datées de 36 000 ans. « Leur reconstruction avait un lien avec mon travail, explique-t-elle. J’ai toujours été intéressée par les peintures préhistoriques. Puis, j’ai vu le documentaire de Werner Herzog sur ce lieu, La Grotte des rêves perdus, et, définitivement, j’ai voulu les voir. Comme le montre Herzog, ces gens étaient libres. »
Xavier Jullien rappelle que Ceren Oykut dessine tous les jours et qu’il y a exactement vingt ans, le 15 septembre 2003, elle a fait sa première exposition dans l’appartement familial stambouliote.
« Je suis née à Istanbul, reprend Ceren, mais j’ai eu besoin d’en sortir pour plusieurs raisons, certaines politiques mais aussi parce que la ville me paraissait trop petite. À Istanbul, vous ne pouvez avoir d’espace personnel, sous peine de paraître suffisant, égoïste. En revanche, en Europe, c’est un problème si vous n’en avez pas. Et puis, à Istanbul, le sol bouge parce qu’il y a des tremblements de terre pratiquement tous les siècles. Tous les habitants redoutent le grand séisme. La légende de la construction de la ville est d’ailleurs basée sur un tremblement de terre. Ma première expo s’est donc déroulée dans un appartement du dernier étage, avec une très jolie vue sur la mer de Marmara et les îles. Le bâtiment a depuis été détruit par un tremblement de terre. »
Ce qui a de quoi faire réfléchir une artiste sur la pérennité des œuvres et la faire s’intéresser à des peintures millénaires. « L’appartement s’est effondré, mon travail a disparu et cela a façonné ma pratique artistique. »
Le projet suivant de Ceren s’est axé sur un livre de l’historien Stéphane Yerasimos qui racontait la fondation d’Istanbul. Elle l’a mené a bien en une vingtaine de jours, ce qu’elle appelle une « guerilla exhibition », désirant « aller toujours plus en profondeur ».
Une vocation née dans une chute
Elle se pose souvent la question « Pourquoi est-ce que je dessine ? » et pense avoir trouvé la réponse. « Mes parents sont graphistes et j’ai grandi là-dedans. Je suis obsédée par le noir et blanc et les ombres. Il existe une histoire difficile qui s’est passée dans mon enfance. Je dessinais avec mon père, on s’amusait bien ensemble et puis il m’a raccompagnée chez ma mère. On a mis tous les dessins dans un gros carton que j’ai insisté pour porter, malgré la difficulté. Nous sommes descendus dans la rue et c’était le blackout total, les rues étaient plongées dans une obscurité totale. Nous marchions et je suis tombée dans un trou profond et la grosse valise m’a sauvée. Je suis restée suspendue à sa poignée et je criais pour que mon père me sorte de là. Lui a eu du mal à me retrouver dans le noir. Quand il m’a enfin extirpée du trou, je me suis dit que les dessins avaient sauvé ma vie ! Ce furent trois minutes qui ont duré trois heures. J’y pense tous les jours. C’est pour moi « a survival experience », une expérience de survie ! »
Elle se réfère également à l’alévisme, une philosophie musulmane basée sur le fait que l’homme est mortel. « La célébration de la vie est importante, reprend Ceren Oykut, mais nous allons tous mourir. C’est inscrit dans mon esprit. Le savoir me donne de l’énergie et, si je n’avais pas cette connaissance, je ne serais pas aussi powerful. »
L’artiste présente ses dessins, vidéos et sculptures au centre d’art Madeleine-Lambert du 16 septembre au 18 novembre. Elle fera une visite commentée de son exposition le samedi 16 septembre à 15 heures, à l’occasion des Journées européennes du Patrimoine.
Vernissage le vendredi 15 septembre à 18h30 et Journées européennes du Patrimoine le 16 septembre à partir de 15 heures, les deux au centre d’art Madeleine-Lambert (Maison du peuple).
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