Plus petit qu’une pièce d’un centime d’euros (il mesure de 5 à 7 mm), recouvert d’une multitude d’écailles de couleurs blanches et noires, le moustique-tigre (de son vrai nom, Aedes albopictus) ne fait pas partie des insectes volants les plus effrayants, a priori. Même s’il ne semble pas aussi menaçant qu’un frelon asiatique ou qu’une guêpe, les pouvoirs publics ne cessent pourtant de mettre en garde la population contre les risques engendrés par sa prolifération.
Et pour cause : il est un vecteur potentiel de maladies virales comme le chikungunya, le zika ou la dengue. En effet, le moustique-tigre se contamine en piquant une personne malade, de retour d’un séjour dans un pays où ces maladies sont présentes. Ces dernières vont se développer dans le corps du moustique et être ensuite « stockées » dans les glandes salivaires. Le moustique devient ainsi capable, dans les jours suivants et durant toute sa vie (soit environ 1 mois), de transmettre ces infections aux personnes qu’il piquera ensuite, lorsqu’il injecte sa salive infectée.
« En 2022, 152 nouvelles communes ont été colonisées en Auvergne-Rhône-Alpes, indique l’Agence régionale de santé (ARS). Au total, 800 communes sont aujourd’hui colonisées, représentant 66 % des habitants directement impactés. Malgré la levée des restrictions de voyages après deux ans de pandémie de Covid 19, un nombre limité de cas importés d’arboviroses (maladies transmises par les moustiques) a été signalé dans la région pendant la période de surveillance renforcée (du 1er mai au 30 novembre), avec 38 cas de dengue, trois cas de chikungunya et un cas de Zika. Cependant, d’autres régions comme PACA ont fait face en 2022 à une très forte augmentation des cas. »
Si l’ARS Auvergne-Rhône-Alpes tire la sonnette d’alarme, c’est qu’inéluctablement, le nombre de cas remonte dans notre région. Les restrictions de circulation liées au Covid-19 étant de l’histoire ancienne, ou presque, les chiffres de 2019 pourraient vite redevenir d’actualité. On dénombrait, alors, 178 cas signalés, dont 91 de dengue « importés », et dix de chikungunya.
Pour lutter contre la prolifération du moustique-tigre, l’ARS et la Métropole de Lyon s’appuient sur un établissement public, l’EID Rhône-Alpes. Cette structure, qui emploie près de cinquante agents, est notamment chargée de l’éradication des larves grâce à un traitement larvicide « biologique, rapide et écologique », répandu dans l’eau, et de la lutte contre les moustiques adultes par l’épandage aérien de produits phytosanitaires. Elle doit aussi mener des actions de prévention en direction des particuliers, des collectivités et des professionnels.
Notamment à Vénissieux, qui est loin d’être épargnée par la présence du moustique-tigre. « Sur mon balcon, l’an passé, j’ai eu un nid de ces insectes, témoigne Riad, habitant du centre. Ils s’étaient installés dans un bac à fleurs vide : toute l’eau ne s’écoulait pas par le trou dans le fond, et les larves s’y sont développées. Ma fille et moi avons été piqués, ce n’était pas très agréable. J’ai détruit le nid, enlevé l’eau stagnante, mais il m’est arrivé d’en croiser d’autres. Ils s’étaient sans doute installés sur les balcons de mes voisins… Alors, cet hiver, le gestionnaire de notre immeuble a communiqué sur le sujet, en donnant des conseils, dans le hall, par courrier et par mail. J’espère que cela sera suffisant pour cet été… »
La menace est d’autant plus à prendre au sérieux que les derniers mois ont été propices au développement de cet insecte. L’hiver n’a pas été particulièrement froid, ce qui a permis aux œufs pondus avant cette saison de survivre jusqu’au printemps, et des pluies abondantes se sont produites au printemps, générant suffisamment d’eaux stagnantes pour que les œufs pondus puissent y poursuivre leur processus complet d’évolution. Dernier ingrédient pour qu’il se sente partout comme chez lui ? Environ 10 jours de chaleur suffisante (23 °C le jour et 15 °C la nuit), pour permettre aux œufs de moustiques de devenir larves puis moustiques adultes. Des conditions qu’il serait surprenant de ne pas constater dans les semaines à venir.
« Chez moi, j’ai installé des pièges à moustiques, explique Lucie, qui habite rue Maxime-Gorki, sur le plateau des Minguettes. Je me prépare à son retour. Comme l’an passé, mes enfants ne passeront pas une nuit sans porter de répulsif à moustique — mon plus jeune est allergique, les piqûres lui provoquent de grosses réactions, ça lui fait des cloques. Mais je ne me fais pas d’illusion : je vais forcément en voir devant nos fenêtres. »
Car, à défaut d’éradiquer le moustique-tigre, l’enjeu est désormais d’apprendre à vivre avec…
TROIS QUESTIONS À VALÉRIE FORMISYN, INGÉNIEUR EN SANTÉ-ENVIRONNEMENT
« Aujourd’hui, Il n’est pas possible d’espérer une éradication »
C’est la somme des actions individuelles qui constitue le meilleur rempart contre le moustique-tigre. Mais pour Valérie Formisyn, ingénieur en santé-environnement à l’ARS, les collectivités et les entreprises doivent également s’impliquer.
– Est-il seulement possible de se débarrasser, dans la région, du moustique-tigre ?
Il faut être clair : aujourd’hui, il n’est pas possible d’espérer éradiquer totalement le moustique-tigre. On ne peut plus qu’en limiter les nuisances. Pour cela, on compte notamment sur la somme des actions individuelles : le moustique-tigre est un insecte qui vole peu, sur 100 ou 150 mètres tout au plus. Cela signifie que si vous en voyez un chez vous, alors c’est qu’il est né près de votre domicile, et donc que vous pouvez probablement mettre des choses en œuvre pour lutte contre lui !
Or, ce qui peut être assez décourageant, c’est que même si on détruit un gîte larvaire, il faudra un mois — la durée de vie du moustique adulte — pour constater un effet. Et cela, si et seulement si, à côté, le voisin a aussi mis en place des choses pour lutter contre le moustique-tigre. Dans le cas contraire, il continuera à proliférer !
Quant à l’idée d’épandre des quantités astronomiques de produits phytosanitaires pour espérer tuer tous les moustiques-tigres, il faut l’oublier tout de suite. Ces produits ne sont pas spécifiques au moustique tigre, ils tueraient donc tous les insectes volants d’une zone.
– Est-il plus difficile de lutter contre le moustique-tigre dans l’espace public, ou chez les particuliers ?
Cela dépend. La présence du moustique-tigre dans l’espace public relève de la responsabilité des collectivités territoriales notamment. Si nous pouvons, à l’ARS, les accompagner, et si certaines sont très mobilisées, d’autres le sont moins, par exemple par manque d’information sur les gîtes larvaires. Elles vont alors moins agir qu’il ne le faudrait sur des équipements producteurs de moustiques, comme les collecteurs d’eau pluviale. Rappelons, aussi, que l’espace public n’est pas uniquement du ressort des collectivités : on y trouve des coffrets techniques, comme ceux des opérateurs télécoms — privés donc —, qui peuvent devenir de vrais producteurs de moustiques. Dans l’idéal, il faudrait pouvoir revoir la conception de ces coffrets, mais on n’a pas la main en tant que pouvoir public. Tout ce que l’on peut faire, c’est intervenir auprès des opérateurs pour comprendre leurs contraintes techniques et proposer des solutions.
On voit donc bien toute la complexité qu’il existe lorsqu’il s’agit de lutter contre cet insecte volant. Et la nécessité, par conséquent, d’impliquer tous les habitants dans ce combat, mais aussi les collectivités et les entreprises.
– La dangerosité du moustique-tigre est directement liée aux voyages que l’on effectue. Quels sont les bons réflexes à avoir quand on revient de pays où l’on peut être contaminé par la dengue ou le zyka ?
Il faut tout faire pour ne pas devenir l’initiateur d’un cycle autochtone. Si l’on se sent malade, si l’on présente des symptômes évocateurs de la grippe, il faut consulter rapidement un médecin. Il faut aussi se protéger des piqûres si l’on se sent bien : il est possible d’être porteur des virus évoqués, et d’être asymptomatique. Cela passe par l’utilisation de vêtements amples, de répulsif… Bref, il ne faut surtout pas oublier que ce sont les voyageurs qui sont porteurs des virus, et vont les transmettre aux moustiques, lesquels vont ensuite contaminer d’autres personnes. Ces insectes ne naissent pas porteurs de ces maladies, elles ne sont pas transmises dans les œufs. Là encore, tout est une question de responsabilité individuelle et de comportement.
PORTRAIT D’UN NUISIBLE
Tout savoir sur le moustique-tigre
Apparu en France en 2004, il devrait être présent dans tout l’Hexagone d’ici 2030. Qu’est-ce qui rend le moustique-tigre si conquérant ?
Le moustique tigre tire son nom de ses rayures blanches sur fond noir qui lui donnent une allure « tigrée ». Dans la plupart des cas, il est plus petit que ses homologues, avec une taille inférieure à 1 cm. En plus de ses rayures blanches sur le corps, il porte une ligne blanche le long du thorax, et des anneaux blancs sur les pattes. Ses ailes sont également noires, et il n’a qu’une paire d’ailes fonctionnelles. En vol, il est plus lent que les autres moustiques, il vole bas — d’ailleurs, il monte rarement dans les étages des habitations, leur préférant largement les rez-de-chaussée – et semble « balourd ». Il fait l’objet d’une surveillance renforcée pendant sa période d’activité en métropole, de mai à novembre.
Le moustique-tigre a la particularité de piquer plutôt en journée, contrairement à l’anophèle, qui transmet le paludisme. Ses piqûres sont assez douloureuses… et il peut piquer à travers un vêtement ! Les démangeaisons sont instantanées, avec une rougeur de 2 à 3 cm de diamètre avec, en son centre, une cloque de 5 mm environ. Pour transmettre des maladies tropicales, comme la dengue, zika ou le chikungunya, il doit au préalable avoir piqué une personne infectée et piquer ensuite une personne saine.
Apparu pour la première fois en France en 2004, dans la région niçoise, il est plutôt urbain et anthropophile, c’est-à-dire lié à l’humain. Ainsi, il loge principalement près des zones d’eaux stagnantes où il déposera ses larves. Sa venue dans l’Hexagone s’est, a priori, faite par avion ou par bateau, grâce au transport de marchandises où pouvaient se trouver des œufs. C’est un insecte très adaptable, et il n’a pas mis longtemps à faire de la France son nouveau terrain de chasse — il faut dire qu’une femelle pond la bagatelle de 74 œufs tous les 3 à 4 jours. On considère aujourd’hui que bien plus de la moitié de nos départements (71 départements sur 96) sont colonisés par le moustique-tigre. Aedes Albopictus, de son vrai nom, s’étend chaque année un peu plus sur notre territoire en doublant le sien. Les scientifiques estiment qu’il sera présent sur l’ensemble de l’hexagone d’ici 2030.
Néanmoins, si la solution insecticide et celle de la prévention sont inefficaces dans la durée, une nouvelle piste est explorée depuis quelques années : la stérilisation des mâles. Des élevages sont ainsi créés, afin de produire des mâles stériles. Ensuite, ils seront relâchés, afin qu’ils s’accouplent avec des femelles. Ces dernières pouvant être fécondées par plusieurs mâles, 50% des œufs qu’elles produiraient pourraient être stériles. Reste que, pour que cette méthode soit efficace, les scientifiques ont calculé qu’il faudrait cinq fois plus de mâles stériles que de mâles féconds sur une zone spécifique. Ce qui correspond à… 7 500 moustiques stériles par hectare.
10 conseils pour lutter efficacement contre le moustique-tigre
Pour lutter contre la prolifération du moustique-tigre, il faut supprimer ses lieux de ponte et de repos. Quelques gestes simples sont à adopter tout au long de l’année — et donc pas uniquement en période de vigilance. Voici dix conseils à avoir l’esprit :
– Les produits anti-moustiques (insecticides, répulsifs) ne suffisent pas. Ils ne permettent pas d’éliminer durablement les moustiques. Il ne faut donc pas se contenter de limiter les risques de piqûres.
– Veillez à ce que tous les objets laissés dehors (matériel de jardin, jouets d’enfants…) ne puissent devenir des gîtes potentiels. Videz-les, retournez-les ou rangez-les.
– Emmenez rapidement à la déchetterie tous les déchets (par exemple, ceux de chantier) pouvant retenir de l’eau.
– Vous jardinez ? Videz le plus souvent vos arrosoirs, vos seaux et vos soucoupes, au moins une fois par semaine. Ils peuvent en effet devenir un lieu adoré des moustiques-tigres pour la ponte.
– Vous avez une piscine ou un petit bassin ? Veillez à son entretien régulier et évacuez l’eau retenue sur les bâches après une pluie.
– Curez régulièrement, pour faciliter le bon écoulement des eaux, vos gouttières et rigoles.
– Couvrez hermétiquement, en apposant un voilage moustiquaire fin ou autre tissu, vos récupérateurs et réserves d’eau.
– Débroussaillez, taillez les herbes hautes et les haies, élaguez les arbres, pour réduire les zones sur lesquelles un moustique-tigre pourrait se reposer. De même, ramassez les fruits tombés, ainsi que les débris végétaux.
– Ne tuez pas systématiquement les araignées ! Le moustique est l’un de ses mets préférés, en particulier lorsqu’il est gorgé de sang. Mieux vaut donc une toile d’araignée qu’un nid de moustiques-tigres…
– Si vous constatez la présence d’un moustique-tigre, vous pouvez le signaler aux autorités via le site signalement-moustique.anses.fr. Attention, pour que votre alerte soit prise en compte, il faut que vous disposiez d’une photo de l’insecte, ou d’un spécimen dans un état permettant son identification. Si besoin, l’EID prendra alors le relais.