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Enfants et écrans : de plus en plus accros

Le Dr Anne-Lise Ducanda donnera une conférence à Vénissieux le 9 mai. Pour cette spécialiste de la problématique des enfants face aux écrans, la cote d’alerte est franchie.

Les écrans sont omniprésents dans nos vies. Depuis la crise sanitaire, ils ont pris une dimension encore plus importante, surtout chez les plus petits. Cette surexposition aux écrans peut avoir de lourdes conséquences sur le développement intellectuel, moteur ou émotionnel. Il faut donc contrôler leur utilisation afin d’en limiter l’impact.

Aujourd’hui, il est devenu impossible de vivre sans écran. Ils font partie de notre quotidien : au travail, à la maison, dans les magasins… Les smartphones, ordinateurs, tablettes, consoles ou même panneaux publicitaires numériques sont omniprésents.

Même s’ils sont utiles et essentiels dans bien des domaines, leur utilisation est parfois devenue excessive et addictive pour bon nombre de personnes, dont les enfants. Pour les distraire ou encore les calmer lorsqu’ils font un caprice, rares sont les parents qui n’ont jamais cédé en laissant leurs enfants devant une vidéo ou un jeu.
Pendant le Covid, ce phénomène a nettement été amplifié. Avec les confinements successifs, les écrans ont bien souvent été une solution de facilité pour les parents débordés qui devaient valser entre la garde des petits et le télétravail. D’après une enquête de l’Observatoire national de l’activité physique et de la sédentarité, pendant la crise sanitaire, le temps d’écran a augmenté de 62 % chez les enfants et de 69 % chez les adolescents !

Des conséquences sur l’évolution

Une exposition excessive dont on peut déjà mesurer les répercussions. « Il y a des alertes de la part d’enseignants en maternelle qui font face à des enfants qui ont des troubles du langage », affirme le docteur Anne-Lise Ducanda, médecin en protection maternelle et infantile (PMI) et spécialisée dans la problématique des écrans et des enfants.

De nombreuses études le prouvent, les écrans peuvent entraîner des troubles de l’attention, de la motricité, du langage ou encore de l’éveil. « Les enfants ont du mal à aller vers les autres, observe Marie-Hélène Mathurin, responsable d’accompagnement à la scolarité aux centres sociaux des Minguettes. Les parents décrivent chez leurs petits des difficultés pour se concentrer, un manque de vocabulaire. Dès qu’ils rentrent à l’école, ce sont des choses que l’on repère rapidement. »

Certains parents optent pour des écrans interactifs ou des jeux qui se veulent éducatifs. Mais pour le docteur Ducanda, ces alternatives sont encore plus néfastes. « L’enfant fait des jeux comme des puzzles et à la fin, il est félicité avec des animations : des ballons, des cœurs ou encore de la musique. Il va alors en redemander pour prendre encore plus de plaisir. Il ne va plus se concentrer sur ses jouets qu’il va trouver inintéressants. Pourtant, les enfants ont besoin d’expérimentation et de jeux qui permettent l’éveil cognitif, émotif et la motricité. »

Instaurer des règles le plus tôt possible

Pour la spécialiste, afin de lutter contre la surexposition des écrans, il faut réaliser un travail collaboratif entre les parents et les enfants. Dans de nombreuses familles, les écrans sont présents de façon constante avec une télévision allumée ou un membre du foyer sur un smartphone. « En 2017, un adulte, hors de son temps de travail, passait environ cinq heures par jour devant un écran, je pense que ce chiffre est beaucoup plus important aujourd’hui », estime Anne-Lise Ducanda, qui préconise la création d’un planning d’écrans, pour les enfants comme pour les parents.

Le psychiatre Serge Tisseron, pour sa part, propose d’instaurer la règle du « 3-6-9-12 » : ne pas exposer les enfants aux écrans jusqu’à trois ans, ne pas les laisser utiliser de console de jeux portable avant six ans, pas d’Internet avant neuf ans, et enfin interdiction de surfer seul sur internet ou d’utiliser les réseaux sociaux jusqu’à 12 ans. De son côté, la psychologue Sabine Duflo résume l’utilisation des écrans à la formule des « 4 pas » : pas le matin, pendant les repas, dans la chambre et au moment du coucher.

3 questions à Anne-Lise Ducanda, médecin de protection maternelle et infantile (PMI) spécialisé dans la problématique des écrans et des enfants

« LES ENFANTS N’ONT PAS BESOIN D’ÉCRANS POUR GRANDIR »

Le 9 mai prochain, le docteur Anne-Lise Ducanda sera à Vénissieux pour donner une conférence sur la surexposition des enfants aux écrans. Elle est auteure du livre « Les tout-petits face aux écrans : comment les protéger », et cofondatrice du Collectif surexposition écrans (CoSe).

Quelles sont les répercussions d’une surexposition ?
Pour les enfants de 0 à 5 ans, les compétences qui sont touchées, lors d’une surexposition, sont au niveau du langage, de la motricité fine (tenir un crayon), globale (marcher, sauter), du développement intellectuel ou de la gestion des émotions. Ils s’isolent de plus en plus, ne s’intéressent pas aux autres et ne jouent pas. Cela peut aussi impacter le sommeil, l’alimentation, l’attention.
Certains ne sont pas capables d’utiliser la pince pouce-index, n’ont pas de force dans le mouvement, lâche les objets, car ils ne savent pas les tenir. Avec leurs doigts, ils ne savent faire que deux gestes : glisser et agrandir comme sur les écrans. L’enfant n’apprend que dans un monde réel en trois dimensions. Il lui faut des interactions humaines fréquentes et de qualité pour créer un lien d’attachement. Il faut qu’il explore le monde, qu’il touche, qu’il goûte, qu’il sente… Toutes ces interactions envoient des messages au cerveau et entraînent la formation de connexions cérébrales. On ne peut apprendre à gérer ses émotions qu’avec un humain.
Quels conseils donnez-vous aux parents ?
Jusqu’à 2/3 ans, l’enfant ne doit pas être exposé aux écrans y compris les écrans de la famille. Ce qui est difficile car les écrans sont partout autour de nous. Dès 2-3 ans et jusqu’à 6 ans, je conseille de limiter à 15 à 30 minutes par jour, mais « le mieux c’est le moins » comme le souligne la Société canadienne de pédiatrie. Quelques minutes suffisent à leur donner envie et peuvent créer une addiction. Pour les plus de six ans, je conseille de limiter à 30 minutes à une heure par jour. Le mieux est d’instaurer des jours sans écran, par exemple deux heures tous les mercredis, samedis et dimanche. Il faut demander aux enfants tout ce qu’ils aiment faire comme activités et créer un planning où seront inscrits les temps d’écrans, les sorties, les activités extrascolaires… Il faut surtout supprimer les écrans le matin avant l’école, pendant les repas, au coucher et dans la chambre de l’enfant. Et quand les enfants n’ont pas d’écran, les parents non plus ne doivent pas être sur leurs écrans. L’exemplarité est essentielle.
Si vous aviez un unique message à faire passer, quel serait-il ?
Il faut rappeler aux parents que les enfants n’ont pas besoin d’écrans pour grandir. Pour tous les enfants qui ont des difficultés, il faut désormais se poser la question de l’exposition aux écrans. Mon but n’est pas de culpabiliser les parents, mais de les informer et de leur donner les clés pour qu’ils protègent leurs enfants des dangers des écrans. Je ne suis pas anti-écran, je les utilise moi-même, je veux juste aider les parents à garder le contrôle.

Conférence « Comment gérer les écrans avec nos enfants ? », le mardi 9 mai à 18h30, salle Jeanne-Labourbe, 6 rue Jeanne-Labourbe à Vénissieux. Entrée libre et une garderie est proposée sur place.

Parents vigilants : « Nous aussi, on doit donner l’exemple »

Souvent, les parents en sont conscients : leurs enfants sont trop devant les écrans. Mais face à ces mauvaises habitudes, il peut être difficile de dire non, et surtout de trouver des alternatives.

« Avant, mon fils passait une heure par jour, voire plus, devant la télévision. Maintenant, on essaie de limiter à dix minutes », témoigne Anissa. À presque quatre ans, son fils, dépisté autiste à son entrée à l’école, est devant un écran uniquement lors de son repas. Le reste du temps, elle essaie de l’occuper le plus possible : « On lui a trouvé un jouet qui chante des comptines et raconte des histoires, on a des jeux Montessori, d’autres pour la mémoire ou des livres imagés, il adore ça ! »

Pour Daroueche, papa de deux petits de 3 et 6 ans, la restriction s’est faite il y a quelques années. Face à une consommation que sa femme et lui jugeaient excessive, ils ont décidé de diminuer le temps d’écran à trente minutes par jour, pour les enfants comme pour eux. « Une fois, mon fils a dit à sa mère : ‘pourquoi moi, je n’ai pas le droit de les utiliser, et toi oui ?’. » Une phrase qui a fait tilt pour les parents, qui maintenant profitent de moments devant la télévision « quand les enfants ne sont pas là ».

« Cela peut être difficile à gérer pour les parents, notamment quand les enfants ont des âges différents, confirme Céline du centre social Roger-Vailland. Il faut trouver le juste-milieu. Ils sont en alerte depuis un moment sur le sujet et quand ils changent leurs habitudes, ils voient la transformation dans le comportement de leurs enfants. »

Un changement dans le caractère avec des enfants plus actifs, qui s’expriment plus… Pour Anissa et Daroueche, l’évolution a été flagrante. « Maintenant, ils veulent sortir, aller au parc, faire des jeux, seuls ou avec nous. Avant, dès qu’ils rentraient, ils allaient direct vers les écrans », se réjouit Daroueche. « L’amélioration se voit surtout dans son comportement, analyse Anissa. Il comprend plus vite les choses. Il est plus calme et plus observateur, alors qu’avant, il ne nous regardait pratiquement pas dans les yeux, il ne regardait que l’écran. »

Premier portable : quand le donner ?
Le centre social du Moulin-à-Vent a réalisé une enquête, en décembre dernier, sur l’âge des enfants pour leur premier téléphone portable. La commission Écran du centre est allée à la rencontre de parents et d’enfants à la sortie des écoles Moulin-à-Vent, Georges-Lévy, Ernest-Renan et Joliot-Curie. Au total, 224 élèves de CM1 et CM2 et 106 parents ont été interrogés. 95 % des parents sondés estiment que les 9-11 ans ne devraient pas avoir de portable, et ils sont une majorité (57,4 %) à penser qu’il est préférable d’attendre l’entrée au collège. Chez les enfants, le discours n’est pas le même. Ils sont 43 % à penser qu’ils pourraient déjà avoir un portable.
Concernant l’utilisation du smartphone, là encore, des divergences sont présentes. Pour les parents, il doit avant tout servir aux appels d’urgence ou aux parents (80% des réponses données), aux appels à la famille et aux amis (13 %) ou encore à l’aide aux devoirs (12 %). Alors que du côté des enfants, même si les deux utilisations principales sont les mêmes que celles des parents, d’autres raisons sont également évoquées : les jeux (48% des réponses), les vidéos (32,1 %)… Quant au travail, il n’est absolument pas mentionné.

Des initiatives municipales pour lutter contre la surexposition

La Ville a de longue date fait de la prévention contre les écrans une priorité avec l’aide des établissements scolaires et des centres sociaux. Plus récemment, elle a étendu ses champs d’action. « Avant nous ne travaillions qu’avec les collèges, détaille Véronique Callut, adjointe au maire en charge de l’éducation. Avec le confinement, le temps passé sur les écrans a augmenté et maintenant, cela concerne aussi les plus jeunes. On intervient donc en primaire en lien avec l’Éducation nationale et les infirmières scolaires. »

De 2020 à 2023, la Ville a étudié la relation entre les écrans et les élèves vénissians. La consommation de 846 élèves de CE2, CM1 et CM2 a été observée dans différentes écoles du territoire. Puis un état des lieux de l’exposition à la télévision, au smartphone, à la console de jeux, à la tablette et à l’ordinateur a été réalisé. 84 % des jeunes interrogés ont déclaré avoir une activité écran avant de se coucher, 74 % en mangeant et 58 % avant d’aller à l’école. Une consommation qui va à l’encontre des préconisations des spécialistes.

C’est pour lutter contre ce phénomène qu’en 2021, un défi a été lancé à 600 petits Vénissians. Dans différents établissements de la ville, 25 classes de CM1 et CM2, mais aussi leurs professeurs et leurs parents, ont décidé de passer un mois sans aucun écran. Pour leur venir en aide et proposer une alternative, des activités ont été montées par l’Atelier santé ville.

Des rencontres sont aussi organisées entre les enseignants et les équipes de la Ville afin de proposer un programme « à la carte » et de faire de la prévention à travers des jeux ou des discussions. Pour Véronique Callut, ce combat reste essentiel : « Les écrans ont apporté des bonnes choses, mais peuvent être un danger. Il faut être au plus près des jeunes et des familles pour qu’on travaille ensemble sur le sujet. »

Écrans malins : cinq programmes ludiques et éducatifs

– Les Octonauts : partir à la découverte du monde sous-marin et observer sa diversité, c’est possible avec le dessin animé Les Octonautes. Avec des épisodes d’une vingtaine de minutes, les enfants peuvent suivre une équipe d’explorateurs qui va secourir et protéger les animaux marins et la nature. Un dessin animé conseillé à partir de 4 ans. Épisodes à retrouver sur Netflix et Amazon Prime.
– C’est toujours pas sorcier : inspirée de « C’est pas sorcier » qui s’est arrêtée en 2014 après 21 ans de diffusion, « C’est toujours pas sorcier » est une émission de vulgarisation scientifique. Trois apprentis scientifiques s’intéressent à des thématiques variées comme la gravité, les océans ou encore les émotions de façons ludiques et à travers des expérimentations, des maquettes et des reportages. Une émission conseillée à partir de 6 ans. Épisodes à retrouver gratuitement sur france.tv
– Baam ! De l’art dans les épinards : avec cette émission, les enfants sont sensibilisés au monde de l’art. Des œuvres d’art venues du monde entier sont décryptées par les yeux des enfants pour développer leur curiosité. Une émission conseillée à partir de 6 ans. Épisodes à retrouver gratuitement sur france.tv
– Culottées : cette série animée de 30 épisodes propose des portraits de femmes qui ont marqué l’Histoire et la société : rappeuse, astronaute, danseuse, résistantes, impératrice… Culottées est l’adaptation de la bande dessinée, du même nom de Pénélope Bagieu. Une série conseillée à partir de 6 ans. Épisodes à retrouver gratuitement sur france.tv
– Tu mourras moins bête : avec le professeur Moustache et son assistant, les enfants partent à la découverte de phénomènes scientifiques du quotidien. Des épisodes de quatre minutes pour en savoir plus sur les rêves, les dinosaures ou les secrets de l’adolescence. Une série conseillée à partir de 10 ans. Épisodes à retrouver gratuitement sur arte.tv

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