Culture

Les corps en exil de M’barka Amor

Cette plasticienne lyonnaise présente « Le Rêve de l’autre » au centre d’art Madeleine-Lambert, du 11 mars au 29 avril.

« Je rêvais de lointains voyages dans les contrées du Sud ; je rêvais l’Orient et ses sables immenses, ses palais que foulent les chameaux et leurs clochettes d’airain ; je rêvais les cavales bondir vers l’horizon rougi par le soleil ; je voyais des vagues bleues, un ciel pur, un sable d’argent ; je sentais le parfum de ces océans tièdes du Midi ; et puis, près de moi, sous une tente, à l’ombre d’un aloès aux larges feuilles, quelque femme à la peau brune, au ragréé ardent, qui m’entourait de ses deux bras et me parlait la langue des houris. » C’est par cette citation de Gustave Flaubert, extraite de son Voyage en Orient, que le visiteur sera accueilli dans Le Rêve de l’autre, l’exposition que M’barka Amor présentera, dès le 10 mars, au centre d’art Madeleine-Lambert, dans le cadre du festival Essenti’Elles.

Curieusement, ce ne sont pas les arts plastiques qui ont intéressé M’barka Amor quand elle était enfant. « L’écriture me fascinait et je tenais un journal secret, que je planquais. À la primaire, je mettais en scène de petites pièces théâtrales avec mes copines. Je les montrais lors des fêtes d’école et j’aimais ça. Le théâtre m’a poursuivie. »

À tel point qu’en 2007, M’barka suit un stage auprès du Théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine. Mais, entre-temps, une autre passion est née. « Ma rencontre avec une prof, en 4e, a été un marqueur. Elle nous avait emmenés en voyage au musée d’Orsay, à Paris, qui venait d’ouvrir. Je découvris Le Joueur de fifre de Manet et ce fut la révélation ! Comment faisait-on cela ? Je savais que c’était de la peinture mais comment devenait-on peintre ? Ce fut pour moi un autre moyen d’expression et je plongeai dedans. En parallèle, j’écrivais et j’illustrais mes textes, mon journal intime ou des listes de courses, qui permettaient un ancrage dans le présent, avec ces choses que je trouvais dans la cuisine. Quand j’ai lu Annie Ernaux, j’ai trouvé une similitude dans sa manière d’écrire, dans certains livres, comme une liste de courses. »

Mais la lycéenne qu’elle est alors doit vite déchanter. « J’ai vite compris que, de là où je venais, les écoles d’art n’étaient pas possibles. J’ai eu droit à une lettre de dérogation pour le lycée Ampère, aux Cordeliers. » Elle explique malgré tout sa passion pour l’art au conseiller d’orientation qui lui fait comprendre que la voie qu’elle a choisie coûte cher. « Par déterminisme social, j’ai fait autre chose. J’avais obtenu des diplômes pour accéder à d’autres métiers mais c’était impossible, je n’arrivais pas à tenir le rythme qu’on m’imposait. Je suis revenue, adulte, aux arts plastiques. J’étais amateure, j’allais devenir une amateure professionnelle. »

Grâce à un cursus adulte, M’barka passe son Master aux Beaux-Arts en 2021. En parallèle, elle étudie aussi la sociologie et la démographie. « Mon travail veut rendre visible toute une population qui a été dominée, racisée. Mes œuvres naissent d’un constat. »
Elle revendique également l’humour et la dérision, ce qu’on pourra constater avec Le Rêve de l’autre, exposition qui se tiendra à Vénissieux dans le cadre du festival Essenti’Elles.

Couscous Pop

« Il y aura trois espaces, explique-t-elle, délimités par des rideaux, avec des installations textiles, une installation avec des couscoussiers et une vidéo. Intitulée Mohamed, celle-ci a été créée au Centquatre, à Paris, en 2022. J’y interroge mes frères et sœurs sur ce qu’est être un Arabe aujourd’hui. »

Une installation baptisée Couscous Pop sera également visible. Elle sera constituée d’un ensemble de couscoussiers apportés par les Vénissians au centre d’art, avec des couvertures posées au sol.

« Elles sont à fleurs, avec des couleurs pétantes. J’en ai vu sur les marchés. Je veux faire le rapprochement entre des vies ratatinées, des corps courbés qui, le soir, se couvrent de ces couvertures qui donnent de la douceur. Le racisme est humiliant ! »

Elle revient sur la citation de Flaubert et sur cet Orient fantasmé par les artistes européens du XIXe siècle, tant écrivains que peintres. « La première pièce textile que l’on verra sera la représentation d’une femme portant un couscoussier sur la tête. C’est l’objet de la femme arabe qui affirme son pouvoir et contient quelque chose de sacré. Je rapproche cette image des représentations divines égyptiennes, qui coiffaient les dieux de têtes d’animaux, avec un corps humain. Là, nous aurons un corps humain avec un couscoussier à la place de la tête. Ce sera le personnage central du rêve de l’autre. »

L’importance du corps

Dans le catalogue d’une précédente exposition de M’barka Amor, Démêle, Discipline et Nourrit Intensément, Pascale Obolo constatait : « Son corps est au centre de sa réflexion artistique. » Et la vidéo Now, I’m White, dans laquelle elle se badigeonnait entièrement de blanc, en était l’affirmation.

« Mon travail, reprend M’barka, est d’imaginer des fictions sur le sujet des exilés, des immigrés. Le Rêve de l’autre est aussi celui des exilés qui quittent leur pays pour un avenir plus heureux. Ils rêvent d’un Eldorado, de l’Occident. J’aime qu’il y ait du trash dans ce que je fais, quelque chose de violent. La phrase de Flaubert est violente aussi ! Du trash sort l’humour, car on peut en rigoler et cela permet la discussion. Je ne donne pas de leçons, ne suis ni activiste ni militante mais je veux ouvrir la parole. Qu’on se questionne ensemble sur un nouveau monde. Un nouveau paradigme. »

Le Rêve de l’autre de M’barka Amor, du 11 mars au 29 avril au centre d’art Madeleine-Lambert. Vernissage le 10 mars à 18 heures, dans le cadre du festival Essenti’Elles.

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