La banlieue ou, plus exactement, les banlieues populaires, voilà bien un sujet qui passionne le chercheur et écrivain Hacène Belmessous, qui lui a consacré plusieurs ouvrages. Le dernier en date, Petite histoire politique des banlieues populaires, est paru l’an dernier aux éditions Syllepse. Occasion rêvée pour lui proposer une invitation à la médiathèque Lucie-Aubrac le 14 janvier dernier.
« C’est un livre dans lequel j’ai essayé de comprendre les raisons du constat actuel : il existe dans notre société une fracture territoriale puissante doublée d’un isolement social. »
Pour lui, le droit commun, qui devrait s’appliquer sur l’ensemble du territoire sans distinction, n’est pas à l’œuvre dans les banlieues. Ce qu’il résume par une expression explicite : « Les dés sont pipés ! »
Pour mener à bien son étude, Hacène Belmessous s’est focalisé sur des communes qui avaient eu des résonances dans les médias. Citons, parmi les nombreux exemples contenus dans le livre, La Courneuve, Mantes-la-Jolie, Montfermeil, Dreux, Lille, Strasbourg et, plus près de nous, Vaulx-en-Velin et Vénissieux.
« Je me suis intéressé, poursuit le chercheur, à une période qui explique ce qui se joue depuis, qui débute par les révoltes de 1981 à Vénissieux et qui va jusqu’à celles de 2005 à l’échelle du pays. En 1981, nous assistons aux premières révoltes sociales et, disons-le, politiques aussi. C’est à ce moment qu’à Vénissieux naît l’idée, première et unique, d’une marche civique citoyenne, caricaturée dans les médias par le terme de « Marche des Beurs ». C’est aussi d’ici que, alors que les choses ont basculé, partent les deux premiers jeunes pour l’Afghanistan. On constate une absence de réponse politique de la part de l’État. »
Hacène Belmessous a pris le parti de ne travailler que sur les archives : celles des municipalités, des communautés urbaines, des départements, de la Caisse des dépôts — qui est, explique-t-il, un « financeur social ». « J’ai aussi eu des entretiens avec des personnages-clefs comme André Gerin, le père Christian Delorme ou Pierre Saragoussi, conseiller auprès du directeur général de la Caisse des dépôts pour la politique de la ville. »
Avec les différentes entrées de sa Petite histoire politique des banlieues populaires, Hacène Belmessous traite des grands sujets : la police qui, remarque-t-il, « est devenue depuis 2005 un agent de cohésion sociale », le logement, l’Islam, la politique de la ville, les politiques conduites dans les quartiers, etc.
L’égalité des chances
« Sous Sarkozy, le discours égalitaire a été remplacé par l’égalité des chances. Comme si l’on disait aux gens : vous êtes discriminés, l’État ne peut rien faire mais est prêt à aider les plus méritants d’entre vous, ceux qui feront leurs preuves. Donc, l’État se démobilise politiquement et laisse au marché l’expertise pour régler le problème, avec par exemple l’auto-entrepreneuriat. L’État montre alors que le seul moyen pour s’en sortir passe par le capitalisme. S’est alors lentement développée l’idée qu’on ne pouvait s’en sortir que par soi-même, avec ses propres réseaux. »
Lorsqu’il débute sa conférence, Hacène Belmessous annonce que le livre qu’il présente sera son dernier sur les banlieues populaires. « À chaque nouvelle élection, on parle toujours des quartiers populaires comme des fossoyeurs de la société française, comme des responsables du mal français. Au milieu des années 90, on en parlait comme des lieux de sauvagerie et de délinquance. En 2002, on a commencé à dire qu’ils étaient les bases arrières de l’islamisme. En 2012, on rajoute une couche en disant qu’y existent des pratiques culturelles et cultuelles qui ne sont pas françaises et, donc, qui nourrissent le terrorisme. Et, à partir de 2017, les banlieues sont devenues l’anti-France. Mon travail est d’essayer de comprendre pourquoi nous en sommes arrivés là. »
Petite histoire politique des banlieues populaires, éditions Syllepse, 10 euros.