« L’ombre du zèbre n’a pas de rayures » déclarait joliment le poète René Char. S’il est un artiste qui se sent proche de l’animal, c’est bien le danseur et chorégraphe Fred Bendongué qui, après ses débuts à Vénissieux auprès de Traction Avant, a aujourd’hui installé sa compagnie à Tarare. Le 18 octobre à Vaulx-en-Velin, dans le cadre du festival Karavel, et le 22 octobre à Saint-Loup, Fred présentait donc son nouveau spectacle, La Culture du zèbre, « récit chorégraphique entre danse et slam ». En attendant la sortie aux 3 Colonnes de son livre Up Rock qui retrace l’histoire du hip-hop telle qu’il l’a connue à Vénissieux, puis dans le monde entier.
« En 2012, explique-t-il, alors que je renouais des liens avec le milieu hip-hop, je me suis rendu compte des grosses lacunes qu’avaient les nouvelles générations dans la connaissance de l’histoire du hip-hop américain et français. Tout aurait démarré au milieu des années quatre-vingt-dix avec Käfig. Nous ne sommes pas en présence d’une génération spontanée. Certains ont essuyé les plâtres avant, dont Traction Avant. Cette compagnie pionnière pour le passage de la rue à la scène a fait partie des balbutiements, avec Black Blanc Beur dans la région parisienne. »
Fred désire rendre tout particulièrement hommage à Marcel Notargiacomo, fondateur de la compagnie Traction Avant, et au chorégraphe Pierre Deloche. C’est d’eux que naît Kaskadanse, « première création qui fait partie du patrimoine chorégraphique français ». D’eux, le danseur apprend que deux mondes peuvent se rencontrer : « L’un où la danse fait partie d’une élite et l’autre avec un ancrage populaire très fort. Les deux pouvaient faire culture ensemble. Tout cela est bien sûr en lien avec la Marche de 1983. »
Fred Bendongué fait allusion à la Marche contre le racisme et pour l’égalité, trop vite réduite à l’appellation « Marche des Beurs » : « La création de la compagnie Traction Avant naît de cette marche, de cette énergie, de cette colère qui a vu le jour aux Minguettes. » Il est important pour lui de raccorder les deux mouvements, celui de la Marche et celui du hip-hop.
Redonner du sens au hip-hop
« Nous, les danseurs, on occupait la rue, on voulait montrer qu’on existait. La Marche a aussi occupé la rue pour dire que ces jeunes existaient avec leurs différences, qu’ils soient noirs, blancs ou métis. Ils faisaient front ! Et que cela parte des Minguettes est important ! »
D’autant que pour lui, aujourd’hui, les enjeux sont toujours les mêmes, « démultipliés ». Il va plus loin : « Il est important de redonner du sens au hip-hop. Sa présence sur scène ne doit pas uniquement montrer la culture du corps et une esthétique sans contenu. Il faut toujours exprimer les enjeux de la société, c’est important de le rappeler. »
Up Rock évoque donc les débuts du hip-hop en France et revient sur les premiers danseurs de Traction Avant. « Je raconte aussi mon envol, les épreuves que j’ai continué à rencontrer dans le métier. Le combat n’est jamais fini. Les succès et les reconnaissances internationales, dont je suis fier, dépassent ma personne. J’ai connu un retour de manivelle et je me retrouve aujourd’hui marginalisé. Je n’ai pas plus de moyens que d’autres pour continuer à enrichir mon travail. Est-ce que, alors qu’on interroge les mécanismes de domination, on est moins intéressant ? »
Il aimerait ainsi pouvoir présenter ses nouveaux spectacles dans sa propre ville, Vénissieux où il n’est apparu qu’il y a trois ans, pour une conférence donnée à « Bizarre ! ». D’autant plus que la Marche célébrera ses 40 ans l’an prochain et qu’il a « un projet sur la mémoire de ce qui s’est produit aux Minguettes ».
Tout est finalement contenu dans le titre de son dernier spectacle. Le zèbre n’est-il pas le mieux à même de réconcilier le noir et le blanc et de les faire cohabiter en toute quiétude ?