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Bon poids bon œil, au temps des bascules

Les rues de Vénissieux étaient autrefois équipées de balances publiques monumentales, semblables à celles que l’on trouve encore aujourd’hui dans certains villages. Regard sur des installations qui participèrent au progrès de notre ville.

Vers 1895, la bascule de Monsieur de Vignole, au Moulin-à-Vent, devint l’emblème de son établissement, le « Café de la bascule ».

Brennus était un chef gaulois. Son exploit ? Avoir réussi à assiéger la ville de Rome en 390 avant Jésus-Christ, et à la faire capituler. Les vaincus durent payer une rançon en or, que les Gaulois pesèrent sur une balance. Allez ! Encore ! Versez encore, dirent-ils aux Romains. Jusqu’à ce que ceux-ci comprennent que les poids de la balance étaient truqués, en leur défaveur évidemment. Ils protestèrent. Alors Brennus jeta son glaive sur les poids, et prononça la phrase célèbre « Vae victis » – « Malheur aux vaincus ».

Cette histoire était naguère si célèbre qu’au tournant des XIXe et XXe siècles, l’usine de balances Duchesne, implantée à Villeurbanne, prit Brennus et son glaive pour emblème. Pareille référence ne pouvait qu’attirer les élus de tous bords. C’est donc d’un cœur léger qu’en 1936, les membres du conseil municipal de Vénissieux confièrent à l’entreprise Duchesne le soin d’aménager une nouvelle bascule. « Camarades », exposèrent-ils, « le poids public de la place Léon-Sublet ne répond plus aux besoins actuels. Son insuffisance de tonnage est depuis longtemps démontrée. Cependant, le poids public est très apprécié de la population ». Dont acte. Moyennant 13 950 francs, on remplaça donc le vieux « pont-bascule » de la place Sublet, qui ne pesait que des charges de 10 tonnes, contre un nouvel équipement apte à peser jusqu’à 30 tonnes. Il fut installé au carrefour de l’avenue Jean-Jaurès et de la rue Carnot.

Une mission de service public

Ce n’était pas la première fois que les élus vénissians s’intéressaient ainsi au poids des choses en ce monde. En 1853 déjà, le maire et les conseillers municipaux avaient dû peser de tout leur poids pour que le pesage des charges devienne l’affaire de la mairie. Pensez donc, les jours de foire, durant lesquels se vendaient force têtes de bétail et notamment des cochons, tout un chacun pouvait peser la bête à sa guise. Du coup, les entourloupes à la Brennus ne manquaient pas, qui nuisaient au bon déroulement du commerce. Le 13 février 1853, l’on décida donc sans trop s’appesantir, que le pesage des porcs « sur les places, rues et autres lieux publics », serait exclusivement effectué par un peseur désigné par la commune. Cette affaire de poids devint ainsi un service public, au même titre que la poste ou l’école.

Fort bien me direz-vous, mais quid de ce qui n’est pas cochon ? La balance des cochons, portable et démontée après chaque foire, ne convenait pas du tout pour peser des charrettes avec leur chargement. Il existait pourtant des modèles adéquats : formant une sorte de pont d’environ 4 m de long pour 2 m de large, ces bascules grand format étaient posées sur une fosse, à l’intérieur de laquelle se trouvait un mécanisme relié à une balance romaine, elle-même abritée dans une petite construction jouxtant le pont. Mais elles coûtaient très cher, trop en tout cas, pour les finances communales. Aussi en 1862, le maire Jean-Jacques Sandier eut-il l’idée de s’entendre avec un cafetier nommé Etienne Varichon. Varichon prendrait à sa charge la construction de l’équipement, percevrait le prix des pesages, et céderait au bout de dix ans la propriété de la bascule à la commune. Bien calculé, mais ce fut un coup d’épée dans l’eau. Trop éloignée du Bourg, la première bascule communale ne connut pas le succès escompté. Si bien qu’en 1879, la municipalité dut en faire construire une autre, place Sublet cette fois, en plein cœur de Vénissieux. Comme l’ancienne balance aux cochons, la nouvelle bascule publique fut louée à un peseur officiel, qui versa à la commune un loyer de plusieurs centaines de francs par an et qui, en échange, perçut une taxe sur chaque pesée effectuée : 60 centimes jusqu’à 1500 kilos, et 75 centimes au-delà, soit à peu près le prix d’une journée de salaire d’un ouvrier.

La bascule dans le privé

Mais ce faisant, la commune se montra trop gourmande. Face à ces prix élevés, certains Vénissians bâtirent des ponts-bascules privés sur leur propre terrain, concurrençant ainsi directement le service public. Ainsi fit Monsieur Barbier, un marchand de vin lyonnais qui, en 1894, implanta un pont-bascule à Parilly, sur la route d’Heyrieux. Idem pour Monsieur Vignolle dont la bascule, construite au Moulin-à-Vent et plus précisément chemin de Champagneux, à un jet de mégot de sa terrasse de café, devint l’emblème de son établissement, le « café de la Bascule », qu’un photographe s’empressa d’immortaliser sur une carte postale. En cette fin du XIXe siècle, les bascules s’invitèrent ainsi dans le paysage vénissian, et devinrent l’un des pôles de la vie du village. Grâce à elles, on put désormais peser le juste poids d’une charrette de foin ou d’un tombereau de pommes de terre, et ainsi en retirer le juste prix lorsqu’on les mena vendre à Lyon ou vers de plus lointains horizons.

Ce qui était vrai pour l’agriculture l’était aussi pour l’industrie. À partir de 1884 et de nouveau en 1894, les élus vénissians réclamèrent à cor et à cri que la compagnie de chemins de fer PLM, qui desservait notre ville, aménage à côté de la gare un « poids public sur la voie ferrée », afin de peser les wagons. En effet, « depuis quelques années le trafic des marchandises de diverses natures à la gare de notre commune prend une extension considérable soit pour l’arrivage pour l’agriculture et le commerce (…), soit pour l’industrie, de nombreux wagons devant servir à la chimie et à la manufacture, [notamment] les arrivages de charbons qui augmentent tous les jours en raison de l’extension des usines ». Ces balances pesaient donc d’un bon poids et méritaient le coup d’œil : elles accompagnèrent rien moins que le développement économique et industriel de Vénissieux.

Sources : Archives de Vénissieux, délibérations municipales (1853-1936) et 1 M 197-2.

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