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Aimer sous l’Ancien Régime

L’amour est vieux comme le monde. Il s’invitait déjà dans le Vénissieux d’Ancien Régime, amenant bien des joies mais aussi parfois bien des tourments.

En 1695, Étiennette Medon déclara avec ce document l’arrivée prochaine de son enfant, de père inconnu. La démarche était obligatoire. En cas d’avortement ou de disparition inexpliquée de l’enfant, elle serait condamnée à mort !

Comment ces deux-là se sont-ils connus ? L’histoire ne le dit pas. Jean Sublet, fils d’un laboureur de Vénissieux, autrement dit l’un des paysans les plus aisés du village, avait 28 ans, et sa belle 26 ans. C’était une Sublet elle aussi, prénommée Marie. Mais n’allez pas croire qu’ils étaient cousins germains ou, pire, frère et sœur : l’Église interdisait formellement toute union entre parents trop proches, et la société lui emboîtait évidemment le pas. Simplement, les Sublet courraient les rues dans le village ; ce nom y était présent depuis une éternité, et s’était répandu de plus en plus au fil du temps. Mais il n’est pas impossible que Jean et Marie aient ri de cette parenté par patronyme interposé.

Tous deux habitaient au Bourg, et donc se voyaient depuis leur plus tendre enfance. Ils se croisèrent maintes fois, dans les champs, dans les rues, jusqu’à ce que leurs regards changent. Jusqu’à ce qu’ils s’apprécient de plus en plus. Se touchent la main. S’échangent des promesses. Dansent les jours de fête sous le son des violons. Et suscitent les commentaires des voisines. Alors, Jean convint avec Marie d’aller voir son père. Le flirt léger était toléré par les villageois et par les parents, mais pas au-delà. Pour les choses plus sérieuses, l’accord paternel, voire maternel, était obligatoire. Aussi, dans les premiers jours de 1770, Jean Sublet alla trouver le père de sa belle, lui aussi appelé Jean Sublet.

Le balai dressé signe de bienvenue pour le prétendant

Il s’approcha de sa maison. Examina la porte. Et y vit un bon signe : le balai était dressé près de l’ouverture, en signe de bienvenue. Un balai laissé par terre et formant comme une barrière, l’aurait invité à rebrousser chemin. Il entra. Salua le père et la mère avec bien des déférences, et jeta un œil à Marie. Elle était accroupie devant la cheminée, en train de tisonner des braises. Encore un signe favorable. Elle avait parlé à ses parents, et tous deux avaient donné leur accord pour un futur mariage. S’ils avaient dit non, Marie aurait recouvert les braises avec de la cendre, signifiant ainsi à son tourtereau qu’il fallait étouffer leur amour. Le chemin s’ouvrant à lui, Jean se lança, et déclara au père qu’il voulait épouser son aimée. Ses parents à lui, bien sûr, étaient d’accord avec ce projet. Alors on discuta gros sous, des biens que le futur apporterait, de la dot que les parents de la belle lui donneraient. L’on parla aussi des « joyaux » : la bague et le cœur en or que Jean offrirait à Marie le jour des épousailles. Puis l’on alla trouver le curé. Un mariage le plus tôt possible serait le bienvenu. Pour le cas où Jean et Marie auraient déjà croqué la pomme. On ne sait jamais…

Messire Grilliet, le curé de Vénissieux, se montra conciliant. Il accepta de ne publier que deux bans annonçant publiquement le mariage au lieu de trois – c’était déjà une semaine de gagnée, pour autant que Monseigneur l’archevêque donne son accord bien sûr. Puis vint le jour tant attendu. Le mardi 27 février 1770, « après deux publications de mariage », Jean et Marie convolèrent en justes noces dans l’église du village, recevant ainsi un sacrement indissoluble, les liant pour la vie. Neuf mois et demi plus tard, le 13 décembre 1770, Marie accouchait d’un premier enfant, un garçon prénommé Jean. Ces deux-là n’avaient pas traîné ! Habituellement, le premier bébé pointait plutôt le bout de son nez au bout d’une quinzaine de mois après le mariage. Marie et Jean étaient comblés.

Les filles-mères réprouvées

Mais les choses ne se passaient pas toujours aussi bien, et l’amour pouvait aussi devenir un piège périlleux. Etiennette Medon en fit la cruelle expérience. Originaire de Luzinay, près de Vienne, elle était employée comme domestique auprès d’un notable du Moulin-à-Vent, Humbert Bonard. En cette année 1695, elle allait déjà sur ses trente ans, et n’avait connu aucun galant qui accepta de l’épouser. Aussi, lorsque Claude Champagne, un valet de ferme lui aussi, vint roucouler auprès d’elle, Etiennette Medon lui prêta une oreille attentive. Le damoiseau lui promit monts et merveilles, et bien sûr de l’épouser, cela va de soi. Tant et si bien qu’Etiennette lui accorda ses « dernières faveurs ». Un coin de grange, ou un champ perdu dans la nuit, leur servit de nid. Etiennette se retrouva enceinte. Et son amant prit aussitôt ses distances, oubliant ses promesses.

Malheur à elle ! Les filles-mères n’étaient pas si rares autrefois, mais toutes étaient réprouvées. Comme les lois de Sa Majesté le prévoyaient, elle alla trouver le représentant de la justice seigneuriale et aussi le notaire de Vénissieux, pour déclarer son « fruit ». La démarche était obligatoire, qui visait à protéger le bébé à naître d’un possible infanticide. En cas d’avortement, ou de disparition inexpliquée de l’enfant, elle serait condamnée à mort. Dès lors, tout le monde la montra du doigt. Elle n’en continua pas moins à travailler à la ferme, même à six mois de grossesse, au point qu’elle « estimoi setre blessé par les efforts quelle a fait en levant les benot a vandanges ».

Le pire fut atteint lorsqu’un garçon de treize ou quatorze ans se mit à la frapper violemment avec un bâton, sans que personne n’intervienne. Là aussi, elle crut perdre son bébé, et craignit tellement d’être condamnée à mort qu’elle porta plainte contre l’adolescent ! Et fut contrainte, dès le lendemain, de lui présenter des excuses – devant notaire… Le terme de la grossesse étant venu, Etiennette accoucha Dieu sait où. Pas à Vénissieux en tout cas, car les registres de la paroisse n’en gardent aucune trace. Comme bien des filles-mères, elle dut se réfugier à Lyon, puis abandonner son enfant à l’Hôtel-Dieu ou dans l’un des couvents de la ville, payant ainsi sa vie durant l’espoir d’amour auquel elle avait succombé.

Sources : Archives du Rhône, 4 E 5377, 3 E 11447 (f° 75), 259 GG 1.

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