Ballottés entre la crise sanitaire et celle du papier, les professionnels de l’imprimerie tanguent. Tout d’abord, la pandémie a donné lieu à une baisse d’activité de l’ensemble de la filière, tout en contrariant l’approvisionnement de papier. Paradoxalement, la reprise économique n’a pas souri aux imprimeurs. Le niveau de production de papier à usage graphique ne permet pas en effet de contenter la demande. Début 2022, les 112 jours de grève du géant du papier, le Finlandais UPM, ont perturbé le marché. La guerre en Ukraine, qui fait grimper les prix du gaz et de l’électricité, n’aide pas non plus l’industrie papetière, très gourmande en énergie.
Par conséquent, depuis novembre 2021, le prix de la pâte à papier ne cesse de monter. En six mois, le cours de la « pulpe » a progressé de 60 %.* Intergraf, la fédération d’imprimeurs européens, relevait en mars une hausse moyenne du prix du papier « de l’ordre de 45 % sur un semestre » et évoquait « une pénurie sans précédent ».
Pour une petite imprimerie comme Les Feuilles de saison, basée dans le quartier Jules-Guesde, la note est salée. « Certains papiers ont pris 100 % d’augmentation, s’alarme Jean-Jacques Barre. Pour les plaquettes, on est passé de 66 euros les 1 000 feuilles à 127 euros. » Acteur d’une filière « au bout du rouleau », le gérant déplore une baisse de son chiffre d’affaires de 43 %.
« Les marchands de papier se comportent comme des banquiers »
Prises dans la bourrasque, Les Feuilles de saison réduisent la voilure. « J’avais deux employés, poursuit Jean-Jacques Barre. Une est partie pendant la crise Covid. En juillet 2021, j’ai eu un départ en retraite. Aujourd’hui, je suis tout seul pour limiter la casse. Le 1er mars 2025, je tire le rideau. »
Au centre-ville, Vénicopie n’échappe pas à la hausse des tarifs pratiqués par ses fournisseurs. En revanche, le gérant de cet établissement fondé en 1987 fustige surtout de récents soucis d’approvisionnement. « Nous sommes surtout touchés par les ruptures de stock, précise Taïeb Boubaker. Depuis le début de la guerre en Ukraine, ça arrive fréquemment. Le confinement en Chine entre aussi en ligne de compte. »
Les structures de taille plus importante sont également secouées. C’est ce qu’on rapporte chez Public Imprim (27 collaborateurs). Cette entreprise ancrée dans la zone industrielle se débat entre la flambée des prix et un volume d’impression qui diminue de 2 à 3 % par an.
Ses dirigeants anticipent un avenir assez sombre pour la filière. « Cette crise va accélérer la transformation de la profession, anticipe le président Philippe Bertannier. Seuls ceux qui sont solides financièrement vont résister. Avant, les marchands de papier venaient nous présenter leurs produits. Aujourd’hui, ils se comportent comme des banquiers et nous demandent notre bilan comptable. »
Cette nouvelle donne oblige Public Imprim à jouer serré. « Le secteur est hyper concurrentiel, constate Philippe Bertannier. On ne peut pas répercuter toute cette hausse sur nos prix. Alors nos commerciaux tentent de proposer des produits à prix constants. »
Laurence Bailly-Maître, la directrice, fait son possible pour maîtriser ses achats : « On développe notre nombre de fournisseurs pour ne pas être dépendants. La grande bataille de ces derniers mois, c’est d’avoir du volume. »
*Source : indice des prix de l’Insee.
Expressions, un journal toujours aussi fourni… Mais plus léger
Selon l’Apig (Alliance pour la presse d’information générale), le prix du papier journal s’est envolé en un an, passant environ de 500 à 800 euros la tonne.
Expressions-Les Nouvelles de Vénissieux a su s’adapter à ce contexte. Votre bimensuel gratuit a modulé son grammage. « Le journal était entièrement imprimé sur du 52 grammes, précise Gilles Lulla, directeur et rédacteur en chef. En 2022, nous avons opté pour un mix entre du 42 et du 52 grammes sur le modèle de L’Équipe. En revanche, le format, compris entre 20 et 24 pages, reste le même. Cette solution a été suggérée par notre imprimeur qui rencontrait des soucis d’approvisionnement. Avec cette formule, nous restons sur les tarifs de 2021 et maintenons notre budget papier qui allait subir une hausse de l’ordre de 20 %. »
Les maisons d’édition font face
Thierry Renard, directeur de l’Espace Pandora, est également l’un des dirigeants des éditions La Rumeur libre. La maison, qui édite une trentaine de livres par an, a dû rehausser les prix de ses ouvrages, de l’ordre de 13 à 20 % selon les collections. « Les livres à 15 euros sont passés à 17, précise le poète vénissian. Ceux vendus à 10 euros sont passés à 12. Nous avions constaté une hausse du prix du papier de 30 à 40 %. Nous résistons car nous avons un imprimeur qui possédait du stock. Il a joué le jeu et n’a pas considérablement augmenté ses tarifs. »
Pour La Rumeur libre, l’autre enjeu est de gérer les retards de livraison. « Nous revoyons notre calendrier, explique Thierry Renard. Nous retardons certaines parutions. Heureusement, les auteurs nous restent fidèles. Et notre public aussi ! »