Une subvention amputée – Compagnies en résidence – À l’affiche
Joyeuse et insolite, voilà deux adjectifs qui illustrent parfaitement ce que sera la nouvelle saison théâtrale. Directrice de La Machinerie, qui réunit « Bizarre ! » et le Théâtre de Vénissieux, Françoise Pouzache l’a dévoilée ce 23 juin, en même temps que la première partie de celle de « Bizarre ! ». N’oublions pas que la programmation de l’équipement de musiques actuelles se fait par semestres.
Des spectacles joyeux, donc, et une programmation volontiers pluridisciplinaire : cirque, théâtre, musique, danse… « Un équilibre pour que tout le monde trouve son compte. » Sans oublier la programmation pour le jeune public qui, elle aussi, revendique la diversité. Car, c’est un souhait de la directrice, la programmation s’adresse au plus grand nombre. « Certaines personnes, indique-t-elle, viennent encore au guichet. On discute avec elles. On tient à garder ce lien avec ceux qui n’utilisent pas Internet. »
« Bizarre ! » : un premier semestre rythmé
C’est à « Bizarre ! » que s’ouvrira le bal, dès le 22 septembre, avec Ni. Pour Morgan Fraisse-Laszlo, secrétaire général de La Machinerie, ce premier spectacle sera « l’un des deux temps forts en danse, le second étant le 26 janvier. » Joué par la compagnie lyonnaise 100blazes, il finit l’accompagnement des danseurs par le Plan B, système mis en place à « Bizarre ! » pour aider les jeunes artistes.
Le 26 janvier, avec Iko, le collectif Lignes urbaines et sa chorégraphe Marion Blanchot cherchent les points de rencontre entre le hip-hop et le Parkour, cette discipline que l’on qualifie d’« art du déplacement ». Le qualificatif que lâche immédiatement Morgan est « spectaculaire ».
Outre les nombreux concerts (Bakari, Svdvde, Chanceko, Sholo Senseï, Souffrance, James Loup, Oso, JMK$, Li$on, Tessæ, Sokuu, Yellowstraps, Tuerie), « Bizarre ! » proposera encore le 8 octobre une connexion inédite entre des artistes lyonnais, la plupart accompagnés par le Plan B, et montréalais avec Latitude 45, ainsi baptisée parce que les deux villes sont à proximité du 45e parallèle nord. Et, le 29 octobre, Jokes Over Barz sera un battle rap empli d’humour.
Le grand feu du grand Jacques
Des jongleurs de Juventud, spectacle espagnol présenté au théâtre le 7 octobre, aux acrobates qui nous donneront plusieurs rendez-vous en mai et juin grâce au festival utoPistes, l’adresse sera la clef de voute de la saison. Celle des mains et des pieds mais aussi de la diction et de l’invitation à pénétrer une succession de mondes parallèles.
L’un des premiers est cet étonnant, perturbant, émouvant Grand Feu (14 octobre), hommage tout aussi précis que barré au grand Jacques Brel qu’ont concocté deux Belges, Mochélan et Rémon Jr, avec la complicité de Jean-Michel Van den Eeyden.
« Mochélan ne cherche pas à copier Brel, commente Françoise Pouzache, mais, avec ses bras immenses et ses intonations, il finit par lui ressembler. Le Grand Feu est autour de la vie du chanteur, de ses influences et comment elles se traduisent dans ses chansons. On aborde son côté anarchiste et, aussi, à ses débuts, sa proximité avec le catholicisme. C’est d’une Belgitude totale ! »
Denis Lavant, Kery James, Emmanuel Meirieu et quelques autres
Toute la saison est ainsi construite autour d’expériences fortes, d’émotions qui le sont tout autant. Aussi, gardons les mots de la directrice de La Machinerie et laissons-la nous en parler.
Commençons par le jeune public. De l’univers cotonneux des Premières neiges, « très bon concert électro qui va déménager », au Mensonge, « spectacle de danse très beau, accessible à partir de 4 ans, visuel, expressif, drôle et joyeux », la qualité sera omniprésente. Avec Icare, « la pièce montre comment un parent lâche la main de son enfant ». Billy la nuit et La Nuit labyrinthe explorent les peurs nocturnes.
Le Chat aborde les collèges et s’adresse également aux plus grands. « Voici donc, reprend la directrice, une création lyonnaise sur le harcèlement scolaire, née d’une enquête dans des collèges de la Métropole, à Vaulx-en-Velin, Décines, Mions. Tout part d’un chat en mauvaise posture. Par histoires découpées (un conseil de classe, un CPE), reliées à celle de l’animal, l’auteur tisse des instants du collège, où le harcèlement circule entre les lignes. »
L’originalité sera au centre de la nouvelle saison et Mister Tambourine Man mérite bien le qualificatif. « Partant de la légende du joueur de flûte de Hamelin, Denis Lavant et Nikolaus Holz composent un duo délirant. Cette rencontre entre un clown et un homme-orchestre part dans tous les sens et l’on y croisera pêle-mêle un rat géant, un geyser et un piano déglingué. C’est magique ! »
Magique, Bagarre générale le sera sans doute et trash aussi, par la même occasion. « Nous aurons un ring et une vingtaine d’artistes, comédiens, musiciens qui s’entraînent au catch depuis plus d’un an. C’est un opéra-rock catch avec des parties chantées et jouées, un prétexte pour parler de luttes sociales et politiques Ce sera désespéré et joyeux et créé chez nous pour la première fois en salle. »
Autre grande date attendue, celle du 2 décembre avec le retour d’Emmanuel Meirieu et de sa compagnie Bloc opératoire, pour Dark Was the Night. « Nous l’avions déjà accueilli ici avec Mon traître et Les Naufragés. Au départ, nous avons Blind Willie Johnson, un bluesman aveugle, pauvre, noir et malade. On a retrouvé un jour son cadavre dans sa maison, qui avait brûlé mais où il avait continué à vivre, n’ayant nulle part où aller. En 1977, est envoyée dans l’espace la sonde Voyager. Elle contient un disque avec des signes, des formules mathématiques, des photos et des chansons du monde entier, dont Dark Was the Night de Blind Willie Johnson. Après 1989, la sonde a atteint les limites du système solaire. La chanson de Johnson fait partie de ce qui restera de notre humanité. »
Lui aussi de retour après À vif et Mélancolique Tour, Kery James viendra présenter À huis clos le 28 avril. « Certaines bonnes affaires se règlent sur un coin de table. Le soir du Mélancolique Tour qu’il venait de jouer chez nous, Kery James était dans sa loge. Je suis descendue le saluer et il m’a parlé de la suite qu’il voulait donner, en 2023, à son spectacle À vif, que nous avions également programmé. Je lui ai dit que j’étais preneuse et il a tenu parole. Dans À huis clos, un avocat dont le frère a été tué par un policier prend en otage le juge qui a acquitté ce dernier. Déjà, dans À vif, il était question de notre société et de la Justice. Nous attendons avec impatience ce nouveau récit. »
Et encore…
Signalons encore 1983, une création de la compagnie Nova, le 22 novembre : « Ils avaient monté chez nous, en novembre dernier, Et le cœur fume encore. Leur nouveau spectacle s’intéresse à la mémoire et à la décolonisation, en partant de la Marche pour l’égalité. Nous allons faire appel à nouveau à l’association Traces, qui travaille sur les questions d’immigration et de colonialisme. Elle nous propose une exposition en écho à 1983 et des interventions de Léla Bencharif, la présidente de Traces, et de Tarek Kawtari, membre d’un collectif qui a accueilli les marcheurs dans la région parisienne et auteur de l’exposition Ceux qui marchent encore, que nous garderons une dizaine de jours. »
Le 25 novembre, la compagnie Tenseï rend hommage à la diaspora égyptienne en France avec Elged(j)i & Molo(kheya), deux pièces courtes d’une quarantaine de minutes. « La première est sur un grand-père, la seconde sur une grand-mère. Mélangeant le hip-hop, le cirque, le clown, la vidéo, avec un moment où l’on cuisine sur le plateau, le spectacle est joyeux, malin et touchant. »
Avec Diva Syndicat, par la compagnie Mise à feu le 10 mars, les femmes prendront le devant de la scène musicale. « Deux musiciennes lyonnaises nous proposent ce spectacle qui s’inscrit dans le festival Essenti'[elles]. Elles montrent comment, depuis mille ans, les femmes ont été mises en dehors de la sphère musicale. Pourtant, elles ont composé mais l’Histoire n’a souvent retenu leurs noms que comme des épouses. Les femmes ont été invisibilisées et Diva Syndicat commence par une manif. Les deux artistes manient l’humour potache sur un fond très sérieux. »
Pour conclure, citons encore, avec Upshot, la venue sur la scène du théâtre de la compagnie Relevant, accompagnée par « Bizarre ! », et une rave party (Rave Lucid par la compagnie Mazelfreten).
Pour une fois, la soirée Shake It et ses artistes repérés par La Machinerie ne conclura pas la saison, le 5 mai. Elle sera suivie, le 12 mai, par un ciné-concert donné par vingt musiciens de l’Opéra de Lyon autour des films de Georges Méliès.
Et, comme les arts de l’équilibre ont ponctué toute la programmation — tel Le Complexe de l’autruche, le 16 décembre, par Le Collectif d’équilibristes et la compagnie du Courcirkoui —, l’année s’achèvera avec le festival des utoPistes, créé par la compagnie MPTA, et qui se tiendra du 24 mai au 4 juin : « On sait que Mathurin Bolze et sa compagnie Les Mains, les pieds, la tête aussi sont partie prenante de la future Cité du cirque qui devrait ouvrir à Parilly en 2026. La biennale des utoPistes fera escale à Vénissieux en 2023. Nous commencerons avec Carmen à l’école de musique le 24 mai, puis poursuivrons sur le parvis du théâtre, le 15 juin, avec Le Corps sans organes.«
Puis, les 30 et 31 mai, 2, 3 et 4 juin au parc de Parilly, Terces offrira à cette saison un splendide finale.
Deux compagnies en résidence
Deux compagnies, le Pockemon Crew et Transports en commun, restent en résidence à La Machinerie. « Nous avons décidé de les garder jusqu’en 2024, précise Françoise Pouzache. Et, l’an prochain, Transports en commun nous présentera la deuxième saison de ses Petites Mythologies. »
Pour cette saison, le Pockemon Crew s’associe à l’Opéra de Lyon pour Contrappunto. « Les danseurs des deux structures ont adoré travailler ensemble et échanger leur dynamique. Ici, trois danseurs Pockemon et deux du ballet de l’Opéra vont se mouvoir sur la suite pour violoncelle de Bach. Cette création a d’autant plus de sens qu’elle permettra de réunir deux sortes de publics qui, sans cela, ne se croiseraient jamais. »
Transports en commun présentera la version longue du Mur, dont une version écourtée a été jouée cette année à l’Ehpad du Tulipier et dans les centres sociaux. Avant de se lancer dans une nouvelle création, Le Grand Cahier, montée le 13 janvier : « Léa Ménahem laisse donc de côté ses clowns pour s’intéresser au livre d’Agota Kristof, autrice vraiment à part. Elle raconte l’histoire de jumeaux qui, pour fuir une guerre, sont envoyés chez une grand-mère très méchante. Elle les met tellement en danger de mort qu’ils vont retranscrire dans un cahier des exercices de survie. Le récit montre comment un entourage peut créer la monstruosité. Léa et la compagnie vont commencer leur répétitions cet été. »
À l’affiche
22 septembre, 18h30, Bizarre ! : Ni
24 septembre, 20h30, Bizarre ! : Bakari + Svudvde
30 septembre, 20h30, Bizarre ! : Chanceko + Sholo Senseï
7 octobre, 20 heures, théâtre : Juventud (Nicanor de Elia)
8 octobre, 20h30, Bizarre ! : Latitude 45
9 octobre, 15h30, théâtre : Premières neiges (Nelson)
14 octobre, 20 heures, théâtre : Le grand feu (Mochélan et Rémon Jr)
21 octobre, 20 heures, théâtre : Le chat (L’Association pratique)
21 octobre, 20h30, Bizarre ! : Souffrance + James Loup + Oso
29 octobre, 20h30, Bizarre ! : Jokes Over Barz
18 novembre, 20 heures, théâtre : Contrappunto (Pockemon Crew, Opéra de Lyon)
22 novembre, 20 heures, théâtre : 1983 (Nova)
25 novembre, 20 heures, théâtre : Elged(j)i & Molo (kheya) (Tenseï)
25 novembre, 20h30, Bizarre ! : JMKS + Lison
30 novembre, 18h30, Bizarre ! : Tessæ + Sokuu
2 décembre, 20 heures, théâtre : Dark Was the Night (Bloc opératoire)
6 décembre, 20 heures, théâtre : Le Mur (La Fédération)
9 décembre, 20h30, Bizarre ! : Yellowstraps + Tuerie
11 décembre, 15h30, théâtre : Le Mensonge (Act2)
16 décembre, 20 heures, théâtre : Le Complexe de l’autruche (Le collectif d’équilibristes, Cie du Courcirkoui)
13 janvier, 20 heures, théâtre : Le Grand Cahier (Transports en commun)
20 janvier, 20 heures, théâtre : Bagarre générale (compagnie L’Abeille beugle)
26 janvier, 18h30, Bizarre ! : Iko (collectif Lignes urbaines)
29 janvier, 15h30, théâtre : Icare (Coup de poker)
3 février, 20 heures, théâtre : Upshot (Relevant)
24 février, 20 heures, théâtre : Rave Lucid (Mazelfreten)
5 mars, 15h30, théâtre : Billy la nuit (Les Nuits claires)
10 mars, 20 heures, théâtre : Diva Syndicat (Mise à feu)
31 mars, 20 heures, théâtre : Mister Tambourine Man (L’Envers du décor)
5 avril, 15 heures, théâtre : La Nuit labyrinthe (Pauline Laidet)
28 avril, 20 heures, théâtre : À huis clos (Kery James)
5 mai, 18h30, théâtre : Shake It !
12 mai, 20 heures, théâtre : Méliès le magicien (opéra de Lyon)
24 mai, 18 heures, école de musique : Carmen (festival utoPistes)
30, 31 mai, 2-4 juin : Terces (parc de Parilly) (festival utoPistes)
15 juin, 20 heures, parvis théâtre : Le Corps sans organes (festival utoPistes)
Plusieurs tarifs sont proposés, au théâtre et à « Bizarre ! », avec possibilité d’abonnements flexibles.
Infos et billetterie sur https://lamachinerie-venissieux.fr ou 04 72 90 86 68 (du mardi au vendredi, de 14 à 18 heures).
Une subvention amputée par la Région
Françoise Pouzache ne cache pas une certaine inquiétude. La directrice de La Machinerie annonce que la Région a supprimé 50 000 euros dans sa subvention. « Nous sommes plus impactés que la moyenne, puisque 38,5% de notre subvention sont partis. La Villa Gillet, elle, a tout perdu et nous, nous sommes dans le peloton de tête. »
Annoncées courant avril par l’équipe de Laurent Wauquiez à la Région, les coupes dans les budgets culturels concernent donc la Villa Gillet mais également la Biennale d’art contemporain, l’Opéra de Lyon, l’Institut Lumière, le TNP, la Maison de la danse, le musée urbain Tony-Garnier et quantité d’autres structures, dont La Machinerie.
Cette subvention amputée devait bien sûr appuyer le budget 2022 de La Machinerie alors que la prochaine programmation est déjà bouclée. « Mais nous gardons la même saison, reprend Françoise Pouzache. À l’automne, nous déciderons si l’on peut ou pas conserver l’ensemble. Nous espérons ne rien devoir annuler, bien sûr. »
La décision de la Région est d’autant plus difficile à comprendre que les structures se relèvent à peine de la crise sanitaire que nous venons de traverser.
« Nous avons perdu près de 25% en fréquentation, reprend Françoise Pouzache. Certes, la baisse n’est pas linéraire et certains spectacles font toujours le plein quand d’autres accusent une baisse. Notre public n’est pas entièrement revenu. Des personnes nous ont dit qu’elles avaient encore peur et d’autres continuent de porter un masque, même si ce n’est plus obligatoire. J’espère que la saison 2022-23 marquera une vraie grande reprise. »