Devant l’agence de voyages de Vénissy, la file d’attente s’allonge. Depuis quelque temps, la scène se répète invariablement. La plupart des gens venus faire la queue n’ont qu’un souhait : trouver un billet d’avion pour l’Algérie, trois ans après leur dernière visite.
Dénicher le précieux sésame est tout sauf aisé. « Il y a tellement de demandes que nous avons dû couper la ligne téléphonique », confie une employée, bien seule pour gérer les états d’âme des clients.
Certes, les vols commerciaux ont repris le 1er juin 2021 avec l’ouverture partielle des frontières algériennes. Mais un an après, l’offre des compagnies aériennes est encore trop restreinte pour satisfaire la forte demande. Résultat : les prix s’envolent, tandis que certains membres de la communauté restent cloués au sol, faute de budget ou de places disponibles.
Hayat et sa maman Dalila sont venues de Saint-Fons pour tenter leur chance. Comme tant d’autres, elles ont hâte de revoir leurs proches de l’autre côté de la Méditerranée : « Ça fait trois ans qu’on attend ça. Malheureusement, c’est très cher : entre 700 et 750 euros pour un aller-retour en juillet-août, par Paris. En 2020, ça nous avait coûté dans les 300 euros. Et on attend toujours d’être remboursées. »
Avec ces tarifs passés du simple au double, des familles se saignent. « Ça y est, je les ai, s’enthousiasme un jeune papa de trois enfants en sortant de l’agence. 3 600 euros pour cinq personnes, un vol direct Lyon-Alger, en juillet. »
« Si on m’avait demandé un million, j’aurais payé un million »
Abed, toujours en quête du précieux bout de papier, observe la scène : « Les Algériens sont prêts à y mettre le prix. Les gens sont pressés de rentrer. En décembre, alors qu’il y avait des restrictions, j’ai perdu mon beau-père. Ma femme avait payé 695 euros pour un aller Paris-Oran. À ce prix-là, on peut se rendre à New-York ! »
Le local de Djemila Voyages, boulevard Ambroise-Croizat, a des allures de forteresse. Pour avoir une chance d’y pénétrer, certains se lèvent très tôt. « Les premiers arrivent à 4 heures du matin », nous révèle-t-on. Ici aussi, l’accueil téléphonique est indisponible. Les infos circulent grâce au bouche-à-oreille. « On est obligé de venir, proteste Soraya. Commander sur Internet, c’est impossible. Hier, mon fils a essayé jusqu’à minuit. »
Habituée de l’agence qui porte son prénom, Djemila ne désespère pas de trouver des places pour elle et sa famille. « On prendra ce qu’il y a. En mars, j’étais déjà descendue pour 950 euros, par Paris Charles-de-Gaulle. C’était pour le décès de mon père. Si on m’avait demandé un million, j’aurais payé un million. »
Les aéroports rouvrent au compte-gouttes
Si les voyageurs sont pressés de décoller, le gouvernement algérien, lui, prend son temps. Les réouvertures d’aéroports internationaux se font avec parcimonie. Depuis juin 2021, seuls les trois plus importants, Alger, Oran et Constantine, sont accessibles de l’étranger. Le 19 mai, le ministère des Transports a annoncé la réouverture prochaine de Sétif, Annaba, Béjaïa et Tlemcen au trafic international. Depuis mars 2020, ces quatre aéroports étaient réservés aux dessertes domestiques, crise du coronavirus oblige. Air Algérie a attendu le 8 juin pour annoncer la commercialisation de billets supplémentaires entre la France et l’Algérie.
À partir du 27 juin, un Boeing effectuera quatre rotations par semaine entre Lyon Saint-Exupéry et Sétif. Paris bénéficiera de 18 vols hebdomadaires vers Annaba, Béjaïa et Tlemcen. C’est une nouveauté : Tassili Airlines entre également dans le ballet aérien. La filiale du groupe pétrolier Sonatrach desservira Nantes, Strasbourg et Paris-Orly avec dix rotations chaque semaine.
Ruée sur les ferries
Pour rentrer « au bled » cet été, la diaspora algérienne a le choix entre passer par les airs ou par la mer. Les liaisons maritimes, interrompues pendant plus d’un an et demi, ont repris début novembre 2021. L’Etat algérien a validé un programme renforcé de traversées par bateau pour la belle saison. Algérie Ferries assure entre cinq et six rotations hebdomadaires entre Marseille et les ports d’Alger, Oran, Béjaïa et Skikda. Les navires de Corsica Linea en effectuent trois, avec Alger et Béjaïa. Ces titres de transport par ferry sont commercialisés depuis le 23 mai.
Selon Algérie Ferries, « les voyages supplémentaires autorisés offrent trois fois plus de capacité. » Et pourtant, mettre la main sur ces précieux tickets relève de l’exploit. « Afin d’éviter les débordements de foules au niveau de nos agences en France, nous invitons notre aimable clientèle à privilégier la réservation en ligne », avertit la compagnie nationale Problème : sur Internet, les flux sont ingérables. La compagnie indique avoir reçu fin mai jusqu’à 200 000 connexions par seconde sur son site de réservation.
« J’essaye toute la journée avec le portable mais aucune plateforme ne fonctionne, nous montre Karim. Quand on veut valider, ça bloque. » Certains, comme Ahmed, ont plus de chance. Ce père de famille ressort de l’agence de l’avenue Jean-Cagne avec le sourire d’un gagnant du Loto : « J’ai trouvé cinq places sur un bateau à destination d’Alger. On embarque avec la voiture le 24 juillet et on revient le 24 août. J’ai payé 3 100 euros. J’ai conservé le billet de 2019 : pour cette même période, ça m’avait coûté 1 000 euros de moins. Ce qui me motive, c’est que mes enfants puissent voir leurs grands-parents. »