Mercredi 16 mars, chez Esso Express, sur le boulevard Irène-Joliot-Curie, Hayate (38 ans), se contente d’un approvisionnement léger pour sa Citroën C3. « J’ai mis pour 60 euros d’essence, confie-t-elle en reposant le pistolet distributeur de sans-plomb. Ça me ferait mal au cœur de payer 100 euros pour un plein. J’ai deux enfants en bas âge et suis en instance de divorce. Je dois faire des concessions pour certaines dépenses. »
Hayate, comme des milliers d’autres usagers, subit de plein fouet la hausse record des prix à la pompe. La guerre en Ukraine, conjuguée à la forte reprise de la demande mondiale en pétrole, non satisfaite par les pays producteurs, pèse sur le prix du baril… Et sur le budget des automobilistes.
Radouane (35 ans), sur le point de rallier l’aéroport de Lyon-Saint Exupéry où il travaille, remplit le réservoir de sa Peugeot 3008 avec parcimonie. « Le prix du diesel n’a jamais été aussi haut, remarque ce gros rouleur. La guerre en Irak en 2003, ou encore la crise financière de 2008 n’avaient pas eu autant d’impact. En 2018, avec les Gilets jaunes, on était à 1,40 euro le litre (selon l’Insee, 1,48 euro le litre de gazole en novembre 2018, ndlr). La hausse des taxes avait été annulée. Le problème, c’est que le gouvernement ne veut pas appliquer la taxe flottante. »
Bon nombre de conducteurs abordés ce jeudi matin fustigent la part des taxes prélevées par l’État sur les carburants. Tous dénigrent la remise de 15 centimes par litre appliquée par le gouvernement dès le 1er avril (voir par ailleurs) : « Blague, plaisanterie, bricolage », entend-on.
« Nos clients dépensent moins »
En s’extirpant de sa Peugeot 307, Djamel dénonce un « racket ». Ce psychiatre, salarié à Tain-L’Hermitage (Drôme), fait ses calculs : « Entre le carburant et le péage, j’en ai habituellement pour 500 euros par mois. Dorénavant, ce sera 800 euros. Mon employeur prend en charge la moitié du coût des trajets en train, pas ceux effectués en voiture. Heureusement, je peux déduire mes frais dans ma déclaration d’impôts. »
En garant sa Fiat Punto devant la borne de la station BP de l’avenue de la République, Jeanpy (33 ans), découvre avec étonnement que le litre de SP98 lui sera facturé 2,17 euros. Quatre litres du précieux liquide lui suffiront.
Ces trois dernières semaines, les pompistes ont noté un changement dans les comportements d’achat. « Nos clients dépensent moins qu’avant, remarque un professionnel, tandis qu’une retraitée lui demande vingt euros d’essence pour sa Nissan Micra. Maintenant, les achats de carburant sont déterminés par leur budget. » Dans une autre station-service, un caissier admet être touché par la situation des habitués : « J’en vois certains venir tous les jours pour mettre dans le réservoir tout juste ce qu’il faut pour circuler. »
Pour comparer les prix du carburant en temps réel : www.prix-carburants.gouv.fr
Chez les professionnels : des activités mises en danger
Dans certaines professions, la dépendance au carburant devient problématique lorsque les prix s’envolent. Chez les chauffeurs de taxi, le moral est au plus bas en ce mois de mars. « C’est l’horreur, peste Fayçal (47 ans), qui patiente pour faire nettoyer sa Mercedes. Je dois faire le plein tous les deux jours. Aujourd’hui, ça m’a coûté 106 euros. Avant, je m’en sortais pour 80. Comme je suis un taxi conventionné, c’est la Sécurité sociale qui détermine le tarif de mes courses. Je ne peux pas investir dans une Tesla : je ne peux pas me permettre de faire attendre un patient pendant que mon véhicule recharge. Si la situation dure trop longtemps, je ferme la boutique. »
À l’Auto-école Rolling de Vénissieux, on n’a pas d’autre choix que de faire évoluer la grille tarifaire. « On était à 50 euros l’heure de conduite, précise Adrien, moniteur. Début mars, on est passé à 52. Aujourd’hui, on réfléchit à une nouvelle augmentation de nos prix. »
L’Ambulance de Gerland n’a pas cette possibilité. Pour ce mois de mars, la consommation de ses deux Volkswagen Transporter devrait engendrer un surcoût de 1 200 euros, pour 24 pleins.
Livreur pour le compte des enseignes U, Weedy (25 ans) photographie l’écran de la borne qui affiche un montant record : 150 euros. Et dans le privé, il préfère rouler à trottinette : « J’ai le permis de conduire mais je ne suis pas près d’acheter une voiture. »
De l’autre côté, Michel, chauffeur routier, patiente en scrutant les chiffres qui s’emballent : « Quand je pense que le réservoir du camion fait 600 litres, je plains mon patron ! »
Des remises au 1er avril
Le Gouvernement a annoncé une « remise carburant » de 15 centimes d’euros par litre. La mesure s’appliquera le 1er avril pour une durée de quatre mois. Tous les usagers, particuliers comme professionnels, en bénéficieront.
Jean Castex a dessiné les contours de ce dispositif dans un entretien au Parisien le 11 mars. « Les distributeurs appliqueront cette remise et l’État les remboursera, a indiqué le Premier ministre. Et de préciser : « Il s’agit bien d’une remise et non d’une baisse de taxe. Moins taxer une énergie polluante est anti-écologique. »
Cette remise en appelle d’autres. Deux distributeurs s’apprêtent à mettre la main à la poche. Mercredi soir, Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies, a annoncé sur Twitter une ristourne de dix centimes par litre à toutes les stations-service du groupe à compter du 1er avril. Jeudi matin, sur franceinfo, le PDG de Système U a également promis de réduire sa marge. « Nous contribuerons à ce petit geste de un à deux centimes dans la mesure du possible », a déclaré Dominique Schelcher.
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