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Réconcilier les mémoires

Pour célébrer le 60e anniversaire du cessez-le-feu en Algérie, la Ville et la Fnaca organisent une cérémonie le 19 mars. Retour sur cette guerre.

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Photo © Keystone-France/Gamma-Keystone via Getty Images

Ce 19 mars, pour célébrer le soixantième anniversaire des accords d’Évian qui mirent fin à la guerre d’Algérie, la Ville et la Fnaca (Fédération nationale des anciens combattants en Algérie, Maroc et Tunisie) organisent une cérémonie qui débutera à 9h30 au mémorial de Bron, en présence de Michèle Picard et de ses adjoints. Puis, à 11h30 au nouveau cimetière de Vénissieux, des gerbes seront déposées par la Fnaca et la Ville devant le monument aux morts. Lequel, indique Jacky Julien, président du comité vénissian de la Fnaca, comporte les noms de six Vénissians morts en Algérie. À 14h30, un débat se déroulera en mairie, suivi d’un pot offert par la municipalité. 

« On espère que les anciens combattants interviendront durant cette discussion, remarque Jacky Julien. Il ne s’agit pas de parler des atrocités mais plutôt de rappeler à quel moment ils ont été incorporés et combien de temps ils ont passé là-bas. Nous ne voulons pas d’un débat triste. » 

Rappelons également la soirée au cinéma Gérard-Philipe qui se tiendra la veille, le 18 mars à partir de 18 heures, en partenariat avec l’association Devoir de mémoire et Réconciliation. Le vernissage de l’exposition Les Artisans de la paix se poursuivra par la projection du film de Fatima Sissani, Résistantes, suivie d’un débat avec l’historienne Sylvie Thénault et l’ancien appelé Albert Nallet, auteur d’On n’efface pas la vérité, aux éditions Aléa (voir page 14).

La guerre à vingt ans

« Moi-même, poursuit Jacky Julien à propos du débat en mairie du 19 mars, j’évoquerai mon cas. J’ai fait partie du dernier contingent à être envoyé et du premier à devoir rester 18 mois. Tous les militaires incorporés en Algérie n’ont pas fait la guerre. Personnellement, j’étais infirmier. Je suis parti sur le bateau Sidi-Bel-Abbès, nous étions 900. Sur une mer folle, la traversée a duré 33 heures. »

Adhérent à la Fnaca depuis 1976, Yves Ratier a rejoint la section de Vénissieux il y a vingt-deux ans.

« Je suis originaire de Briançon et j’ai été expédié à Blida. » Il se souvient de la marche Blida-Médéa, quelques quarante kilomètres, et de la beauté des paysages traversés, avec des orangers, des grenadiers, des champs de pastèques, des vignes… « J’ai fait quatre mois de classes à Blida puis je suis parti en Kabylie. Je suis resté en tout vingt-huit mois et une semaine. »

Quant à son départ de France, ce fut sur le Ville-de-Marseille.

« Nous avons dû passer par l’Espagne où nous sommes restés huit-neuf heures. En tout, on a mis 28 heures pour gagner l’Algérie. »

Jacky Julien rappelle que le FLN (Front de libération nationale) a été créé autour d’Alger, d’abord petit groupe qui s’est agrandi. « Les membres du FLN connaissaient bien leur pays, ils étaient armés et organisés. Les appelés répondaient comme ils pouvaient. Au fur et à mesure, ils étaient remplacés par de nouveaux appelés qui découvraient le pays. Parce qu’il fallait du monde pour combattre. » Ce que Yves Ratier résume ainsi : « Pendant vingt mois, ça transpirait ! »

Les souvenirs affluent : les centaines de cercueils attendant d’être placés sur un bateau pour être rendus aux familles, la camaraderie au sein de l’armée entre les soldats et les gradés, les colis partagés, le mitraillage d’un camion empli d’appelés prêts à donner leur sang qui se solda par une vingtaine de morts…

Jacky lâche : « La colonisation ne pouvait plus durer », avant de rappeler le quotidien des appelés : « Rester sur les pitons 24 heures sur 24 pour surveiller les endroits stratégiques. »

Yves acquiesce : les pitons, il les a connus. « Un piton a été baptisé le Diên Biên Phu kabyle. Sur les deux compagnies, chacune de 120 hommes, il n’est resté que 70 survivants. »

La Fnaca

Créée le 21 septembre 1958 sous le nom de FNAA — le C, qui signifie « combattants », a été rajouté en 1963 —, la Fnaca revendique le devoir de mémoire et rappelle cette phrase de Lamartine : « Le rapide oubli, second linceul des morts ». Le comité vénissian de la fédération a vu le jour il y a une cinquantaine d’années.

Jacky Julien, son président, Janine Roche, la secrétaire, et Yves Ratier, adhérent — parmi une centaine de personnes —, se souviennent des différents présidents de ce comité. « Ortiz est resté entre huit et dix ans. Puis André Bruyas, qui vient de disparaître, a présidé pendant 35 ans. » Et cela fera donc six ans cette année que Jacky Julien a pris sa succession.

« Tous les anciens se sont retirés. Il faut se débrouiller pour faire tourner. Avant, étaient organisées beaucoup de manifestations, comme des bals, des sorties. Le comité de Vénissieux essaie de survivre. Nous continuons le boudin à la chaudière. Et, pour marquer les 60 ans à notre façon, nous organisons une sortie sur l’Hermès le 14 avril. On peut s’inscrire jusqu’au 31 mars. Elle est réservée aux adhérents et coûte 40 euros pour la journée. »

Kader Kharroubi, militant par la force des choses
Débarqué en France à 18 ans quelques mois avant la fin du conflit, Kader Kharroubi collectait l’impôt révolutionnaire pour le FLN. 

Orphelin dès ses 15 ans, Kader Kharroubi arrive à Marseille le 6 juin 1961, à l’âge de 18 ans, avec pour seuls bagages un diplôme de maçonnerie. Il se rend immédiatement à Lyon, où l’attend une promesse d’embauche de l’entreprise Avenir. « Je quittais l’Algérie pour la France où la situation était également très tendue, se souvient Khader, qui fêtera l’an prochain ses 80 ans. On m’avait informé que la communauté nord-africaine vivait repliée sur elle-même, pas forcément apaisée puisque deux factions rivales, le Front de libération nationale et le Mouvement national algérien, s’affrontaient en un combat secret pour obtenir l’adhésion et la cotisation qui s’élevait à environ 8% du salaire. »

Le Vénissian se rappelle avec netteté de sa première nuit, passée dans un hôtel près de la place Guichard, pour la modique somme de 8,40 francs.

« Par la suite, j’ai trouvé un hébergement dans un foyer de l’avenue Paul-Santy. J’ai immédiatement eu la visite de deux contrôleurs œuvrant pour le FLN. Bien évidemment, j’allais comme tout le monde payer l’impôt révolutionnaire chaque mois. On allait même me confier la mission de collecter la cotisation dans le foyer, moi qui n’avais que 18 ans, sachant très bien que celui qui refusait de la payer avait droit à une sévère correction ou à une mise à mort. »

Quand il est intimé à Kader et un autre collecteur d’aller corriger un mauvais payeur, le scénario ne se passe pas comme prévu. « On l’avait emmené rue du Château à Vénissieux. Mon équipier lui plongeait la tête dans un conteneur d’eau. Mais au bout d’un moment, je lui ai dit d’arrêter. Il n’était pas question pour moi de tuer qui que ce soit. En retrouvant les donneurs d’ordre, je leur ai rappelé que je n’avais que 18 ans, que je refusais de tuer, et que j’acceptais par contre de collecter les cotisations. »

Kader se souvient également de la visite surprise de gendarmes venus contrôler au foyer, fin 1961. « J’ai fait le naïf, leur expliquant que je n’étais à Lyon que depuis quelques mois, que je ne savais rien de ce qui pouvait se passer, que je passais mon temps au travail et au foyer. « 

Ce qui était en grande partie exact. « Les seuls loisirs, je les trouvais le week-end, en allant boire un verre avec quelques rares amis au café de la Paix, à Bellecour. Parfois un ciné, à l’Alhambra, grande rue de la Guillotière, ou au Familia, vers la place Guichard, on y passait beaucoup de films en arabe. Plus tard, il m’arrivait d’aller faire un tour en 2 CV avec un ami, en Suisse, découvrir le lac de Genève. Les contrôles, je n’en ai pas trop subi. Il faut dire qu’en semaine, je ne traînais pas dans les rues. »

Comment Kader a vécu les accords d’Évian négociés secrètement aux Rousses, près de la frontière suisse, et signés le 18 mars 1962 ? « Sans excès car on savait depuis plusieurs mois que l’on se dirigeait vers un processus de sortie de guerre, répond-il. En fait, du début à la fin, j’ai traversé cette guerre en m’adaptant à toutes les situations. Sans avoir vraiment le choix. Mais c’est l »histoire de ma vie, je n’ai jamais connu la facilité : la mort violente de mes parents, mon apprentissage dans un centre de formation tenu par des militaires à Orléansville, mon arrivée à Marseille avec ma petite valise… ».

Kader Kharroubi n’est retourné en Algérie qu’en 1978, voir une tante. Depuis, il franchit la frontière régulièrement, au gré de ses envies. Mais c’est à Vénissieux qu’il passe l’essentiel de son temps, avec sa famille, dans le quartier du Charréard, à quelques encablures de cette rue du Château… où il refusa à l’âge de 18 ans de commettre l’irréparable.

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