Lors de la sortie en 2018 d’Algériennes 1954-1962, une bande dessinée qui parlait de la guerre d’Algérie appréhendée de différents points de vue, nous avions rencontré le scénariste Swann Meralli. Ce natif de Vénissieux — dont les parents avaient rapidement quitté la commune pour s’installer à Vaise — nous avait déclaré : « Je ne suis pas journaliste, je n’ai pas vécu l’affaire, que pouvais-je faire de mieux que le plein de témoignages de bords différents ? Cela apportait du recul.«
Ce recul rendait passionnant cet album écrit par Swann et dessiné par Deloupy, alias Serge Prud’homme. Quatre ans après, les deux auteurs récidivent avec Appelés d’Algérie, tout aussi fort. Et font, là encore, se croiser les points de vue.
Tout part d’un vieil homme qui décide un jour de raconter à son petit-fils sa guerre d’Algérie. Il était appelé en 1955 et le point de départ est en lien avec le premier album. Béatrice, qui apparaît dans Algériennes, est la fille de cet ancien militaire et c’est son courrier qui déclenche la mémoire et les aveux.
Car il s’agit bien ici de libérer sa conscience d’un passé qui ne fut pas toujours propre. Le livre se construit ainsi, pas à pas, avec d’une part le témoignage et, d’autre part, les recherches du petit-fils. Et, comme avec Algériennes, Swann Meralli nous offre un kaléidoscope de points de vue, de bonnes et de mauvaises raisons d’agir. On entend ainsi ce qu’ont à dire les combattants des deux côtés, les adeptes de la torture et ceux qui s’y opposent, mais aussi un pacifiste, un prêtre, un fils de harki et des jeunes qui n’ont pas vécu cette période : une jeune fille qui vit en Algérie et un jeune Français issu de l’immigration algérienne.
C’est également lui qui pose une question primordiale : « Que faire quand la voie pacifique est systématiquement réprimée dans le sang ? » Et qui énonce encore cette remarque dont on ne peut que saluer le bon sens : « Qu’un massacre d’Algériens nous permette d’éviter les massacres de Ouigours, que l’occupation de la Tchétchénie nous permette d’éviter l’occupation du Sahara occidental ou que la violence faite aux femmes nous parle de violences envers les hommes… Il ne faut pas de compétition dans les souffrances mais tout son contraire : une solidarité dans les solutions. »
Le rythme des images
Pour accompagner la fluidité du récit et sa diversité, Deloupy apporte un rythme particulier aux images. Après un démarrage au découpage classique en cases du même format ou presque, le voilà qui passe au noir et blanc avec juste quelques éléments à peine colorés, puis aux grandes cases et même au dessin, celui du bateau sur lequel s’embarquent les appelés du contingent, qui prend toute la page et qui s’accompagne de petites vignettes montrant des temps différents : avant l’embarquement, sur le bateau et en Algérie. Suivant l’action, Deloupy alterne ainsi les petites cases et les grandes, le noir et blanc et la couleur, jusqu’à la séquence du massacre d’un village où, soudain, les cases deviennent des bandes rougeâtres, dessinées sur du papier qu’on aurait déchiré, symbolisant ainsi la violence, toujours sans voyeurisme comme c’était le cas pour Algériennes.
Le dessinateur sait aussi, le cas échéant, nourrir ses personnages de la réalité. Ainsi, son vieux prêtre ressemble-t-il à l’acteur Michaël Onciale, qui a interprété l’un des moines de Tibhirine dans Des Hommes et des Dieux.
Comme le faisait déjà le précédent volet, Appelés d’Algérie met à plat, sans haine ni colère, des événements survenus il y a aujourd’hui près de soixante-dix ans et dont souffrent toujours les ressortissants des deux pays, la France et l’Algérie. Si cela pouvait guérir les maux et apaiser les tensions, maintenant que les principaux protagonistes ont vieilli. C’est en tout cas dans ce sens que va la bande dessinée. Et dans celui aussi de ne pas simplifier l’Histoire, qui est toujours beaucoup plus complexe que ce qu’on en dit.
"Appelés d'Algérie" de Swann Meralli et Deloupy, Marabulles (Hachette-Marabout), 19,95 euros.
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