Portraits

Jacqueline Sanlaville : une vie de militante

À 92 ans, cette Vénissiane évoque la guerre, les combats menés contre toutes les injustices. Et clame haut et fort son amour pour sa ville.

À 92 ans, cette Vénissiane évoque la guerre, les combats menés contre toutes les injustices. Et clame haut et fort son amour pour sa ville.

« Si je suis ce que je suis, c’est grâce à Marguerite Carlet ! » Dans son appartement du Centre, Jacqueline Sanlaville a préparé coupures de presse et photos qui retracent le militantisme vénissian, auquel elle a activement participé. Dont un article sur Marguerite Carlet, membre du comité de Libération de la ville en 1944 et première adjointe. « Elle était aussi secrétaire de l’Union des femmes françaises. Beaucoup d’adhérentes habitaient Vénissieux, dont ma maman. Pendant la guerre d’Indochine, tous les samedis, on faisait signer des pétitions aux femmes, à la demande de Marguerite. J’avais 16 ans. Plus tard, à peu près au même âge, ma fille défilera contre la guerre au Vietnam. »

À 92 ans — elle fêtera ses 93 en octobre prochain —, Jacqueline garde en mémoire ce que fut sa vie, emplie de pleurs et de chants. Une vie qui, ajoute-t-elle, « n’est pas un long fleuve tranquille ».
« Je suis née à Vénissieux et j’y reste. J’adore cette ville. Cela fait 81 ans que l’on a un maire communiste. Et, en outre, c’est aujourd’hui une femme, et c’est bien ! Fernand Grenier, un ministre communiste, a donné le droit de vote aux femmes. J’ai commencé à voter à 21 ans et je continue à le faire. »
Jacqueline a une dizaine d’années pendant l’occupation allemande. « Ces derniers temps, le confinement, les queues devant les magasins, les gens qui rouspètent et dévalisent les rayons, tout cela m’a replongée dans mon enfance. Nos files d’attente étaient de trois ou quatre heures. Les tickets de rationnement ont duré jusqu’en 1948. Et il y a eu les bombardements alliés. Pendant les alertes, on allait au Cluzel, qui était alors un champ. Souvent, elles se déroulaient vers 23 heures, nous partions en chemises de nuit, on s’entraidait entre voisins. »
Le père de Jacqueline, un cheminot, et son frère sont résistants. « J’étais la quatrième sur cinq enfants et nous habitions la cité PLM, avenue Jean-Jaurès, rebaptisée rue de la Mutualité par la municipalité pétainiste. Nous, les enfants, on voyait passer du monde à la maison et on ne devait rien dire. Pendant un an et demi, il n’y a pas eu d’école. Elle a rouvert en 1944. »

Banette et Planchon

Le 16 avril 1948, un drame éclate à bord du train Lyon-Le Croisic. Suite à une surchauffe, deux cheminots, grièvement brûlés, restent à leur poste jusqu’à ce que le convoi soit stoppé, après avoir traversé la gare de L’Arbresle, évitant tout danger aux voyageurs. Transportés à Grange-Blanche, Marcel Banette décède dans la soirée et Louis Planchon le lendemain. « Banette et Planchon habitaient rue Isaac. Planchon avait deux filles qui allaient à l’école avec moi. Tous deux étaient communistes et, à leur mort, la section de Vénissieux a lancé une campagne d’adhésion. Il y avait longtemps que je voulais faire quelque chose et c’est là que j’ai adhéré au Parti communiste, en juin 1948. »

À cette époque, les frères de Jacqueline, plus âgés, se rassemblent avec des copains sur deux bancs de pierre pour se raconter leurs histoires. « On les appelait la bande des Marronniers mais ce n’était pas des voyous. Mon futur mari, Georges Sanlaville, arrivait de Villefranche et s’était installé, depuis 1941, au square André-Lebon. Il s’est mis à les fréquenter. » Le mariage entre Jacqueline et Georges se déroule en 1951. « Je faisais des doubles journées. Après 9 heures passées à La Spécia, une usine de produits chimiques, je militais. » Au fil des années, Jacqueline et son mari se battront contre les guerres coloniales d’Indochine et d’Algérie, pour le pouvoir d’achat, la retraite, la Sécurité sociale, le Mouvement de la paix, la libération des Rosenberg et d’Angela Davis, contre la haine des étrangers… Des combats qui résonnent encore aujourd’hui. D’autant que Georges prend des responsabilités politiques et préside l’ARAC (Association républicaine des anciens combattants) et le jumelage Vénissieux-Oschatz.

Si, enfant, elle avait tu les activités familiales dans la Résistance Fer, Jacqueline continua à cacher qui venait chez elle. « En ces temps-là, Jacques Duclos, Benoît Frachon, Georges Marchais, Gustave Ansart, Georges Cogniot ne pouvaient aller à l’hôtel. On les hébergeait. Nous avons aussi accueilli Manolis Glezos, le communiste qui avait arraché le drapeau nazi sur l’Acropole pour le remplacer par un grec. Arrivés au pouvoir, les colonels l’ont condamné à la prison. Nous l’avons reçu à sa sortie. Comme nous avons reçu des responsables des guerres de libération d’Indochine et d’Algérie. »

« Je pleure et je sais chanter »

Photo entre amis sur les marches de la Maison du peuple : Jacqueline et Georges Sanlaville sont entourés notamment de François Ruiz, André Falcoz, Jean Steenhoute, Émile Amadéo, François et Marguerite Carlet…

Si la vie de Jacqueline n’a pas toujours été simple, elle rétorque : « Je pleure et je sais chanter ». « Ma grand-mère, qui est morte de la grippe espagnole, avait une très belle voix. Je me souviens, quand j’avais 5-6 ans, des repas familiaux finissant toujours en chansons, sur des airs de Berthe Sylva. Elle était venue à la Maison du peuple en 1939 et nous l’avions vue. On se rendait quelquefois au spectacle — Jean Lumière, Rina Ketty, Le Pays du sourire — et au cinéma éducateur, avec les films de Tarzan ou de Charlie Chaplin. Nous n’allions pas à Lyon car on ne pouvait pas se payer le tram. Tous les samedis, il y avait un bal gratuit et les Jeunesses communistes organisaient aussi dans tous les quartiers le Refrain des rues. Je me contentais d’écouter mais on m’a poussée sur les planches et j’ai chanté Les Roses blanches. J’ai été désignée pour aller en finale à la Maison du peuple mais j’ai refusé. » Ce goût pour la chanson, Jacqueline l’exerce à la Chorale populaire de Lyon, puis au Parellier et, aujourd’hui, à la chorale Debussy.

À présent, quand elle regarde dans le rétroviseur, elle est fière de ses deux enfants, de ses quatre petits-enfants et de ses quatre arrière-petits-enfants. Elle aime rappeler le souvenir de ceux qu’elle a côtoyés, de Marguerite Carlet à Louis Dupic, envoyé dans les mines de sel en Algérie sous l’occupation. Elle évoque aussi Georges Roudil, premier adjoint de Dupic, que sa déportation à Buchenwald avait rendu sourd. « Revenus à Vénissieux, ces gens ont créé des écoles, des logements… Ils ont fait de Vénissieux ce qu’elle est : une ville bien. »
Et malicieuse, elle cite André Gide : « Quand je cesserai de m’indigner, j’aurai commencé ma vieillesse. »

1 Commentaire

  1. Mularoni Monique

    4 mars 2022 à 15 h 53 min

    Bonjour Jacqueline, je suis très fière de t’avoir connu. J’ai plus que de l’admiration pour ton militantisme. Tu est un exemple pour notre jeunesse.

  2. Habitante

    4 mars 2022 à 15 h 48 min

    Jacqueline : toujours jeune dans ta tête, tu es un exemple pour toutes les femmes : militante de toujours, un sacré caractère, une volonté de fer, tu aime chanter et retrouver tes “copines”. Bravo pour cette belle énergie.

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