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Maladie d’Alzheimer, quand la mémoire s’envole

Soutenir son parent atteint d’Alzheimer est un acte naturel, humain. Mais le maintien à domicile peut aussi montrer ses limites.

Soutenir son conjoint, son parent atteint d’Alzheimer est un acte naturel, humain. Mais le maintien à domicile, plébiscité par les familles et vanté par les pouvoir publics, montre aussi ses limites. Pour venir en aide aux aidants, la résidence Ludovic-Bonin propose depuis fin janvier 2021 un accueil de jour médicalisé de dix places. L’objectif est à la fois d’accueillir les malades et de permettre à ceux qui les accompagnent au quotidien de souffler. Quand la vie n’est plus possible à domicile, les malades intègrent une unité Cantou en Ehpad. Il en existe deux à Vénissieux, à La Solidage et aux Tulipiers.

Gaëlle aide-soignante et Gisèle a l’accueil de jour de la résidence pour personnes âgées Ludovic Bonin
– Photo Emmanuel FOUDROT

La maladie d’Alzheimer touche un million de personnes en France. Elle se manifeste par une démence résultant de lésions progressives au sein du système nerveux central. Bien qu’elle ait été décrite il y a plus de cent par le neurologue allemand Alois Alzheimer, ses causes sont encore débattues et il n’existe aujourd’hui aucun vaccin ni traitement pour la guérir.

Ce 7 janvier au matin, Gisèle, Marie-Louise et François, tous souffrant de la maladie, sont à l’accueil de jour* de la résidence Ludovic-Bonin. À leurs côtés, Émilie, ergothérapeute, Françoise, assistante de soins en gérontologie, et Gaëlle, aide-soignante. Après avoir pris une collation et cuisiné une galette des rois avec le personnel, ils se retrouvent autour d’une table et participent à des activités à leur rythme. Des jeux y ont été placés. Pas n’importe lesquels : l’objectif est de faire travailler la mémoire. Aidés par le personnel extrêmement bienveillant, François tente de répondre à des questions sur les métiers, Marie-Louise cherche des signes de ponctuation, tandis que Gisèle repère des couleurs et construit une tour en respectant la taille des pions. Tout est fait pour que les malades se sentent bien accueillis. Certains viennent une fois par semaine, d’autres deux.

De multiples ateliers

« Le matin un chauffeur va les chercher chez eux, et il les reconduit à 16 h 30« , explique Saliha Prudomme-Latour, adjointe au maire en charge des affaires sociales. Tout au long de la journée, les activités s’enchaînent : cuisine thérapeutique, petits travaux de décoration au rythme des saisons, atelier esthétique avec manucure et bien-être, jeux de motricité, parcours moteurs… Un jardin thérapeutique a été créé. Les patients sont également intégrés à la vie de l’unité : mise du couvert, débarrassage des tables, vaisselle.

Unité Cantou

Photo Emmanuel FOUDROT

Quand il fait beau, ils vont au parc de Parilly, au marché, au cinéma ou à la médiathèque. Certains sortent faire des courses avec les professionnels, heureux de pouvoir de nouveau fréquenter des lieux autrefois familiers. Tous ces ateliers ont les mêmes objectifs : « maintenir ou réhabiliter les capacités fonctionnelles existantes, les capacités cognitives, le lien social, et aussi revaloriser, renforcer l’estime de soi« , soulignent les professionnels.

Tout est pensé pour le malade

Alzheimer en quelques chiffres

• 1 million de personnes touchées en France
• Le nombre de nouveaux cas estimé chaque année s’élève à 225 000.
• Cette maladie représente plus de 70 % de l’ensemble des maladies neurocognitives de la personne âgée.
• D’ici 2050, le nombre de personnes touchées par une maladie neurocognitive devrait atteindre plus de 1 800 000 cas. Ce qui représenterait 9,6 % des plus de 65 ans et 6,2 % de la population active.
• Après 80 ans, les femmes sont plus fréquemment touchées par Alzheimer que les hommes.
Ce résultat peut s’expliquer avant tout par le fait que les femmes vivent plus longtemps. Des études ont néanmoins montré que cette observation est à moduler selon l’âge : l’incidence de la maladie d’Alzheimer n’est plus élevée chez les femmes qu’après 80 ans.

Aménagé dans un ancien logement de gardien, l’accueil de jour
de la résidence Ludovic-Bonin est dimensionné pour une dizaine de personnes. Cet espace est totalement réservé aux malades d’Alzheimer, en dehors des lieux de vie des autres résidents. Plusieurs salles (de repos, d’activités, de restauration…) donnent le sentiment d’être à la maison.

Ce type de service est rare et précieux. Il manque en effet cruellement de lieux d’aide pour les personnes qui vivent avec un patient Alzheimer. L’objectif est à la fois d’accueillir les malades
et de permettre aux aidants, autrement dit ceux qui les accompagnent au quotidien, de pouvoir souffler de temps à autre. « Des partenariats vont se tisser avec des lieux culturels comme le cinéma, mais aussi avec l’Office municipal des retraités (OMR), ajoute l’adjointe au maire. Nous voulons faciliter l’accès des aidants à la pratique d’activités, pendant que la personne malade qu’ils accompagnent sera prise en charge à l’unité. Ces passerelles sont importantes pour offrir l’opportunité de pauses dans un quotidien usant. »

L’ouverture de cette unité médicale de jour, qui s’ajoute à celle non-médicalisée de la résidence Henri-Raynaud, répond à une volonté politique de la Ville. Les services municipaux ont travaillé de façon étroite avec l’Ehpad La Solidage, qui reçoit dans
son unité spécifique Cantou des malades atteints de cette maladie. Via une convention signée avec l’Ehpad, du personnel médical spécialisé travaille du reste sur le site.
Une psychologue et un ergothérapeute y interviennent à temps partiel.

L’unité Cantou : un lieu de vie

« Ces liens entre la Solidage et la Ville sont essentiels, observe André Modot, directeur de l’établissement de l’avenue du 11-Novembre. Quand la vie n’est plus possible à domicile, les malades intègrent un Ehpad et plus particulièrement un Cantou. »

En entrant dans l’unité, une plaque indique que nous sommes rue des Traboules, où l’on peut déambuler et flâner. Tout est calme. Sur fond de musique classique, une résidente prend son petit-déjeuner, tandis qu’un monsieur fait quelques pas. Quasiment tous les résidents sont sortis de « chez eux« , autrement dit leur chambre. Ce matin-là, 20 janvier, Christine et Kady, aides-soignantes, sont aux petits soins pour les pensionnaires. « Le Cantou, explique Christine, c’est une unité de vie familiale. Les chambres recréent une certaine intimité, les patients y apportent des photos de leurs enfants et petits-enfants, et quelques petits meubles de leur vie d’avant. »

Unité Cantou

Photo Emmanuel FOUDROT

« Notre Cantou accueille dix personnes qui présentent des Alzheimer ou des maladies apparentées, repend le directeur. Le personnel est présent 24 heures sur 24. Chaque malade est suivi individuellement. Deux patientes de notre unité vont à l’accueil de jour de la résidence Bonin, une fois par semaine. » Ici, il n’y a pas de journée type car la plupart des résidents ont perdu leurs repères. « C’est un suivi vraiment individualisé. Il s’agit d’une unité fermée où nous accueillons des patients fugueurs. Ils ont un grand couloir ou ils peuvent déambuler, un jardin où ils peuvent sortir quand il fait beau. Ils déjeunent ensemble dans une salle de restauration, et participent beaucoup à des ateliers cuisine et des ateliers mémoire. »

*Pour intégrer l’accueil de jour de la résidence Ludovic-Bonin, les familles doivent envoyer un courrier au maire de Vénissieux, le dossier passe ensuite en commission d’admission qui réunit un médecin, la directrice de la résidence, l’assistante sociale et la psychologue.

Le désarroi des aidants familiaux

Ils sont près de onze millions, soit un Français sur six, à accompagner un proche en situation de dépendance. L’aide qu’ils apportent est un engagement de chaque instant.
Aider un proche, c’est faire de lui une priorité. Quitte à s’oublier parfois. Quand l’aide devient une charge pour l’aidant, elle peut avoir des retentissements sur sa vie personnelle et devenir un facteur d’épuisement : chaque jour le manque de temps, la fatigue physique, le manque de sommeil, l’inquiétude constante, la complexité des démarches administratives, la difficulté à gérer les situations d’urgence et le manque de soutien moral affaiblissent un peu plus ceux qui ont fait le choix d’aider un conjoint.
Les associations de malade (comme France Alzheimer Rhône) sont unanimes et insistent pour que les aidants se préservent des espaces à eux, des moments de récupération qui vont permettre de maintenir un équilibre psychologique et une implication le plus longtemps possible. D’où l’importance de mettre en place des lieux d’accueil pour permettre des moments de répit aux aidants, comme cela se fait à l’accueil de jour de la résidence Ludovic-Bonin qui permet aux proches de souffler. « Il est vraiment important que les aidants se donnent le droit de laisser leur conjoint malade. Le quitter quelques heures, ce n’est pas l’abandonner« , souligne Saliha Prudhomme Latour, adjointe en charge des affaires sociales.

« Entre les lignes », à la recherche du temps perdu

Pendant trois années, Estelle Dumortier a animé des ateliers au sein de l’Ehpad de Charvieu-Chavagneux, auprès de personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. Très fort et très émouvant, illustré de photos de Bernard Ciancia, le livre Entre les lignes a été publié à La Rumeur libre en juin dernier.

Photo de Bernard Ciancia

De prime abord, quand elle évoque son livre Entre les lignes, Estelle Dumortier se doit de compter les morts : Pascale Ynieste, la psychologue qui lui a proposé la résidence artistique à l’Ehpad de Charvieu-Chavagneux, et Bernard Ciancia, le photographe qui l’a accompagnée, sont tous deux décédés aujourd’hui. Et, sur les 55 résidants, 23 sont morts du Covid.
Poète, danseuse et chorégraphe, Estelle a démarré courant 2019 une résidence qui devait lui faire rencontrer des malades d’Alzheimer, des aidants et des soignants. « J’ai stoppé les ateliers en mars 2020, explique Estelle, et n’ai pu retourner à l’Ehpad qu’en octobre. Les résidants étaient traumatisés d’avoir ainsi été isolés, coupés de leurs familles et ayant peu de dialogue avec les soignants. Ce sont des personnes fragiles, qui se souvenaient malgré tout, quand ils m’ont revue, du lien, de la trace émotionnelle. »
Estelle compare ces relations avec « un apprivoisement« . « Un des risques d’Alzheimer est une méfiance qui peut se traduire par de l’agressivité. Ils n’ont pas les freins habituels. » En les voyant régulièrement, quelque chose se créait, de l’ordre de l’indicible. Tout se passait dans l’oralité. Estelle prenait des notes, lisait des passages de poèmes de Louis-René des Forêts ou de Lionel Lathuille.

« Un atelier d’écriture n’est jamais anodin »

Photo de Bernard Ciancia

« Quand on met en place ce genre d’atelier, il faut créer un cadre de confiance, de bienveillance et faire décoller la parole. Je partais sur des questions de perception : la qualité de l’air ou la lumière qui se déplace. Quand je lisais des poèmes, je voulais qu’ils puissent sentir ce que c’est que danser à l’intérieur. Ainsi, le rythme du poème lu se prolongeait dans leurs interventions. Un atelier d’écriture n’est jamais anodin. »
Elle prend l’exemple de cet homme qui, enfant, dut prendre un train pour Auschwitz. Le convoi fut détourné par la Résistance et se retrouva à Lyon. « Il n’était jamais sorti de ce train et ne cessait de répéter : « Nous étions destinés à disparaître ! » »
Aujourd’hui, ces séances et ces personnes manquent à Estelle, qui ne peut retourner à l’Ehpad pour raisons sanitaires. « On ne peut pas tricher avec eux. Ils m’ont bousculée ! » Elle loue aussi la qualité de l’Ehpad et du personnel soignant et la façon qu’ont eue les aidants de l’accueillir.
Qu’est-ce que la mémoire, se questionne-t-elle. Elle écrit, dans Entre les lignes, une très belle comparaison : « J’ai eu assez vite l’intuition, au moins pour certains des résidants qui venaient à mes ateliers, qu’ils vivaient en errance dans leur propre histoire comme Ulysse, le héros grec, dans la sienne, à essayer de retrouver la terre originelle — la mémoire ? — sans y parvenir. »
Magnifiés par les photos de Bernard Ciancia, les textes d’Entre les lignes sont autant des poèmes d’Estelle que de phrases entendues ici et là, montées les unes avec les autres. Elles montrent combien la mémoire, souvent versatile, peut parfois se fixer sur un événement marquant et combien, à la lisière de la mort, la vie reste très présente.

Le livre a été publié en juin dernier à La Rumeur libre, une maison d’édition représentée à Vénissieux par l’Espace Pandora.

Entre les lignes d’Estelle Dumortier, photographies de Bernard Ciancia. Éditions La Rumeur libre, 20 euros.

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