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Le maréchal Pétain à Vénissieux

Le 5 juin 1944, le maréchal Pétain se rend dans notre ville, meurtrie par de dramatiques bombardements. L’occasion pour la population de rendre hommage au dictateur ? Pas vraiment.

Le maréchal Pétain, lors de son déplacement à Lyon en novembre 1940.

Le 5 juin 1944, le maréchal Pétain se rend dans notre ville, meurtrie par de dramatiques bombardements. L’occasion pour la population de rendre hommage au dictateur ? Pas vraiment.

Le 2, le 25 et le 26 mai 1944. Trois dates à marquer d’une pierre noire dans l’histoire de Vénissieux. Ces jours-là, près de 300 forteresses volantes anglaises et américaines déversent un tapis de bombes sur notre commune. Leurs cibles : la gare de triage, ainsi que les usines épargnées par les précédents bombardements du mois de mars. L’usine Berliet (Renault Trucks aujourd’hui), est notamment visée car elle fabrique des gazogènes, et aussi des camions réquisitionnés par les Allemands. Objectifs atteints, mais au prix de dévastations : l’usine et la cité Berliet, le Charréard, la rue Paul-Bert, le Bourg sont endommagés par le bombardement du 2 mai. Quant aux raids des 25 et 26 mai, ils sèment des champs de ruines aux HLM de l’avenue de la République, sur l’avenue Francis-de-Pressensé, au Moulin-à-Vent, à la gare et au dépôt SNCF, aux usines Descours et Cabaud, à l’Arsenal. Le bilan humain de ces bombardements s’avère aussi très lourd, puisqu’ils font 51 morts, de nombreux disparus et des dizaines de blessés. Vénissieux n’est pas la seule touchée, car à Lyon la situation est bien pire. Gerland, Vaise et le quartier de la place Jean-Macé ont aussi été visés par les avions alliés. Là, le bilan dépasse 700 morts et 1 100 blessés. Les habitants des deux villes sont abasourdis, anéantis.

Afin de rendre hommage aux victimes de ces bombardements, pour soutenir le moral des rescapés, et aussi pour tenter de retourner l’opinion en sa faveur et contre “nos anciens alliés” anglais et américains, le vieux maréchal Pétain, chef de l’État depuis la déroute française de 1940, décide de se rendre en région lyonnaise. Sa visite a été organisée dans la plus stricte confidentialité. Seules les autorités en ont été prévenues, la population ignorant quant à elle sa venue. Le lundi 5 juin 1944, vers 9 heures, c’est en voyant des trams arrêtés et des agents de police sur les dents, que les Lyonnais ont compris. Alors, ils se sont rendus sur la place des Terreaux, attendant l’arrivée du “sauveur de la France”, comme la propagande le présente. Un peu avant 11 heures, sa voiture officielle arrive, encadrée par six gardes à motocyclettes. Vêtu de son uniforme kaki, portant une canne en main gauche, le presque nonagénaire descend de l’automobile, monte l’escalier de l’hôtel de ville et salue la foule amassée sur la place. Et c’est parti pour plus d’une heure de rencontres. À l’intérieur de la mairie, tout ce que Lyon compte comme personnalités s’est amassé dans les salons d’honneur, et dialogue avec le maréchal. Dans cette ambiance toute de révérence, un médecin ose quand même une pique : “Quelle est la maladie dominante aujourd’hui ?”, lui demande Pétain. “Les bombardements”, répond le docteur. Il est courageux. Beaucoup en France, ont été enfermés ou assassinés par le régime de Vichy pour moins que cela. Après avoir déjeuné, le chef de l’État se rend à l’hôpital Grange-Blanche, en vue de rencontrer les blessés.

À Vénissieux, sa première halte est pour l’usine Berliet.
C’est après cette étape qu’il gagne Vénissieux, vers 17 heures. “Le chef de l’État a voulu marquer sa sollicitude à tous les sinistrés, dit la presse de l’époque. Il a voulu apporter le témoignage de sa sympathie à ceux qui ont perdu un parent, à ceux qui n’ont plus rien, ni maison, ni mobilier”. Sa première halte est pour l’usine Berliet. Il y est reçu par le créateur de l’entreprise, Marius Berliet, dont il connaît le dévouement pour l’industrie française, malgré l’occupation — Berliet sera d’ailleurs condamné par les tribunaux après la Libération, pour faits de collaboration. “À sa descente de voiture, [Pétain] est reçu par deux jeunes ouvrières en vêtements de travail, qui au nom de tout le personnel rassemblé dans la cour, offrent au chef de l’État une magnifique gerbe de fleurs.” “Je les emporte, dit Pétain, elles sont les bienvenues.” Marius Berliet lui fait alors visiter l’usine, et s’entretient longuement avec lui. Puis, après avoir parcouru les quartiers les plus touchés, le dictateur se rend au Bourg. Devant la mairie de l’époque, aujourd’hui place Léon-Sublet, “deux pelotons de la garde [lui] rendent les honneurs”, avant d’être accueilli par le maire nommé par le régime de Vichy, Marcel Juveneton, le notaire de la commune. “Il s’enquiert auprès du magistrat municipal des besoins et des désirs de la classe laborieuse, dont le martyre n’est pas fini car il faut continuer de vivre.” Le séjour chez nous dure environ une heure, après quoi Pétain retourne à Lyon, où une foule l’attend sur la place des Terreaux.

Quel fut l’accueil réservé par la population au “sauveur de la France” ? À Lyon, d’après la presse collaborationniste, il aurait été particulièrement enthousiaste. Le Nouvelliste, un journal qui fut interdit de publication dès l’été 1944, fait état de plus de 20 000 personnes acclamant Pétain sur la place des Terreaux : “Les cris de “Vive le Maréchal”, “Vive la France”, sont scandés par des milliers de voix à l’unisson” ; “en vous regardant, en vous écoutant, Monsieur le Maréchal, chacun dans le secret de son cœur, admirait ce “don de Dieu” que tant de peuples (…) continuent de nous envier”. La réalité fut certainement plus nuancée, car les Français étaient devenus largement plus gaullistes que pétainistes, et n’avaient qu’une hâte : que la guerre se termine. Quant aux Vénissians, les journalistes restent particulièrement évasifs à leur propos. En dehors des fleurs offertes par les deux ouvrières de Berliet, évidemment missionnées par leur employeur, ils n’évoquent aucun mouvement populaire favorable à Pétain. Et c’est tout à l’honneur des habitants de notre ville. Le lendemain, 6 juin 1944, le débarquement des troupes alliées en Normandie sonnait enfin l’heure de la Libération.

Sources : Archives de Villeurbanne, 3 C 67 et 3 C 112
(journaux Lyon-Républicain et Le Nouvelliste)

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