Ils sont éboueurs, caissiers, enseignants ou encore infirmiers. Ils ont été célébrés, parfois comme des héros, au plus dur des confinements. Mais plus d’un an après, dans ces métiers de première ligne, c’est l’amertume qui prévaut.
Tous les soirs à 20 heures, les Français étaient à leur fenêtre et applaudissaient. Pendant deux mois, lors du premier confinement en avril 2020, chacun tenait à témoigner sa reconnaissance envers les métiers que l’on appelle de première ligne : les éboueurs, les infirmiers, les caissiers, les enseignants, parmi d’autres.
Ces personnes étaient là pour faire vivre un pays entier alors que le monde était à l’arrêt presque total face à une épidémie dont on connaissait très peu de choses. On entendait alors de nombreux témoignages de Français, sur les réseaux sociaux ou dans différents médias, remercier ces femmes et ces hommes qui ont parfois risqué leur vie afin de nous aider.
Mais sur le terrain, la réalité a été toute autre d’après Tall Mansour, Sylvia* et Sarah*. L’un est un Vénissian, agent de collecte chez Pizzorno et les deux autres sont hôtesses de caisse à Carrefour Vénissieux. Pour eux, cette reconnaissance a été moins forte qu’on ne le pense pendant le confinement, et bien vite oubliée depuis. Toujours au contact direct avec la population, ils considèrent de nouveau être des métiers de l’ombre pour qui nous avons peu de gratitude.
Tall Mansour, agent de collecte
Tall Mansour travaille depuis 2015 comme agent de collecte chez Pizzorno, à Vénissieux, l’entreprise qui s’occupe de la récolte des déchets dans Lyon. Il se souvient du premier confinement qui a débuté le 17 mars 2020. « Pour nous, il y a eu des changements, se remémore Tall Mansour. Pendant le Covid, il y avait moins de travail, moins de circulation, on était plus tranquille pour faire nos tournées. »
Cependant, il n’a pas le souvenir de multiples remerciements de la part des personnes qu’il a pu croiser. « Je n’ai pas vu beaucoup de reconnaissance. Quelques personnes nous ont dit merci comme le Grand Lyon qui nous a félicités pour le travail qu’on a fait dans la ville pendant cette période. Par contre, de la part des gens qu’on a croisés, c’était rare. Et aujourd’hui aussi. Des personnes peuvent être très dures et critiques envers notre travail en nous disant que c’est nul, qu’on les réveille, qu’on bloque la circulation, qu’on le fait mal, on nous klaxonne, nous insulte, mais des encouragements, on en a peu. »
Tous les matins, ce quarantenaire est debout dès 4 heures du matin, prend son poste vers 5h30 et débute sa tournée à 6 heures. Un travail éreintant qu’il est quand même content d’avoir. « Je me dis que tant que j’ai du travail, que je peux mourir ma famille, c’est le plus important. » Il admet tout de même « supporter beaucoup de choses ».
« Nous travaillons, nous représentons le service public donc nous ne pouvons pas réagir, mais parfois, ça peut être violent verbalement comme physiquement. Je me rappelle un jour, une personne est descendue de sa voiture et est venue donner un coup de pied au chauffeur, parce qu’on mettait trop de temps d’après lui. »
Sylvia* et Sarah*, hôtesses de caisse
Sylvia travaille à Carrefour Vénissieux depuis 18 ans. Sarah, elle, a 38 ans d’ancienneté. Quand le président de la République a instauré le confinement, elles étaient là. Témoins des vents de panique de nombreux Français, terrorisés à l’idée de manquer de produits de première nécessité. « La crise a été très compliquée, surtout de voir courir les gens dans le magasin, on avait l’impression que c’était la fin du monde », se rappelle Sylvia.
Très vite, les rayons se sont vidés. Le confinement était en place et les autorisations de sorties limitées. Au début, la seule protection de ces hôtesses de caisse face aux clients de l’enseigne était le gel hydroalcoolique, puis il y a eu le film plastique devant leur caisse, et les masques après plusieurs semaines. Le plexiglas ? « On a dû l’exiger mais ça a été mis à la va-vite, explique Sarah, c’est rafistolé, collé, vissé » et depuis, inchangé.
Insultes, impolitesses, impatiences et parfois violences physiques, les exemples s’enchaînent pour les deux femmes. Mais surtout, ce qui les attriste, c’est le manque de lien social avec leurs clients. « On ne peut même plus discuter. Quand on essaie d’avoir une petite conversation, un lien avec une personne, celle qui attend derrière va taper sur le plexiglas pour qu’on aille plus vite. »
Leur relation avec les clients s’est même peut-être aggravée depuis le Covid. « Au début de la crise, je me souviens de quelques personnes qui nous ont remerciées d’être là, mais ça n’a pas duré, affirme Sarah. Il y a une agressivité quotidienne, elle était déjà présente avant la crise, elle s’est accentuée et n’a jamais cessé. » Du côté de Sylvia, le constat est sans appel : « Des bons souvenirs ? Je n’en ai pas, à part les quelques mercis que j’ai pu recevoir, sinon on nous disait à peine bonjour. »
Mais Sarah se souvient d’une personne qu’elle a rencontrée. « Un jour, une dame m’a donné un petit porte-clés pour me remercier, c’est mon seul souvenir positif de cette période. Ce petit élan de solidarité s’est vite terminé », se désole-t-elle.
*les prénoms ont été modifiés.