Cet ancien élève du lycée Hélène-Boucher et originaire de Vénissieux, vient de décrocher, lundi 27 septembre, le Bocuse d’Or lors du SIRHA 2021 à Lyon. En 2005, nous rencontrions ce Meilleur ouvrier de France, qui nous parlait de ses rêves pour l’avenir (et le Bocuse d’or en faisait partie ! ).
[PUBLIÉ LE 19 JANVIER 2005] « En classe de cinquième, j’avais choisi l’option cuisine au cours de travaux manuels. Je me souviens très bien de la prof qui, en me voyant faire une quiche, m’a dit que je ne serais jamais cuisinier !”. Meilleur ouvrier de France 2004, chef -depuis trois mois- de La Villa Florentine, à Lyon, Davy Tissot s’en amuse encore. “Je ne lui en veux pas, j’espère même qu’elle est heureuse ! En revanche, je remercie tous les enseignants et les cuisiniers de haut niveau qui m’ont aidé au long de ma formation.”
Davy Tissot, 31 ans, a vécu aux Minguettes jusqu’à l’âge de 10 ans. “Ma grand-mère y vit toujours.” À 13 ans, il rêve d’ébénisterie… ou de cuisine. “Je voulais faire un métier manuel car j’avais l’objectif de devenir MOF ! Ce qui étonnait tout le monde, car mes résultats scolaires n’étaient pas bons.”
En fin de cinquième, il lui faut se décider. Davy choisit… cuisine ! Bien lui en a pris. Ses parents déposent pour lui un dossier d’admission à l’école hôtelière de Dardilly et un autre au lycée professionnel Hélène-Boucher. Refusé à Dardilly, il s’assied en 1988 sur les bancs du lycée vénissian. “Et là, je me suis régalé. J’ai rencontré des profs extraordinaires qui m’ont poussé dans les matières générales où je rencontrais des difficultés. Je crois qu’ils ont senti ma motivation : en première année de CAP, je parlais déjà du concours de Meilleur ouvrier de France. Les autres se moquaient de moi. C’est vrai que je n’avais que 15 ans ! Mais j’étais très conscient de la difficulté de ce concours et du temps qu’il me faudrait pour atteindre mon but. C’est pourquoi j’ai tout de suite demandé à faire mes stages auprès des plus grands.”
Les pâtes de la grand-mère
Davy fréquente alors les maisons les plus prestigieuses. Bocuse d’abord: “Je travaillais bénévolement les week-ends auprès de Paul. J’étais payé par son savoir et ça me convenait. C’est un choix. Peu de jeunes choisiraient cette option aujourd’hui ! En dix ans, la situation a beaucoup évolué : en sortant du lycée, ils veulent de suite avoir un bon salaire et faire 35 heures. Sans compter tous ceux qui n’ont pas choisi de faire cette formation.”
Après Bocuse ou Pignol, célèbre traiteur lyonnais, Davy Tissot n’hésite pas à faire ses valises. Direction : Lorgues, près de Draguignan. Dans l’équipe de “Bruno”, il apprend à travailler la truffe : “On doit bouger pour apprendre la technique. Elles sont toutes différentes et il faut prendre le meilleur dans chaque maison. En travaillant avec les chefs, on avance”. Puis c’est le Pullman Arc-en-ciel, La Rotonde, Jean Brouilly (une étoile Michelin) et Régis Marcon (deux étoiles et Bocuse d’Or en 1995) ou encore le Château de Bagnoles, à côté de Villefranche. “À l’armée, j’ai été affecté à la cuisine du Sénat. C’était une expérience intéressante !”
Davy est toujours en contact avec ses anciens maîtres. Des liens se sont vraiment noués avec eux. “Avec les jeunes, je veux reproduire tout ce que l’on a fait pour moi.” Ce qui le motive ? “Faire plaisir aux clients. J’aime qu’ils se sentent ici comme chez eux”.
Parce que Davy redoute de prendre la “grosse tête”, il ne va jamais en salle : “J’ai un directeur de salle dont c’est le travail. Les clients qui le souhaitent peuvent venir me voir en cuisine”. Tous les jours, Davy sent la pression, la crainte de décevoir un client. “Mon rêve pour 2005 : décrocher une seconde étoile pour la Villa Florentine !” Chez lui, Davy affirme ne jamais cuisiner “sauf pour les amis. Je ne suis même pas spécialement gourmand. Mais j’adore les plats de pâtes que me concocte ma grand-mère, quand je viens la voir aux Minguettes”.
Avant le MOF, j’étais le Poulidor de la cuisine !
Avant de se présenter au MOF, on passe différents concours régionaux, puis nationaux. “Sur le podium, j’étais toujours en seconde ou en troisième position. Mes amis m’appelaient le Poulidor de la cuisine. Heureusement les “étoilés” m’ont permis de préparer ces concours tout en travaillant chez eux : chez Régis Marcon, j’ai passé la sélection du Bocuse d’Or.” Il finit 3e précédé par deux Parisiens ! “Pour décrocher le podium, je me suis entraîné chez Régis mais aussi à Hélène-Boucher et dans la cuisine de mes parents. On avait cinq heures pour travailler une sole et un cochon de lait avec vingt-quatre garnitures, en ne négligeant pas le côté artistique. Sur le podium, on est satisfait mais avant, il faut tenir le coup mentalement.” Puis c’est le concours Taittinger : “J’ai raté ma cuisson de lotte à la finale régionale. J’ai été éliminé. J’essaie toujours de tirer profit des échecs comme des critiques. Cela touche toujours mais fait avancer. Passer des concours m’a également appris à gérer mon stress et la pression”.
Modestement, il affirme que le titre de MOF “est une chance”: “J’ai passé le concours pour la première fois à Toulouse l’an dernier et je l’ai remporté. On devait réaliser une tourte de canard au foie gras avec une sauce rouennaise, une longe de porc avec des garnitures, ainsi qu’un dessert : une pomme moscovite. Le tout en 4 h 30. Les notes portaient aussi bien sur la technique et l’artistique que sur les ordres donnés aux commis”.
D’autres que lui se sentiraient sans doute enfin arrivés. Pas Davy : “Ce n’est pas parce qu’on est MOF qu’on a réussi. Chaque jour, on doit se remettre en question. En sortant de l’épreuve pratique (auparavant un écrit avait eu lieu à La Sorbonne), j’étais persuadé que
j’avais tout raté. Les résultats sont tombés le lendemain : c’était OK pour moi. Sur les 48 finalistes (on était 570 sur la ligne de départ), 24 ont été reçus. Pour réussir un tel concours, il faut du temps. On est comme des athlètes de haut niveau : gagner un 100 mètres impose de l’entraînement”.
Davy n’a pas que la cuisine pour passion. Sa liste personnelle s’étend à la moto, au jogging. Et aux voyages. Parti récemment à New York dans le cadre de son job, il y est resté quelques jours, histoire de visiter la ville. Il a également passé trois mois à Rio, “pour bosser. Je m’habitue facilement au changement de vie. Alors, est-ce que je serai encore cuisinier dans dix ans ? Je ne le sais pas du tout. Le jour où je ne prendrai plus de plaisir dans mon métier, je ferai autre chose. Comme louer des jets skis sur une plage”.
Danielle PECHET
3 octobre 2021 à 12 h 41 min
super article! bravo à ce formidable jeune homme!
Bernard Lancelot
28 septembre 2021 à 12 h 31 min
Très intéressant de relire cet article.