La fin du diesel en 2026, oui, mais dans quelles conditions ? C’est la question posée depuis le 3 septembre par la collectivité territoriale, laquelle a lancé une grande opération de concertation qui s’achèvera le 5 février 2022. Avec, en creux, cette interrogation : quelles conséquences pour les familles populaires obligées de se séparer d’une voiture devenue indésirable ?
Calendrier de sortie, périmètre d’interdiction, mesures d’accompagnement… Le 3 septembre, la Métropole de Lyon a lancé la phase de concertation de son projet de renforcement de la Zone à faibles émissions (ZFE), son « outil de reconquête de la qualité de l’air ». Car celle-ci se veut ambitieuse : elle doit aboutir, à horizon 2026, à l’exclusion totale des véhicules diesel du cœur de l’agglomération.
« Une ZFE génère des contraintes qu’il convient d’anticiper, reconnaissait, lors du lancement de la concertation, Bruno Bernard, le président de la Métropole. C’est pourquoi j’ai souhaité offrir à chacune et à chacun, particulier ou professionnel, habitant de la Métropole ou d’un territoire voisin, la possibilité de donner son avis et de formuler des propositions, pour que la ZFE lyonnaise ne laisse personne sans solution. »
Cette phase de concertation permettra notamment de définir le calendrier de sortie des véhicules Crit’Air 4, 3 et 2, d’ici 2026. Elle déterminera aussi le périmètre de cette ZFE, qui comprend actuellement les villes de Lyon, Villeurbanne, Caluire-et-Cuire, ainsi qu’une partie de Bron et de Vénissieux. Car 2026, à l’échelle d’une Métropole, c’est demain. Et à cette date, seuls 73,4 % des véhicules qui circulaient en 2020 seraient encore admis dans le périmètre de la ZFE.
Le parc automobile de Vénissieux sera de fait appelé à évoluer : en l’état, le projet proposé par la Métropole de Lyon conduit à interdire… 29 000 des 38 000 véhicules immatriculés dans notre ville. « Les critères sociaux (revenus de l’usager, prise en compte des horaires atypiques comme pour de nombreux intérimaires, possibilité de dérogations de circulation…) doivent être intégrés aux réflexions, en amont de la mise en place de la ZFE, avait ainsi plaidé, en juin, Michèle Picard, maire de Vénissieux. Sans oublier la situation des entreprises et des artisans. Des moyens nécessaires devront donc venir renforcer les mesures d’accompagnement, et les dérogations favorisant l’adhésion des habitants au projet. »
Une concertation avec l’appui du CNDP
À quoi va ressembler cette phase de concertation ? Elle va principalement s’appuyer sur une plateforme en ligne, accessible à l’adresse jeparticipe.grandlyon.com, sur des réunions publiques et sur un panel de 30 citoyens « représentatifs des enjeux des habitants ». Des questionnaires pourront aussi être distribués. Les attentes de la Métropole portent notamment « sur les mesures à envisager ou conforter pour développer l’offre en solutions de mobilité alternatives à la voiture individuelle, sur les solutions de financement pour faciliter l’acquisition de véhicules propres, et sur les situations individuelles justifiant une dérogation de circulation ».
« La séquence de concertation qui s’ouvre vise à toucher le plus grand nombre, car la ZFE va concerner le quotidien d’une bonne partie des habitants de la Métropole et des territoires voisins, estime Laurence Boffet, vice-présidente déléguée à la Participation et aux initiatives citoyennes. Elle a été préparée avec l’appui et les recommandations de deux garants désignés par la Commission nationale du débat public (CNDP). »
« Beaucoup de questions… »
À Vénissieux, pour l’heure, la plupart des habitants rencontrés indiquent suivre « de loin » ce projet de renforcement de la ZFE. « J’ai un véhicule diesel, témoigne par exemple Laurine, venue faire le plein dans une station près du centre-ville. Il est assez récent, mais en l’état du projet, je ne pourrais pas l’utiliser pour aller dans le centre de Lyon. Sur le principe, c’est assez dérangeant, mais en pratique, si l’offre de transports en commun ne crée pas de nouvelles contraintes, pourquoi pas… » Samir, lui, se pose « beaucoup de questions ». « Ma voiture est ancienne mais elle roule bien. Je n’ai pas envie d’en changer tout de suite. Est-ce que je vais devoir le faire tout de même ? Est-ce que je pourrais bénéficier d’une aide de la Métropole ? Si oui, quel sera son montant ? Ma femme travaille tôt le matin, pourra-t-elle bénéficier d’une dérogation ? Pour l’instant, c’est très flou pour moi. »
« Chacun doit pouvoir être informé sur le projet de ZFE et orienté vers les solutions pertinentes ou aides indirectes dont il peut bénéficier, répond Jean-Charles Kohlhaas, vice-président délégué aux Déplacements, aux Intermodalités et à la Logistique urbaine. Nous souhaitons que les ressources soient prioritairement affectées aux publics les plus fragiles vis-à-vis des évolutions attendues, aux particuliers et aux acteurs économiques les moins bien dotés. »
Selon Bruno Bernard, des dérogations « potentiellement nombreuses » pourraient être accordées en 2026. Puis, celles-ci pourraient être de plus en plus rares les années suivantes, « le temps pour le parc automobile de se renouveler naturellement, d’inventer de nouvelles solutions de mobilité, et, pour les habitants, de prendre de nouvelles habitudes de déplacement (transports en commun, autopartage, vélo…) ». « Le but d’une ZFE, rappelons-le, est à la fois écologique et sanitaire, reprend le président de la Métropole. Ceux qui souffrent le plus de la pollution sont les personnes qui habitent à proximité des grands axes de circulation. Ce sont souvent des personnes et familles modestes, parmi les plus fragiles de nos habitants. C’est une source d’inégalité et d’injustice supplémentaire. Mettre en place une zone à faibles émissions contribue à les protéger, car ce sont elles les premières victimes de l’inaction. »
« Les solutions alternatives doivent être à la hauteur »
Conseiller communautaire, Pierre-Alain Millet attend notamment de la phase de concertation qu’elle permette à de nombreux citoyens de faire remonter leurs contraintes en matière de déplacement. Il appelle ainsi les habitants à être « le plus concret possible ».
– La phase de concertation sur le renforcement de la ZFE vient de débuter. Qu’en attendez-vous ?
La concertation doit permettre aux habitants d’exprimer leurs besoins de déplacement, de formuler des demandes de déplacement collectif, de manière adaptée aux contraintes et aux horaires particuliers qui peuvent exister — en raison d’une situation familiale ou d’un métier par exemple. Il faut parler très concrètement, être au plus près de la vie quotidienne. Nous sommes évidemment convaincus qu’il est impossible, d’ici 2026, de changer 80 % des véhicules en circulation sur Vénissieux : les solutions alternatives à la voiture individuelle doivent donc être à la hauteur des ambitions affichées.
– Comment créer une ZFE qui n’exclut pas les populations aux revenus les plus bas ?
Nous espérons que cette concertation aboutira à de vraies mesures d’accompagnement, à des solutions en prise avec le réel (extension des horaires des bus…), à du conseil en mobilité, à des offres de transport nouvelles, à des dérogations réalistes. On pourrait par exemple imaginer que ces dernières soient basées, lorsqu’il n’est pas possible de faire autrement, sur la répétition de l’usage d’un véhicule polluant, en considérant qu’une fois par mois ce n’est pas grave, mais que tous les jours, c’est non. Tout est à imaginer, c’est pourquoi nous appelons les habitants à prendre la parole lors de cette phase de concertation.
– Des aides pour changer de véhicule existent, mais sont-elles suffisantes ?
Certes, avec ces aides, on arrive à des gros montants, mais le reste à charge n’en est pas moins important pour les familles populaires. Donc non, elles ne sont pas suffisantes. Cela pose question d’ailleurs : si ces dispositifs aident surtout les plus aisés à acheter des véhicules neufs, peut-être vaut-il mieux en réorienter les montants vers le développement des transports en commun ?
Quid de la verbalisation future ?
Une fois le calendrier final et les modalités d’application définis, c’est sans doute le « gros chantier » qui attend la Métropole. Pour être efficace, la ZFE devra reposer sur un maillage de radars, afin de verbaliser les conducteurs qui circulent là où ils ne le devraient pas. Or, de l’aveu même de Bruno Bernard, le cadre législatif n’est pas prêt : une nouvelle loi, autorisant la lecture automatique des plaques d’immatriculation, est encore attendue (et a déjà été repoussée par le gouvernement).
Ainsi, les premières installations par l’État de ces radars ne sont pas attendues avant 2023, pour expérimentation en région parisienne. Le tout, en étant soumis à une réglementation contraignante de la CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés). À l’heure actuelle, ils ne peuvent être installés que tous les 40 kilomètres de voirie. Et ils ne peuvent flasher plus de 15 % des véhicules sur une période donnée. « Clairement, il y a un gros travail à faire sur cet aspect de la question, et nous attendons des engagements de la part de l’État, commente Bruno Bernard. Mais nous espérons aussi une adhésion de la population à ce projet de renforcement de la ZFE, rendant les contrôles presque superflus à terme… »
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