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Le sexisme carbure à l’ordinaire

Remarques, idées reçues, comportements quotidiens… la lutte contre le sexisme ordinaire, thème de l’édition 2021 du festival Essenti’elles de Vénissieux, constitue l’un des piliers du combat pour l’égalité entre les genres. Elle nous interpelle sur notre conception du rapport entre les hommes et les femmes.

Remarques, idées reçues, comportements quotidiens… la lutte contre le sexisme ordinaire, thème de l’édition 2021 du festival Essenti’elles de Vénissieux, constitue l’un des piliers du combat pour l’égalité entre les genres. Elle nous interpelle sur notre conception du rapport entre les hommes et les femmes.

Essenti’elles : le programme
Organisé par la municipalité, en partenariat avec des associations locales, le festival Essenti’elles se déroulera du 4 au 6 mars en numérique.Jeudi 4 mars :
• Les « films de poches » réalisés par des jeunes des Équipements Polyvalents Jeunes (EPJ) en collaboration avec le cinéma Gérard-Philipe. Six portraits de figures féminines issues de notre matrimoine.
• Court-métrage sélectionné par les jeunes de l’EPJ Parilly en collaboration avec le cinéma Gérard-Philipe.
Vendredi 5 mars :
• Table ronde « Les femmes, moins capables que les hommes ? » organisée par la Maison des associations, le Centre associatif Boris-Vian et le Centre communal d’action sociale, animée par Marie-Christine Chambard, présidente de « Femmes contre les intégrismes » et Marion Ghibaudo, de l’association Filactions.
• Présentation du jeu « L’art & ma carrière » : l’artiste Olivia Hermaïz invite à découvrir un jeu de société abordant la question de la place des femmes dans l’art.
Samedi 6 mars :
• Podcasts « Si/si les femmes existent — mémoire poétique ». Une série de portraits de femmes oubliées des livres d’histoire et des manuels scolaires.

« Le sexisme ordinaire nous fait entrer dans un univers singulier : on est dans le signe qui rejette, la parole qui exclut, le sourire qui infantilise, le dos qui se tourne, le cercle qui ne s’ouvre pas, la couleur grise qui refuse le rose », écrivait en 2009 Brigitte Grésy, inspectrice générale des affaires sociales dans son Petit Traité contre le sexisme ordinaire (Albin Michel). Ce thème, au cœur de l’édition 2021 « virtualisée » du festival Essenti’elles de Vénissieux, a le mérite de provoquer le débat. Et de délier, petit à petit, les langues, pour faire apparaître ces « petits rien qui masquent une conception profondément inégalitaire du rapport entre les hommes et les femmes ».

Ces « petits rien » qu’elle dénonce, Sandra, bientôt quarante ans, a dû vivre avec longtemps. « J’ai vécu 15 ans avec un homme charmant, sociable, affable, raconte-t-elle. Mais à la maison, je devais tout faire : gérer les enfants le matin et le soir, faire les courses, préparer les vacances, participer aux sorties scolaires… Avoir de l’aide pour tout ça, ce n’était pas naturel, et quand je me plaignais, il me disait ‘Mais je ne peux pas deviner, demande-moi de t’aider et je le fais’. Nos filles ne devaient pas participer à des activités ‘de garçon’. Quand il leur proposait des séjours en colonie, c’était toujours de l’équitation, de la gymnastique… Il faisait régulièrement des blagues sur la faiblesse physique des femmes, suivies d’un ‘non mais je rigole !’, sans doute répétées car il voyait que ça m’énervait. »

Car contrairement à l’antiféminisme, le sexisme ordinaire n’est pas, de l’avis de nombreux chercheurs, un avis exprimé haut et fort. « Le sexisme ordinaire est partout, assure notamment la sociologue Francine Descarries au journal canadien La Gazette des Femmes. Il est très sournois, on le pratique presque tous et toutes, souvent sans s’en apercevoir. Par exemple, un spectacle d’humour, sous couvert d’une bonne blague, va révéler un sexisme sous-jacent. La publicité , avec une annonce insignifiante, va reproduire du sexisme ordinaire. Même des actes de courtoisie peuvent relever du sexisme ordinaire. » Des petits gestes anodins qui ne font que maintenir des inégalités devenues, au fur et à mesure des générations, systémiques.

« Aujourd’hui, j’essaie de sensibiliser mon entourage au sexisme ordinaire, poursuit Sandra. Il peut prendre de nombreuses formes, qui enferment les femmes dans un rôle ou dans une position. » Et les exemples ne manquent pas : dire à une jeune fille qui réussit ses études qu’elle est aussi charmante qu’intelligente, commenter la tenue que porte une femme politique, demander à être félicité parce qu’on a passé l’aspirateur, couper la parole à une femme alors qu’elle est en train d’expliquer quelque chose en estimant que l’on est mieux placer pour le faire, sous-entendre que son épouse est de mauvaise humeur parce qu’elle a ses règles… « Le sexisme ordinaire, c’est toutes les remarques que l’on peut faire aux femmes et que l’on ne ferait jamais à un homme », résume Sandra.

Autre dimension du sexisme ordinaire, l’invisibilisation des femmes dans l’espace public. Un chiffre pour s’en rendre compte : les voix des femmes sur une journée entière de médias, tous supports confondus, ne représentent que 24% du temps médiatique. Sans oublier les articles qui fleurissent sur le net, titrés « Une femme remporte tel prix »… avec le nom de l’intéressée qui n’apparaît pas en première lecture.

Le monde de l’entreprise n’échappe pas à ces travers. À la tête des quarante plus grandes entreprises françaises cotées, on ne retrouve qu’une femme, Catherine MacGregor — chez Engie en l’occurrence. Et selon une étude réalisée en mars 2020, seules 7% des PME et ETI non-cotées sont dirigées par une femme. À la lecture de cette étude, apparaît un autre biais, révélateur d’un sexisme ordinaire : 55% des femmes qui font partie d’un conseil d’administration sont DRH ou gèrent le marketing. « Des postes qui ne destinent pas particulièrement à devenir patronne. » D’autant que la proportion d’hommes dans le conseil d’administration ne change pas en présence d’une directrice générale ou d’une présidente, autour de 70% d’hommes. « Il n’y a pas de brassage, pas d’émergence de nouveaux talents féminins. » Et, par voie de conséquence, toujours moins de femmes aux postes à responsabilités. Le serpent qui se mord la queue.


Continuer le combat pour l’égalité
La 9e édition du festival Essenti’elles, organisée par la Ville, se tiendra du 4 au 6 mars, en version numérique. « Si les choses avancent, il reste beaucoup à faire », note Véronique Callut, adjointe au maire en charge des Droits des femmes.

Compte tenu de la situation épidémique, la 9e édition du festival Essenti’elles aura lieu, cette année, en virtuel. L’ensemble du programme sera diffusé en numérique : podcasts, vidéos, interventions d’artistes, courts-métrages, seront visibles sur le site de la Ville et sur les réseaux sociaux. « Malgré la crise, nous nous devions d’organiser ce festival, qui marque la journée internationale des droits des femmes du 8 mars », précise Yolande Peytavin, première adjointe au maire.

« Même si les choses avancent doucement et vont dans le bon sens, il reste beaucoup à faire », estime Véronique Callut, adjointe en charge des droits des femmes et de la santé. Une question de la condition féminine qui n’est pas, selon l’équipe municipale, à dissocier de celle du sexisme. « Les jeunes filles vivent encore aujourd’hui des moments compliqués, insiste Yolande Peytavin. Elles font face à certaines difficultés, elles subissent des humiliations, sont privées de liberté, celles de se maquiller, de s’habiller comme elles le souhaitent entre autres. » Une situation qui peut paraitre anodine aux yeux de certains, mais qui ne l’est pas. « C’est pourquoi un dialogue doit s’instaurer entre filles et garçons dès le plus jeune âge. »

À Vénissieux, un travail important est mené depuis des années, que ce soit dans les Équipements polyvalents jeunes, la maison de quartier Darnaise, ou dans les maisons de l’enfance. Les collèges et les lycées portent également différentes initiatives. « Toutes ces actions sont primordiales. Nous organisons des ateliers pour que filles et garçons puissent dialoguer et prendre conscience du parcours qui les conduira vers l’égalité. Ce travail commence à porter ses fruits, même si le chemin est encore long. Les garçons doivent apprendre très jeune à respecter les filles. Ce qui passe par l’éducation. Heureusement, aujourd’hui, la parole se libère, les filles se défendent. »


Centres sociaux des Minguettes : sept filles en mission
Pendant les vacances de février, sept adolescentes âgées de 14/15 ans ont planché au centre social Eugénie-Cotton sur la place des femmes dans l’espace public.

Takoua, Taouba, Hadiratou, Fatimata, Arafa, Wanh-Kom, et Doraya se connaissent depuis des années. Elles vivent à Monmousseau : cinq sont scolarisées au collège Paul-Éluard, deux autres sont lycéennes : l’une à Jacques-Brel, la seconde au lycée Lumière à Lyon. Accompagnées de Samy, responsable du secteur jeunes aux centres sociaux des Minguettes, elles ont accepté de témoigner.

Le sexisme au quotidien, elles connaissent bien ! Et ne le comprennent pas. Elles ont décidé de se défendre et de s’imposer en tant que fille, même si le chemin est encore long. Tour à tour, elles dénoncent certaines situations : « Si on va sur un stade pour jouer au foot, les garçons ne sont pas très heureux de nous voir arriver. On sent très rapidement que nous n’y avons pas notre place. Parfois, ils s’arrêtent carrément de jouer. Et même si certains acceptent notre présence, ils vont jouer mais sans jamais nous passer le ballon. »

Autre source de mécontentement pour ces adolescentes : les vêtements d’enfants. « Si on offre un cadeau de naissance, les habits pour les filles sont roses, ceux des garçons bleus, mais le plus insidieux ce sont les inscriptions. Le garçon est fort, courageux, la fille est belle, douce, princesse. Dès le plus jeune âge, on élève les bébés dans un stéréotype. » Un garçon « ne doit pas pleurer », ajoute l’une des filles, « et s’il pleure on le traite de… fillette ! ». Pour les adolescentes, il faut que ça change et vite : « une fille peut faire de la boxe, du foot : les garçons, petits ou grands ont le droit de pleurer, de pratiquer la danse. »

Et que dire des jeux sur internet ou dans les boutiques : « Quand ma petite sœur joue sur l’ordinateur, on lui propose systématiquement des jeux de cuisine, alors que les garçons peuvent être mécanicien, super héros, ou bagarreur ! Quand on va manger des burgers, et que nous prenons un menu enfant on nous demande : un jeu pour filles ou pour garçons ? Je me souviens très bien de ma sœur qui avait eu une petite voiture: elle devait y coller des autocollants qui avaient la forme de cœur et de paillettes, alors que les garçons avaient des voitures bleues décorées avec des flammes. »

Du côté de la publicité, il y a là aussi beaucoup à reprocher. « Nous avons travaillé sur les affiches : je me souviens très bien celle où un homme et une femme étaient couchés dans un lit : la femme lisait un livre sur la naissance et l’homme sur les voitures ! C’est triste, en 2021. »


Maison de quartier Darnaise : quand les gars s’amendent
Les préjugés sexistes peuvent être déconstruits. La preuve, à La Darnaise, où cinq garçons ont  changé de vision en participant à des ateliers d’interviews et d’échanges.

Pour accompagner le spectacle « Qui va garder les enfants ? », programmé le 5 mars, le Théâtre de Vénissieux a demandé à Raphaël Cordray, de l’association Microphone, et à la journaliste et animatrice radio Élisabeth Bonneau, de travailler avec des jeunes sur les questions de sexisme ordinaire et sur la place de la femme dans l’espace public. Pilotés par Amandine Vermare, chargée au théâtre des relations avec les publics, les ateliers se sont tenus à la Maison de quartier Darnaise, avec Sabrina Amri en animatrice référente.

Sept jeunes ont été recrutés sur place ou via les EPJ : Chaima, Yasmine, Amine, Kalifa, Iyad, Andjib et Irmani. Soit deux filles pour cinq garçons. Lesquels, ils l’ont reconnu à l’issue du projet, étaient arrivés avec le désir de plaisanter, ambiance « les femmes à la cuisine ».

Pourtant, à l’issue des échanges et lors de la restitution, ils ont fait amende honorable : « J’étais parti pour la rigolade, ça m’a ouvert les yeux » ; « On a l’impression que la place de la femme est différente de la place de l’homme » ; « Les femmes font parfois des choses que les hommes ne savent pas faire et vice versa » ; « Pour beaucoup, la place de la femme est à la maison » ; « La femme n’est pas un robot. Dans un ménage, il faut s’épauler. C’est une union pour la vie de tous les jours » ; « Plus tard, je ne vais jamais dire à ma femme fais ceci ou ne va pas là-bas » ; « Avec le temps qui passe, la représentation de la femme se bonifie » ; « Pourquoi la majorité des rues portent des noms d’hommes ? » ; « J’aimerais pas être une femme, c’est dur de l’être en 2021. Quand elles mettent une robe ou se maquillent, certains hommes vont dire que c’est pour plaire aux autres hommes alors que ça n’a rien à voir » ; « Je ne savais pas que la situation des femmes était si difficile. Pas à ce point-là »…

Il faut dire que le programme avait de quoi inciter à la réflexion. Pendant une semaine, lors des vacances de février, les jeunes ont réalisé un micro-trottoir et interrogé trois Vénissianes : Fatma de l’association Be Foot, Sandrine Perrier (ancienne élue écologiste à Vénissieux) et trois danseuses de la compagnie lyonnaise Karthala, en résidence à Bizarre !. Raphaël Cordray a réalisé un premier montage audio qu’il a fait entendre aux jeunes. Il a enregistré leurs réactions et leurs débats. Le tout sera audible sur un podcast diffusé sur les sites de la Ville et du théâtre, à l’occasion du festival Essenti’Elles.

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